Qu'est-ce qu'une histoire juive?
Essayons.
Une histoire juive c'est un court récit, dont les ou les protagonistes sont juifs. Ce bref récit, presque aphoristique prend souvent la forme d'une conversation, ou d'un dialogue, le questionnement et l'usage de l'ambiguïté du langage y sont fréquemment présents. Dans l'histoire juive, l'absurde, le non sens apparent ,sont souvent présents, et concourrent à l'effet humoristique.Lhistoire juive se caractérise par l'humour, dans le sens d'auto dérision.Lhistoire juive fait souvent l'effetd'un antidote à la souffrance ou au malheur dans lesquelle elle plonge ses racines. C'est une forme simple de l'élégance. L'histoire juive, dans ses développements et à son apogée, ne s'adresse pas qu'aux seuls juifs, même s'ils sont souvent plus à même d'en saisir le sel. Elle s'ouvre en s'adressant aussi, avec bienveillance, aux non-juifs, comme on invite un nouveau voisin à la veillée.Elle fait le pari de perpétuer une identité qui n'est pas mise en danger par la rencontre avec l'Autre, mais qui au contraire s'en nourrit, et nourrit cet Autre aussi bien. Elle est, à son apogée, le ferment de l'intégration, qui n'est pas l'assimilation, mais la conscience d'une culture qui n'a pas peur des principes universels, ni de l'altérité.
Michel Wieviorka, français juif, dont la famille immigra de Pologne, sociologue, choisit de suivre et détailler les aléas de la fortune puis du déclin de l'histoire juive dans des pays occidentaux tels que les USA et la France, les deux pays qui comptent le nombre de juifs le plus élevé (et cependant tres faible, rapporté à la population totale de ces deux pays,) afin d'analyser, derrière cette évolution du patage , les différents changements internes et externes qui ont amené à une inversion des points de vue quant à la place des juifs dans la société contemporaine. Il analyse tres finement le déplacement identique de la perception et de la désignation des victimes et des oppresseurs, au sein de deux sociétés tres différentes car régies par des principes tres différents le communautarisme parfois exacerbé et la cancel culture aux USA, le principe d'égalité républicaine des citoyens venant recouvrir les différences culturelles religieuses et communautaire dans la république française, complétée par la séparation des églises et de l'état,et la laïcité. Dans le cas des juifs, la decouverte de l'ampleur de la Shoah, toutes les reconnaissances et célébrations, conjuguées avec les effets économiques des Trentes Glorieuses ont permis ce que l'auteur nomme l'apogée des histoires juives, dont le sens pouvait etre partagé par les non juifs.Cet effet ira décroissant à partir du moment où les luttes d'autres minorités opprimées viendront déloger les juifs d'une position victimaire ne correspondant plus exactement, dans l'imaginaire collectif, à la situation tant économique que sociale des juifs, notamment aux USA, principal soutien de l'Etat d'Israël, lui même classé dans le camp des oppresseurs colonialistes. Entre la diaspora et l'état d'Israël, les tensions ou les dissensions prennent une place d'autant plus importante que la figure de David et Goliath s'est inversée apres la victoire d'Israël contre ses voisins, de meme que l'image de la victime a changé de camp. Est-ce la fin des histoires juives, c'est à dire d'un récit où le juif peut narrer sa propre tragédie en l'inversant par le rire qu'il fait partager au non juif? Et au non juif non antisémite? Car la caricature de l'histoire juive, c'est l'histoire antisémite, où le juif est toujours "celui qui s'en tire toujours le mieux" et toujours au détriment du non juif. Cette question, cruciale pour l'avenir au Proche Orient, mais aussi, certainement, pour les sociétés occidentales, cette question reste pour le moment ouverte. Je recommande la lecture de ce livre à quiconque veut réfléchir aux polarisations actuelles d'opinions entre le Proche Orient et l'Occident, et se départir autant que faire se peut de tout aveuglement idéologique. Un grand merci à l'éditeur Denoël ainsi qu'à Masse Critique pour l'envoi de cet ouvrage .