Un "Que sais-je" dans la plus parfaite acception du terme : bref, bien informé, allant à l'essentiel, faisant le tour de son sujet et ouvrant sur d'autres lectures. En particulier, l'amateur d'art ancien voudra en savoir plus sur les premières inscriptions chinoises sur os, destinées à prédire l'avenir, ou aux bronzes écrits (cf "Les 214 clés de l'écriture chinoise" de Paul Morel et de XU Guang Cun). Le curieux sensible à l'exotisme adorera cette anecdote du lettré, qui se surpassa dans un exercice calligraphique improvisé sur soie, avec un pinceau en moustaches de souris. le linguiste et l'historien apprendront que loin d'être restés confinés en vase clos, ignorant tout du monde extérieur, les Chinois connurent très tôt, par le bouddhisme sanskrit, les alphabets, les langues étrangères, et bien que plusieurs fois dans leur histoire, des Mongols à Mao, on ait tenté de leur imposer un alphabet "simplifié", la force interne de leur civilisation et de leur culture tint en échec toutes ces tentatives.
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On peut supposer que la proscription des "Cent Ecoles", qui se matérialisa par le fameux "brûlement des livres" (213 av. J.C.) fut, entre autres raisons, édictée pour supprimer les oeuvres écrites dans des graphies "corrompues", et empêcher ainsi la conservation d'écritures propres aux anciennes principautés, fondues dans l'empire de Qin. Peut-être était-ce le seul moyen d'imposer la nouvelle norme et de dévaluer toutes les autres formes. Selon D. Bodde : "Si cette hypothèse est exacte, le brûlement des livres -- qui ne réussit pas à plonger dans l'oubli les Classiques antérieurs -- fut pour l'essentiel un succès : un siècle et demi après, les lettrés Han avaient grand mal à déchiffrer les livres en écritures 'anciennes'."
p. 76
(suite des aventures du manuscrit) Jusqu'à ce que s'instaure l'usage des expositions de calligraphie, l'accès aux documents authentiques était très limité, d'autant plus que les empereurs n'hésitaient pas à user du droit de l'Etat sur les "biens culturels". Par exemple, l'empereur Tai-zong, des Tang, ordonna en 636 de rassembler, pour ses collections, tous les exemplaires de l'écriture de Wang Xizhi. On trouva près de trois mille manuscrits, qui furent réunis en volumes, mais le Lan ting xu manquait. On supposait qu'un moine l'avait hérité de son maître, descendant de l'auteur. Un haut fonctionnaire envoyé en mission auprès de lui gagna sa confiance, obtint de voir le manuscrit et le confisqua. L'empereur le fit copier par les plus grands calligraphes de sa cour et, quand il mourut en 649, l'original du Lan ting xu fut enterré avec lui.
pp. 100-101
L'attention portée à l'exécution graphique est probablement aussi ancienne que l'écriture chinoise elle-même, ainsi qu'en témoignent les premières inscriptions sur bronze, dont la beauté ne saurait être le fruit du hasard. Si l'on en croit la tradition, le grand ministre qui présida à la première normalisation de l'écriture (vers 800 av. J.C.) traça de sa main les caractères chinois. De nos jours encore, ce n'est pas une affaire négligeable : lorsque, en 1966, on décida de changer la dénomination de l'Université de Pékin, c'est le président Mao Zedong qui calligraphia lui-même les caractères de la nouvelle appellation. Le souci de bien écrire est apparu d'abord comme une affaire d'Etat.
p. 89
On raconte que Wang Xizhi (307-365) écrivit un des chefs-d'oeuvre du style cursif (xingshu), alors qu'il se trouvait avec un groupe de parents et d'amis, au mois d'avril, dans un paysage de montagnes, forêts, bambous, ruisseaux, en un lieu appelé "Pavillon de l'orchidée" (Lan ting). Il composa un texte en prose pour commémorer ce jour heureux et le traça "sur un papier fait de cocon de soie, avec un pinceau de moustache de souris". Ce morceau de calligraphie (le Lan ting xu) est considéré comme un chef-d'oeuvre inégalé, que l'auteur lui-même, après ce moment d'inspiration privilégié, ne put reproduire.
p. 99-100