Riche d'une abondante documentation, ce livre très intéressant est plus destiné aux spécialistes de cette période de l'histoire de France, qu'à des lecteurs lambda dont je fais partie. Il n'empêche qu'il nous apprend énormément de détails sur la politique, sur le comportement des américains vis à vis des français, sur la présence des forces armées américaines, ainsi que du ressenti des français vis à vis des GI's. Après la préface de l'éminent historien
André Kaspi, qui présente le travail de
Régine Torrent. Après l'introduction dans laquelle elle-même précise l'orientation qu'elle a voulu donner à son étude. le livre se découpe en trois principaux chapitres.
le premier traite des bombardements qui ont précédé et accompagné le débarquement de Juin 44. Une multitude d'exemples nous montre dans une première période l'imprécision de ces bombardements, qui ratent souvent les cibles, et font beaucoup de victimes civiles. Les villes sont citées, les cibles sont mentionnées, et souvent le nombre de victimes est précisé. A l'aide de la documentation qu'elle a consultée,
Régine Torrent en explique bien les causes : le largage à très haute altitude, la formation précipitée des pilotes, des appareils rudimentaires, ainsi également que le mépris de l'armée de l'air américaine pour la population française. Puis, elle montre également l'évolution des méthodes entraînant une amélioration de l'efficacité. Cette évolution entraîne une évolution dans l'opinion des français, qui dans un premier temps rejetaient les bombardements, et qui, progressivement en apprécient les résultats dans la déstabilisation de l'ennemi allemand. Dans ce même chapitre, l'auteure nous montre la guerre des propagandes radio entre les messages en français de la BBC et la radio au service du gouvernement de Vichy, concrétisé par la voix du célèbre Philippe Henriot.
le second chapitre aborde sur plus des 200 pages la plus longue controverse de la libération en l'occurrence l'AMGOT (en français : Gouvernement militaire allié des territoires occupés). Dés le début de 1941, Franklin Roosevelt n'a pas confiance en
De Gaulle pour assurer la mise en place d'un gouvernement dans les territoires qui seront libérés. Les rapports très intéressant entre Roosevelt,
Churchill et
De Gaulle sont bien expliqués. Forte de son expérience de l'état de l'administration allemande après la guerre de 14/18, les américains étudient la possibilité de mettre en place un pouvoir militaire pour administrer la France, pour cela ils établissent des " handbooks " de chaque régions qui répertorient les besoins d'administrations, de ravitaillement, les hôpitaux, les casernes de pompiers etc... et vont jusqu'à préciser le comportement des français spécifiquement à chaque région. Les allemands avaient formés 7000 officiers pour administrer le pays pendant l'occupation, donc les américains se sont lancés dans une formation tous azimuts d'officiers et de civils. Ils mettent en place une première organisation en Sicile pour gérer l'Italie. C'est la guerre entre américains et anglais pour l'organisation des pouvoirs en Afrique du Nord. Progressivement de Gaulle impose ses positions.
Churchill sert d'intermédiaire tout en soutenant plutôt les positions américaines. le Comité Français de Libération Nationale se transforme progressivement et montre aux alliés sa compétence pour gouverner le pays, en nommant des préfets régionaux. Plusieurs pages très intéressantes traitent de ce qui s'est avéré une problème important, en l'occurrence la création d'une monnaie complémentaire pour permettre aux forces alliés de financer leurs achats. Il ressort de ce long chapitre que l'AMGOT n'a probablement jamais été une intention réelle de la part des dirigeants américains. D'ailleurs la dernière phrase du chapitre le dit clairement. " L'AMGOT, plaie vive de la mémoire gaulliste, est une fiction de mauvais goût qu'il faut classer dans les chapitres d'histoire écrits sur des interprétations de légendes "
le troisième chapitre intitulé de " Omaha Beach à Yalta " traite de la présence des soldats américains sur le sol français. le débarquement a été une libération pour le peuple opprimé par les nazis, mais dans beaucoup de cas, la désillusion est vite apparue suite au comportement des GI's, qui au delà des images de distributions de chewing-gums et autres denrées inconnues en France, ont rapidement surpris les français: la ségrégation qui régnait dans leurs rangs, leur goût prononcé pour l'alcool, qui entrainait des débordements, des viols, le marché noir. Les français qui pensaient que l'arrivée des alliés allait lever le rationnement, ont été déçus. La désorganisation du pays engendrait beaucoup de gaspillage. Il a fallu tout réorganiser, les problèmes de main-d'oeuvre, la circulation routière en ménageant des voies assez rapides pour les véhicules militaires. " Les alliés voulaient la victoire, les français : la liberté ". Jusqu'au à la fin, les américains refusaient la présence de
De Gaulle au niveau des grandes conférences de sortie du conflit.
Malgré tout, la dernière phrase rappelle la réalité du sacrifice des soldats américains
" prés de 500 000 sont morts pour délivrer le monde des puissances de l'Axe "
Je fais un seul reproche à ce livre dans la quatrième de couverture l'éditeur emploi l'expression " des plages de la Manche aux poches de L'Atlantique ", nulle part il n'est fait mention du bombardement de la poche de Royan le 5 janvier 1945 qui lui aussi à son niveau a pourtant fait l'objet d'une belle controverse, sur son utilité, sur les motivations des alliés, et la nature des bombes utilisées.
C'est un livre pas très facile à lire mais passionnant car il est complet sur les sujets qu'il traite. Je remercie " nouveau monde éditions " et Babelio de m'avoir permis une plongée dans notre histoire.