Robespierre est assurément la figure la plus controversée de la Révolution française. D'un côté, il incarne une fidélité aux principes de la Déclaration de 1789, une probité, un désintéressement qui lui ont valu non sans raison le surnom d'Incorruptible ; de l'autre côté, il est devenu après sa chute en 1794 l'incarnation du tyran, pour certains une préfiguration des dictateurs du 20ème siècle. L'essai de
Marcel Gauchet n'est pas une biographie de plus sur
Robespierre mais un essai qui cherche à restituer la cohérence de la carrière du révolutionnaire.
L'auteur rappelle que
Robespierre a exercé en fait très peu le pouvoir, et encore moins de façon solitaire (ils étaient une dizaine au Comité de salut public dans lequel il n'est entré qu'au bout d'un an). C'est par le verbe (plus de 1000 interventions dans les diverses assemblées où il a été élu, en 5 ans) qu'il a exercé son magistère moral et intellectuel sur nombre de ses contemporains.
Dans les premières années de la Révolution, on découvre un homme déterminé dans ses principes, mais hésitant quant à la forme de gouvernement que doit adopter la France. Il défend la liberté de la presse, combat la peine de mort, il est hostile au suffrage censitaire, mais il ne fait pas partie des audacieux comme Condorcet qui défendent le droit des femmes. Il reste en marge du combat pour la suppression de l'esclavage.
Même après le retour sous escorte du roi après sa fuite stoppée à Varennes (juin 1791),
Robespierre n'est pas favorable à la République. Pour lui, les mots république et monarchie ne s'opposent pas : "une nation peut être libre avec un monarque". Comme ses compagnons au sein du club des Jacobins, il est en butte à un obstacle épistémologique. Par quoi peut-on remplacer le roi ?
C'est à la fin de l'année 1791, dans le grand débat sur la guerre, que son art oratoire se cisèle face à son adversaire Brissot qui veut confondre le roi en déclarant la guerre aux monarchies européennes.
Robespierre redoute une agrégation contre la Révolution des forces qui lui sont hostiles : les monarchies à l'extérieur ; les adversaires de la Révolution à l'intérieur. L'avenir lui donnera d'ailleurs raison. La Terreur, qui est aussi une conséquence de la guerre, n'est donc pas imputable au seul
Robespierre, même si ses discours enflammés et la loi des suspects vont envoyer de grosses charretées de citoyens et de ci-devants à la guillotine.
A partir de 1792, les discours de
Robespierre prennent un tour plus personnel, voire "égolâtre" selon les mots de Gauchet. Il affirme le caractère surnaturel de la Révolution, il confond son destin personnel avec celui du peuple, il adopte la posture victimaire employée 2 décennies avant lui par Rousseau dans ses Rêveries. Ses contemporains sont frappés par sa propension à se mettre en scène.
En 1793, les événements s'emballent et les discours de
Robespierre aussi. Les Girondins sont exécutés après une mascarade de procès (octobre 1793), les Enragés (mars 1794) puis les Indulgents (avril 1794) sont exécutés. Dans cette lutte entre factions,
Robespierre doit composer avec la Commune de Paris et les sections révolutionnaires. En juillet après une période d'absence,
Robespierre revient à la Convention et annonce une nouvelle conspiration contre la République : ses allusions ne prennent pas. Cette fois-ci, ceux qu'il vise, parmi lesquels se trouve Fouché, prennent les devants et retournent la Convention contre
Robespierre.
"Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. » Dans cette phrase tirée d'un discours de février 1794 résident toutes les contradictions de
Robespierre. Décidé à faire triompher la Liberté une fois la victoire acquise, il était prêt à en suspendre le cours le temps qu'il fallait.