Avec de courts récits d'une réalité fantasmée, l'auteur dévoile vingt-deux portraits de femmes dans des instants brefs, mystérieux, féroces, magiques et charnel. L'écriture onirique pleine d'une vigueur animale s'enracine dans l'essence d'une île. Les mots qui les racontent sont riches. Ils dégagent de la grâce, de l'esprit, mais aussi beaucoup de violence qui monte crescendo. Dans toutes les nouvelles, la nature entre en communion avec ces femmes, et j'ai aimé m'attacher à la description végétale et minérale, dans une émanation païenne, druidique, "sorcière".
Bousculées, malmenées, en phase de rédemption et de reconstruction, ces femmes tentent de survivre en restant maîtresses de leur existence. Cependant, malgré une belle écriture, je ne suis pas entrée en phase avec leurs histoires. Je suis désolée...
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D'Helsinki, la cabane est à une heure. Les renards aussi sont attirés par l'île, du bois flotté les porte ou si la mer gèle ils parcourent la distance. Après elle les a constamment à l'esprit. Ils s'accouplent avec des cris glaçants et sèment leurs crottes noires.
D'à peine quelques ares, voilà l'île, c'est même curieux qu'il y en ait tant, des arbres minces et argentés. Elle ouvre les volets qu'elle fait claquer, un écureuil dégringole. La nuit, l'œil du renard est sur la fenêtre, elle pense à une bête isolée amoureuse de la lampe, hier elles étaient trois, trois ombres.
Elle est seule, sans réseau. Une anguille dans du vomi sur le sentier, à l'avant on dirait des pattes. La remettre dans la nature serait trop dangereux, de toute façon elle se tire par une fissure.
Les livres ici par caisses. Elle lit emmitouflée dans son duvet près du poêle, de temps en temps elle doit se secouer pour ne pas mourir de froid. La corvée des bûches est ce qu'il y a de plus pénible. C'est arrivé qu'il neige même en avril, qu'elle s'accumule sur le rebord des fenêtres. Enfant, elle attendait que le renard roux se change en renard argenté.
Elle est inquiète, elle n'a aucune envie de revoir ces gens couverts de taches de vieillesse qui débarquent sans prévenir. Trois tout petits vieillards. Ils prétendent que l'île leur appartient. Plus question de serrer dans les siennes leurs mains âgées, de supporter leur regard. Comment envisager la suite ? L'île va-t-elle renâcler et son fantôme quitter en fumerolles? Pas une mince affaire.
En attendant, elle donne à manger au rêve, le rêve mange dans sa main. Elle sent sa bouche se fendre jusqu'aux dents. [...]
"Je pars en forêt de bord saboter une chasse à courre, nous serons une dizaine".
Jeanne trésaille, la dernière fois qu'elle a mis les pieds dans cette forêt elle est
tombée sur un cadavre. Le corps d'une biche. On lui avait tiré dessus à bout
portant, trois balles dans la tête. Il ne lui restait plus que la peau sur les os,
que les os par endroit. C'est le temps qu'il l'avait déchirée, les autres bêtes
n'en avaient pas voulu.
"Je veux venir !" En participant, elle aura l'impression de rétablir l'équilibre, de
rééquilibrer les forces entre elles.
Au bas du ventre des statues d'éphèbes, des dieux patriarches, des héros, les organes génitaux sautaient aux yeux, certains sculpteurs avaient même poussé le luxe de représenter les boucles de la toison. En revanche, le sillon vulvaire manquait toujours aux déesses et aux nymphes, cet endroit était désespérément lisse.
[p71]
C'est juste après l'extinction des feux, dans la seconde qui suit, qu'on peut
parler d'obscurité. Dans cette nuit noire l'Ombre ne pourra pas me suivre, alors je regarde apaisée neiger les minéraux, les petits micas laiteux qui
forment le fond du silence de la nuit.
On vient d'allumer le couloir, il suffit d'un trait sous la porte. Mon extase se
casse net, la nuit insondable s'enfuit et à la place il y a l'Ombre. Elle est
revenue.
"Elle passe ses soirées dans la baignoire de l'eau jusqu'au menton. Tout son
être s'épanouit, tous ses orifices. Un minuscule fantôme fuse de son vagin
pendant qu'elle joue à aspirer / rejeter et l'eau en est légèrement troublée.
Cette eau passée par les intérieurs de son sexe se mêle à la grande eau du
bain, y ajoute ses microparticules et sa laitance".
Avec Antonella Anedda, Michel Deguy, Jacques Demarcq, Benoît Casas, Andrea Inglese, Sophie Loizeau, Valerio Magrelli, Claude Mouchard, Guido Mazzoni & Martin Rueff
Andrea Zanzotto est né il y a cent ans et mort il y a dix. Ce double anniversaire, marqué par d'importantes publications posthumes, Erratici, disperse e altre poésie (1937-2011 – Francesco Carbognin éd., Mondadori, 2021), Traduzioni, trapianti, imitazioni (Giuseppe Sandri éd., Mondadori, 2021) est l'occasion de nombreuses célébrations en Italie comme en France. Dans le cadre d'un colloque de trois jours, « Zanzotto europeo, la sua poesia di movimento » (25-27 novembre 2021), organisé par Giorgia Bongiorno, Laura Toppan, Andrea Cortellessa et Martin Rueff, la Maison de la Poésie accueille cette soirée exceptionnelle. Des poètes de France et d'Italie évoqueront la figure d'Andrea Zanzotto, l'importance de son oeuvre, la fécondité de son héritage.
Le programme du colloque est consultable sur le site de l'Institut Culturel Italien
À lire – Andrea Zanzotto, Venise, peut-être, trad. de l'italien par Jacques Demarcq et Martin Rueff, éd. NOUS, 2021.
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