Ce n'est pas si souvent que l'on nous propose des auteurs slovaques et ça se passe du côté d'Agullo Éditions : J'avais brièvement rencontré
Arpád Soltész lors d'un mémorable Quai des Polars, sous des trombes d'eau soudaines, en compagnie de son collègue croate, Jurica Pavičić. Et tout le monde coincé sous les tentes des stands des librairies en attendant que les aléas météorologiques veuillent bien prendre fin. C'est avec ce souvenir-là et son roman
le bal des porcs qu'il m'avait dédicacé, que j'entame la lecture de ce roman noir. La Slovaquie vient d'élire son nouveau président, Peter Pelligrini, pro-russe, conservateur, nationaliste, bref il a tout pour plaire : les Slovaques suivent cette mouvance qui se commence à se dessiner en Europe sur des votes à l'extrême droite. En lisant ce thriller qui plonge en plein coeur du fonctionnement de la société slovaque, je ne suis même plus étonnée qu'une majorité de la population votante ait choisi l'autoritarisme :
Arpád Soltész nous a abreuvé d'un portrait d'une société au bout du rouleau, sans plus aucun sens ni structure, dominée par la loi du plus fort, qui est loin d'être le système judiciaire du pays et toutes ses institutions, la policière avant tout.
Arpád Soltész est journaliste d'investigation, il a notamment travaillé sur le crime organisé et son infiltration dans la société et politique slovaque, il sait ainsi de quoi il parle. Ce qui rend ce roman d'autant plus effrayant. D'autant que l'auteur a particulièrement soigné ses avertissements pré narratifs afin d'éluder toute forme de doute pour les éventuels mafieux/voyous de tout acabit qui se reconnaîtraient. J'ai eu envie de la joindre ci-dessous, car la dérision et le sarcasme envers d'éventuels bras armés y sont particulièrement goûteux, l'herbe est coupée sous le pied de façon assez monumentale et fracassante, j'en ris encore.
Nous voilà au milieu des années 1990, après la séparation d'avec sa soeur tchèque en 93, la Slovaquie est devenue une république indépendante aux mains des Oligarques, qui ici aussi en ont profité pour mettre la main sur les richesses du pays au passage de la privatisation, et autres mafieux en tout genre. C'est à Košice, ville historique de l'est du pays, que l'on retrouve le vieux briscard Miki Miko, désabusé, qui a pour partenaire un jeune lieutenant Molnàr, plein d'illusions et d'ambitions.
On ne fait pas dans la dentelle avec l'auteur slovaque, d'ailleurs les mafieux slovaques ne sont pas non plus des champions de la modération et du respect des lois : la violence y est diffuse, incrustée dans chaque recoin du roman, à chaque ligne du récit et d'héroïne, infusée dans chaque verre d'alcool, de gramme de vodka, de tasse de café bus, ingurgités par les têtes pensantes, les bras agissants d'un côté comme de l'autre de la loi. Les deux pages de prologue s'apparentent à un apéritif plutôt costaud, on nous y dévoile du destin de l'un des deux policiers : on encaisse, comme un coup dans le plexus, il nous faut habituellement plusieurs chapitres pour en arriver à la mort d'un des protagonistes. Ici, c'est façon mafia, tout de suite et maintenant, pas de retour en arrière, pas d'oubli, ni de pardon. Trois chapitres se partagent le roman : d'abord Moly, surnom du lieutenant Molnàr, puis Miki, Schlezi, de Schlesinger, le journaliste complice de Miki. La rime des diminutifs des trois individus, deux policiers, un journaliste, amplifie leur similarité, la façon dont les groupes mafieux ont directement influencé sur leur vie d'une manière ou d'une autre mettant fin à l'existence de l'un, l'histoire d'amour de l'autre ou encore à la carrière de l'autre.
C'est dur, c'est violent, ce n'est pas le meilleur côté de la Slovaquie qu'
Arpád Soltész nous dévoile là, parfois un peu confus, les morts, les armes, la drogue, l'argent et l'alcool finissent par nous monter à la tête, un mélange qui brouille le cerveau, et la vue, brise les rêves : il faut avoir les reins sacrément solides pour s'être sorti indemne de ce milieu comme
Arpád Soltész a pu le faire, en tout cas, il en est resté marqué. le cumul provoque, volontairement, une ivresse chez le lecteur, bouffi de cette même violence qu'il lit et absorbe, à sa façon, dont est saturé son esprit, comme les innombrables verres d'alcool, les lignes de poudre blanche, les autres drogues en tout genre. Tout est en excès dans le monde qu'
Arpád Soltész nous décrit, les frontières entre mafieux et policiers sont totalement abolies, les derniers se mettant au service des premiers pour garder un semblant d'autorité. Tous les repères sautent dans le monde qui semble imprégner l'auteur slovaque jusqu'aux moindres pores de la peau, les policiers apparaissent une prolongation du pouvoir mafieux, sauf quelques fortes têtes qui ont le cuir dur, qui s'acharnent, quitte à sacrifier leur vie personnelle, en utilisant les mêmes méthodes que ces mafieux. Sans parler des hommes politiques, jusqu'au plus haut de l'état, qui trempent dans tous les bons et mauvais coups, ça n'étonnera personne, tant qu'il s'agit de maintenir leur standing.
Pas étonnant alors de ressortir de ce récit très sonnée, comme je l'ai été : la Košice que j'ai visitée il y a deux ans, la chaîne de montagne des Tatras par lesquelles j'ai eu l'occasion de passer, ne sont ici que les territoires chasses gardées de chacun des clans mafieux, ils n'y abritent ici que règlements de comptes et trafics en tout genre, l'écart est rude. Évidemment, ma vision est celle d'une touriste de passage, celle de l'auteur de quelqu'un qui a remué les bas-fonds du milieu slovaque jusqu'à l'écoeurement complet. La corruption est répandue au point qu'elle n'étonne plus personne, mais il faut
Arpád Soltész pour comprendre à quel point toutes les juridictions étatiques sont gangrenées jusqu'à la moelle, ici en Slovaquie. Mais comme ailleurs, à n'en point douter.
Le langage est aussi fleuri que les caractères des protagonistes sont tout sauf coulants et dociles des individus qui l'utilisent : Une jungle de voyous ou les "vieux yougos" laissent désormais place à "la racaille qui parade en jogging de marque", des flics ripoux, les Albanais dealer de poudre et maquereaux patentés, les Kosovars, les membres du service secret slovaque. Un Micmac, une bouillabaisse d'individus plus ou moins mafieux dont il faut être un journaliste slovaque, pour pouvoir en démêler les tenants et le rôle dans cette toile d'araignée confuse, où tout est plutôt noir que gris ou blanc. Pas de héros positifs, pas même Miki ou Schlezie, qui finissent par être contraints d'utiliser les mêmes méthodes que ceux qu'ils combattent afin de garder la vie sauve.
Merci Agullo Editions et Babelio pour cette Masse Critique !
Lien :
https://tempsdelectureblog.w..