ISBN : 982702415979
Maurice-Bernard Endrèbe est le fondateur du Grand Prix de Littérature Policière français et, pour les initiés, il demeure le rédacteur de nombre de scenarii des "Cinq Dernières Minutes" et a co-dirigé l'inoublié "Mystère-Magazine." Ajoutons à cela qu'il fut aussi le traducteur de grands auteurs policiers anglo-saxons dont
John Dickson Carr pour deux de ses chefs-d'oeuvre au moins : "
La Chambre Ardente" et "
Le Sphinx Endormi." Toute la série "Puzzle" de
Patrick Quentin (alias
Jonathan Stagge), au point de vue traduction, c'est encore lui.
Evidemment, ce passionné du genre policier ne put s'empêcher de mettre lui-même la main à la pâte avec un personnage aux apparences tout à fait démodées et loufoques, Elvire Prentice, dite "
La Vieille Dame Sans Merci", dans une série de romans qui s'étalent de 1944 à 1977. Si le personnage de cette vieille dame détective qui va et vient comme elle veut dans la jet-set étonne au premier abord, si les romans demeurent inégaux (comme pour tout un chacun), il faut avouer que certaines intrigues sont nouées avec une rare habileté. Sincèrement, je n'ai lu d'autre de cet auteur qu'"
Elvire à La Tour Monte" mais la fin de celui-ci m'avait soufflée - il faudra que je le relise d'autant que je l'ai tout à côté de moi, tout craquelé, dans l'une de mes cagettes, sous l'antique jaquette "L'Empreinte". Avec "
Gondoles pour le Cimetière", qui se déroule, lui, à Venise, pendant la Biennale, j'avoue avoir été également séduite même si jaquette et silhouettes de la jet-set sont ici nettement plus modernes - et c'est bien dommage.
Pour je ne sais trop quelles raisons, Mrs Prentice est venue profiter un peu de la ville des Doges pendant l'agitation de la Biennale. Elle est accompagnée par le critique Patrice Géron et suivie, de loin, par son amie-ennemie, l'inénarrable baronne
Davidsen - qu'on ne voit pas assez ici, j'ai trouvé. Enfin bref, à peine Elvire a-t-elle eu le temps d'inaugurer la chambre qu'elle a prise dans un hôtel correct mais qui n'a rien du palace choisi par la baronne
Davidsen , qu'elle reçoit un coup de fil du comte Andrea Valeani, la conviant à séjourner dans son palais car, jadis, à Paris, elle a rencontré sa fille, Alba, et s'est montrée très bonne avec elle. de plus, comme chacun sait, l'hospitalité vénitienne veut ... etc ... etc ...
Le palais Valeani est superbe, surtout à l'intérieur, aussi superbe que la famille est désunie. le père est suspendu aux lèvres et à la plastique un peu trop voyante d'une "étudiante en architecture" dénommée Marie-Line Romieu, que lui aurait recommandé un ami français. La mère, fière et encore belle, s'enferme dans un mépris bien compréhensible envers un époux qu'elle aime cependant encore. La fille et unique enfant du couple, Alba, est carrément du côté de sa mère et a bravé l'autorité paternelle en épousant, en lieu et place de l'ami d'enfance titré et fortuné qu'il lui destinait, le prince Fabio Buaro, un Américain un peu sot, un peu bébête, sans grande distinction il faut bien le dire, qu'elle materne plus ou moins en tentant de faire son éducation mondaine.
Coup de théâtre dans la Ville du Carnaval européen : alors que tout le monde se trouve réuni dans l'espace réservé à la Biennale - réuni mais dispersé de-ci, de-là - Marie-Line Romieu tombe de l'abrupt Escalier d'Or du Palais ducal et se rompt proprement le cou. Il faut dire que la malheureuse portait de ces talons qu'on ne risque pas en principe sur d'aussi antiques pavés et avec lesquels on envisage encore moins d'entreprendre pareille ascension. Comble de l'horreur et de la coïncidence - car assurément, c'en est une - le cadavre est venu s'écraser devant le mari d'Alba,
Anthony Johnston, qui, on le comprend, sort particulièrement secoué de l'aventure : à quelques centimètres près, il la recevait en plein sur le crâne ...
Au début, tout un chacun, la police la première, songe à un accident après tout vraisemblable. Mais, peu à peu, le vent tourne et le mot "meurtre" est prononcé. Dès le début d'ailleurs, Mrs Prentice a flairé le coup fourré. En outre, elle détient la preuve que Marie-Line était la maîtresse non seulement du comte Valeani mais aussi ... de ce gendre yankee qu'il déteste tant. Mais cette preuve ne permet en rien de désigner sans se tromper l'assassin, d'autant que, ce jour-là, sur et autour du Palais ducal, il y avait vraiment foule ...
Endrèbe avait l'habitude de faire alterner un chapitre à la troisième personne avec un autre qui, à la première, nous révélait les pensées et déductions de Mrs Prentice. C'est assez savoureux et cela joue en apparence en faveur du lecteur qui pense ainsi avoir une longueur d'avance. Mais le lecteur oublie une chose : pour conserver son avance, il ne faut pas qu'Elvire capote dans ses raisonnements, sinon, le revoilà dans les choux. Or, Mrs Prentice, en dépit de sa finesse, qui est grande et probablement en raison de son romantisme inné, qui l'est tout autant, se trompe assez souvent. L'habitué le sait et s'en délecte tout en la suivant joyeusement dans ses pérégrinations. de toutes façons, elle finira par comprendre - parfois trop tard mais qu'importe ?
"
Gondoles pour le cimetière" ne fait pas exception à la règle. Ecrit de façon agréable, un peu précieusement même à certains passages, mené tambour battant, avec quelques piques ici et là pour les mondains que, cependant, l'auteur donne toujours l'air d'admirer (ce qui est parfois agaçant et un peu trop "parisien"), avec les descriptions, à la fois somptueuses et glauques, de la Cité des Doges, ce n'est certes pas un chef-d'oeuvre. Mais il vous délasse et vous intrigue tout en prenant grand soin de vous égarer un maximum autant de fois que l'occasion lui en est donnée.
Lisez-le et vous verrez bien. Il a été réédité au Livre de Poche sous une jaquette infiniment moins plaisante que l'originale. Tant pis : l'essentiel, pour nous, lecteurs, n'est-il pas de passer un moment plaisant et non dépourvu d'angoisses et d'humour ? :o)