Une carabine n'est pas de trop devant des bêtes retournées à l'état sauvage. Il n'est pas question de faire un massacre, mais d'abattre seulement deux ou trois biquettes qui nous donneront d'excellentes grillades. Si vous préférez le poisson, libre à vous d'aller pêcher le long du récif.
Elle connaissait aussi la droiture du capitaine, son sens du devoir. Bob aurait souqué sa goélette par les plus gros temps pour aller secourir une poignée de gens en détresse à mille milles de sa base. Il l'avait déjà fait pour des pêcheurs ou des touristes en perdition jetés sur une côte inhospitalière. On l'en avait peu remercié, ou même pas du tout, et ces expéditions de sauvetage étaient consignées en trois lignes dans le livre du bord. Pour lui, son mérite propre se confondait avec les qualités du fier bateau qui était sa raison de vivre.
- Je ne suis pas l'avare que vous croyez. Ce qui est promis reste dû. Nous avions parlé de dix mille dollars ? Vous n'avez qu'à vous servir...
- Non, vraiment, sans façon... ! D'abord je ne voudrais pas vous priver. Ensuite, accepter cet argent m'obligerait à céder à vos exigences, et je tiens à rester maître à mon bord. Vous n'êtes ici ni mes invités, ni des hôtes payants, mais des gens quelconques ramassés sur un atoll perdu, et que je débarquerai dans le port le plus proche, celui de Nouméa...
Il était certes plus rassurant d'avoir sous les pieds un bateau obéissant et robuste, et la mer tout autour à l'infini. La hantise du lendemain ne s'était jamais imposée à bord. Ni le besoin ni la fatigue ne comptaient pour des gens rompus à cette existence vagabonde. À terre, hélas, il en allait tout autrement !
On se croit seul en mer, disait-il, mais ce n'est qu'un trompe-l'œil. L'Iris avale en ce moment cent cinquante milles par jour et davantage. Pendant ce temps, un requin qui n'est pas Cousin-Jules le suit peut-être derrière la ligne d'horizon sans dévier d'un degré en vingt-quatre heures...