Milan Kundera Les testaments trahis
"... la plus grande partie de la production romanesque d'aujourd'hui est faite de romans hors de l'histoire du roman : confessions romancées, reportages romancés, règlements de comptes romancés, autobiographies romancées, indiscrétions romancées, dénonciations romancées, leçons politiques romancées, agonies du mari romancées, agonies du père romancées, agonies de la mère romancées, déflorations romancées, accouchements romancés, romans ad infinitum, jusqu'à la fin du temps, qui ne disent rien de nouveau, n'ont aucune ambition esthétique, n'apportent aucun changement ni à notre compréhension de l'homme ni à la forme romanesque, se ressemblent l'un l'autre, sont parfaitement consommables le matin, parfaitement jetables le soir.
Selon moi, les grandes œuvres ne peuvent naître que dans l'histoire de leur art et en participant à cette histoire. Ce n'est qu'à l'intérieur de l'histoire que l'on peut saisir ce qui est nouveau et ce qui est répétitif, ce qui est découverte et ce qui est imitation, autrement dit, ce n'est qu'à l'intérieur de l'histoire qu'une œuvre peut exister en tant que valeur que l'on peut discerner et apprécier. Rien ne me semble donc plus affreux pour l'art que la chute en dehors de son histoire, car c'est la chute dans un chaos où les valeurs esthétiques ne sont plus perceptibles."