Le Treizième Disciple

Chapitre 1

C'était par un matin glacial et couvert où le jour ne s'était pas levé, quelques semaines avant Noël. Mare sortait justement pour aller travailler quand son téléphone portable sonna. C'était sa mère.
- Soeur Margaret Thomas vient de décéder.
- Qui ?
La question avait fusé dans un mâchonnement confus. Mare faisait descendre la dernière bouchée d'une Pop-Tart à la framboise avec le reste de son café instantané. Les quelques derniers cristaux laissèrent des traces sombres au fond de la tasse.
Sa mère répondit impatiemment :
- Ta tante Meg, la religieuse. Je suis très peinée.
Il y eut un instant de silence au bout du fil. On n'avait pas reçu de nouvelles de la tante de Mare depuis des lustres.
- Mare, tu es là ?
Sans attendre de réponse, sa mère poursuivit.
- Le couvent refuse de me dire comment elle est morte. Ils ont simplement dit qu'elle avait disparu. Disparu ? Meg avait à peine cinquante ans. Il faut que tu y ailles à ma place.
- Qu'est-ce qui t'empêche d'y aller ?
Mare en voulait à sa mère pour diverses raisons. Notamment parce que celle-ci n'était jamais à court d'exigences, rutiles et insignifiantes pour la plupart. En formuler une, c'était sa façon de tirer sur les jupes de sa fille. La voix au téléphone se fit cajoleuse.
- Tu sais bien que j'ai peur des religieuses.
- Meg était ta soeur.
- Ne sois pas sotte. Ce sont les autres religieuses qui me font peur. On dirait d'effrayants pingouins. Signe ce qu'il faut pour qu'elles autorisent la sortie du corps. Elle n'a que nous - ou plutôt n'avait.
Sa mère se mit à pleurer doucement.
- Ramène ma chère soeur à la maison. Tu veux bien ? Personne n'ayant parlé de tante Meg depuis des années, «chère soeur» sembla un peu insincère. Mais le travail auquel Mare se rendait était en intérim, et il lui était facile d'appeler pour dire qu'elle était malade.
- Je ferai ce que je pourrai, répondit-elle.
Un moment plus tard, elle roulait vers l'ouest sur l'autoroute à péage, écoutant à moitié un album de James Taylor sorti vingt ans plus tôt, à peu près à l'époque où sa Honda Civic ferraillante avait vu le jour. La Grande Récession avait porté un coup d'arrêt à une carrière que Mare n'avait pas encore vraiment choisie. Comme d'autres issus de sa génération, elle allait à la dérive, tracassée de mois en mois par la perspective de devoir revenir habiter chez ses parents. Cela impliquerait de choisir entre les deux. Sa mère était restée dans la vieille maison après le divorce. Son père avait déménagé à Pittsburgh avec sa nouvelle femme et pensait, généralement, à appeler à Noël et pour son anniversaire.
Elle se regarda d'un coup d'oeil dans le rétroviseur, remarquant une bavure écarlate là où elle avait passé son rouge à lèvres sans soin. Pourquoi s'était-elle figuré que des religieuses voudraient la voir maquillée ?

Si je ne suis pas Dieu pourquoi ne me le dit-il pas ? Non, il est occupé, C'est moi qui te le dit à sa place.