Les érudits chinois qui se sont occupés des institutions matrimoniales ont analysé les principes de droit qui leur semblaient les fondements des usages polygyniques. Ils ont eu à coeur de justifier ces usages : ils les présentent comme établis délibérément par le législateur et conformément au plan d'organisation de la société féodale. Leurs conceptions sont dominées par l'idée que la durée, pendant laquelle le pouvoir appartient à une race, manifeste la légitimité de ce pouvoir ; cette durée dépend d'une force particulière à chaque famille, le Bonheur idiosyncrasique propre à une lignée. Qui mérite d'être un chef possède ce Bonheur et, par là même, est assuré de posséder une longue descendance. En vertu de cette théorie, toutes les règles matrimoniales apparaissent aux annotateurs comme des règles élaborées pour que les mariages donnent de nombreux enfants.
Ne croyez pas, me dit-il à peu près, que nos moeurs soient si différentes des vôtres. Chez nous, comme chez vous, quand un jeune homme demande une fille à son père, celui-ci prend des informations et des garanties pour que son enfant soit heureuse. Quand la famille de la jeune fille est considérable et qu'elle est en état de faire sentir le prix de son alliance, il n'est pas rare que l'on exige du prétendant qu'il s'engage à ne point prendre de concubines durant la vie de sa femme ou encore, si elle meurt, à se remarier avec sa soeur.
Voici comment mon attention a été attirée sur les faits qui forment l'objet de ce travail. On sait que les mariages se font en Chine sans que les fiancés se soient choisis ou même qu'on leur ait donné l'occasion de se connaître un peu ; entrés en ménage, maris et femmes se voient à peine ; il n'y a point entre eux une intimité conjugale comparable à celle qui unit un couple de chez nous : c'est une question de savoir si l'affection entre époux chinois peut être nommée de l'amour.