Lus il y a très longtemps mais étant déjà adulte, certains dans leur version théâtrale et mis en scène avec des collégiens, je les ai reparcourus avec bonheur.
Destinés, selon l'auteur dans sa préface, aux personnes qui « aiment les histoires » ces contes nous font retourner directement en enfance où toute part de réalisme est ôtée, mais où la peur côtoie la grande tendresse, où l'étonnement rivalise avec la crédulité. Ces contes fourmillent de bons mots, de tours joués par un personnage à un autre, d'évènements magiques… Il s'agit de vrais contes de fées même si l'on y croise plus souvent des sorcières.
Ces contes sont toutefois localisés en plein Paris, dans un quartier précis longuement dépeint par Gripari dans la préface. On sent l'amour de l'auteur pour ces lieux qui sont ses racines.
Le parti pris de l'auteur est clair et irrévocable : c'est celui du narrateur pour les enfants qu'il comprend et avec lesquels il a une grande complicité.
Je n'ai pas de conte préféré, tous me plaisent et j'aime à les relire, m'attardant chaque fois sur un détail différent. Ils m'étaient apparus très scéniques (qui plus est dans la version théâtrale) et cette fois c'est leur côté très picturaux, imagés, que je retiens. Et chaque fois le plaisir des mots qui composent les histoires. Publiés pour la première fois en 1966, ils sont indémodables !
A savourer sans modération !
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J'ai du lire ce livre quand j'avais onze ans. A cette époque, lire un livre de la première à la dernière page était un exploit digne du livre Guiness des records (j'exagère à peine).
Et pourtant, je l'avais lu sans me faire prier, même s'il faisait partie de la liste de livres à étudier au cours de l'année de sixième. Il semble d'ailleurs, à la lecture d'autres critiques, que nous fûmes nombreux dans ce cas.
Eh bien je peux vous rassurer, fidèles de la rue Broca et des rues adjacentes, les contes de Gripari fonctionnent toujours sur la nouvelle génération de lecteurs. Ma fille (9 ans mais pas toutes ses dents, petite souris oblige) est une adepte de la famille de Nadia et des autres membres de la bande.
Nous avons commencé ensemble la lecture (enfin surtout moi à haute voix), puis elle a continué toute seule. Et maintenant elle écoute la version audio (lue par l'auteur) en boucle sur son lecteur de CD.
La fantaisie de M. Gripari n'a pas d'age, elle traverse le temps et fonctionne toujours, que ce soit sur une petite fille de 9 ans ou sur son père de 40.
Alors ne vous privez pas, lisez, relisez et faites lire. Il y a des trésors d'imagination, de drôlerie, de sentiments variés qui vous attendent dans ces pages.
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LA SORCIERE DU PLACARD A BALAIS
C'est moi, monsieur Pierre, qui parle, et c'est à moi qu'est arrivé l'histoire.
Un jour, en fouillant dans ma poche, je trouve une pièce de cinq nouveaux francs. Je me dis : « Chouette ! Je suis riche ! Je vais pouvoir m'acheter une maison ! »
Et je cours aussitôt chez le notaire :
« Bonjour, monsieur le Notaire ! Vous n'auriez pas une maison dans les cinq cents francs ?
- Cinq cents francs comment ? Anciens ou nouveaux ?
- Anciens, naturellement !
- Ah non, me dit le notaire, je suis désolé ! J'ai des maisons à deux millions, à cinq millions, à dix millions, mais pas à cinq cents francs. »
Moi, j'insiste quand même :
« Vraiment ? Et en cherchant bien, voyons... Pas même une toute petite ? »
À ce moment, le notaire se frappe le front :
« Mais si, j'y pense ! Attendez un peu... »
Il fouille dans ses tiroirs et en tire un dossier.
« Tenez, voici : une petite villa située sur la grand-rue, avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais.
- Combien ?
- Trois francs cinquante. Avec les frais, cela fera cinq nouveaux francs exactement.
- C'est bon, j'achète. »
Je pose fièrement sur le bureau ma pièce de cent nouveaux sous. Le notaire la prend, et me tend le contrat.
« Tenez, signez ici. Et là, vos initiales. Et là encore. Et là aussi ».
Je signe et je lui rends le papier en lui disant :
« Ça va, comme ça ? »
Il me répond :
« Parfait, Hihihihi ! »
Je le regarde, intrigué :
« De quoi riez-vous ?
- De rien, de rien... Haha ! »
Je n'aimais pas beaucoup ce rire. C'était un petit rire nerveux, celui de quelqu'un qui vient de vous jouer un méchant tour.
Je demande encore :
« Enfin quoi, cette maison, elle existe ?
- Certainement, Héhéhé !
- Elle est solide, au moins ? Elle ne va pas me tomber sur la tête ?
- Hoho ! Certainement non !
- Alors ? Qu’est-ce qu'il y a de drôle ?
- Mais rien, je vous dis ! D'ailleurs, voici la clé, vous irez voir vous-même... Bonne chance ! Houhouhou ! »
Je prends la clé, je sors, et je vais visiter la maison.
C'était, ma foi, une fort jolie maison, coquette, bien exposée, avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais. La visite une fois terminée, je me dis :
« Si j'allais saluer mes nouveaux voisins ? »
Allez, en route ! Je vais frapper chez mon voisin de gauche :
« Bonjour, voisin ! Je suis votre voisin de droite ! C'est moi qui viens d'acheter la petite maison avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais ! » Là-dessus je vois le bonhomme qui devient tout pâle. Il me regarde d'un air horrifié, et pan ! sans une parole, il me claque la porte au nez !
Moi, sans malice, je me dis :
« Tiens ! Quel original ! »
Et je vais frapper chez ma voisine de droite :
« Bonjour, voisine ! Je suis votre voisin de gauche ! C'est moi qui viens d'acheter la petite maison avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais ! » Là dessus, je vois la vieille qui joint les mains, me regarde avec infiniment de compassion et se met à gémir :
« Hélas, mon pauv' monsieur, v'z’ avez ben du malheur ! C'est-y pas une misère, un gentil p'tit jeune homme comme vous ! Enfin p'tête ben qu'vous vous en sortirez... Tant qu'y a d'la vie y a de l'espoir, comme on dit, et tant qu'on a la santé... »
Moi, d'entendre ça, je commence à m'inquiéter :
« Mais enfin, chère madame, pouvez-vous m'expliquer, à la fin ? Toutes les personnes à qui je parle de cette maison... »
Mais la vieille m'interrompt aussitôt :
« Excusez-moi, mon bon monsieur, mais j'ai mon rôti au four... Faut que j'y alle voir si je veux point qu'il grâle ! »
Et pan ! Elle me claque la porte au nez, elle aussi.
Cette fois, la colère me prend. Je retourne chez le notaire et je lui dit :
« Maintenant, vous allez me dire ce qu'elle a de particulier, ma maison, que je m'amuse avec vous ! Et si vous ne voulez pas me le dire, je vous casse la tête ! »
Et, en disant ces mots, j'attrape le gros cendrier de verre.
Cette fois, le type ne rit plus :
« Hé ! là, doucement ! Calmez-vous, cher monsieur ! Posez ça là. Asseyez-vous !
- Parlez d'abord !
- Mais oui, je vais parler ! Après tout, maintenant que le contrat est signé, je peux bien vous le dire...la maison est hantée !
- Hantée ? Hantée par qui ?
- Par la sorcière du placard aux balais !
- Vous ne pouviez pas me le dire plutôt ?
- Eh non ! Si je vous l'avais dit, vous n'auriez plus voulu acheter la maison, et moi je voulais la vendre. Hihihi !
- Finissez de rire, ou je vous casse la tête !
- C'est bon, c'est bon...
- Mais dites-moi donc, j'y pense : Je l'ai visité, ce placard aux balais, il y a un quart d'heure à peine... Je n'y ai pas vu de sorcière !
- C'est qu'elle n'y est pas dans la journée ! Elle ne vient que la nuit !
- Et qu'est-ce qu'elle fait, la nuit ?
- Oh ! Elle se tient tranquille, elle ne fait pas de bruit, elle reste là, bien sage, dans son placard...seulement, attention ! Si vous avez le malheur de chanter :
Sorcière, sorcière,
Prends garde à ton derrière !
À ce moment là, elle sort... Et c'est tant pis pour vous ! »
Moi, en entendant ça, je me relève d'un bond et je me mets à crier :
« Espèce d'idiot, Vous aviez besoin de me chanter ça ! Jamais il ne me serait venu l'idée d'une chose pareille ânerie ! Maintenant, je ne vais plus penser à autre chose !
- C'est exprès ! Hihihi ! »
Et, comme j'allais sauter sur lui, le notaire s'enfuit par une porte dérobée.
Que faire ? Je rentre chez moi en me disant :
« Après tout, je n'ai qu'à faire attention... Essayons d'oublier cette chanson idiote ! »
Facile à dire ! Des paroles comme celles-là ne se laissent pas oublier ! Les premiers mois, bien sûr, je me tenais sur mes gardes... Et puis, au bout d'un an et demi, la maison, je la connaissais, je m'y étais habitué, elle m'était familière... Alors j'ai commencé à chanter la chanson pendant le jour, aux heures où la sorcière n'était pas là... Et puis dehors, où je ne risquais rien... Et puis je me suis mis à la chanter la nuit, dans la maison - mais pas entièrement ! Je disais simplement :
Sorcière, sorcière...
et puis je m'arrêtais. Il me semblait alors que la porte du placard aux balais se mettait à frémir... Mais comme j'en restais là, la sorcière ne pouvait rien. Alors, voyant cela, je
me suis mis à en dire chaque jour un peu plus :
Prends garde... puis Prends garde à... et puis Prends garde à ton... et enfin Prends garde à ton derr... je m'arrêtais juste à temps ! Il n'y avait plus de doute, la porte frémissait, tremblait, sur le point de s'ouvrir... Ce que la sorcière devait rager, à l'intérieur !
Ce petit jeu s'est poursuivi jusqu'à Noël dernier.
Cette nuit-là, après avoir réveillonné chez des amis, je rentre chez moi, un peu pompette, sur le coup de quatre heures du matin, en me chantant tout au long de la route :
Sorcière, sorcière
Prends garde à ton derrière !
Bien entendu, je ne risquais rien, j'étais dehors. J'arrive dans la grand-rue :
Sorcière, sorcière...
Je m'arrête devant ma porte :
Prends garde à ton derrière ! ...
Je sors la clef de ma poche :
Sorcière, sorcière…
je ne risquais toujours rien... Je glisse la clef dans la serrure :
Prends garde à ton derrière...
Je tourne, j'entre, je retire la clef, je referme la porte derrière moi, je m'engage dans le couloir en direction de l'escalier...
Sorcière, sorcière,
Prends garde à ton derrière !
Zut ! Ça y était ! Cette fois, je l'avais dit !
Au même moment j'entends, tout près de moi, une petite voix pointue, aigre, méchante :
« Ah, vraiment ! Et pourquoi est-ce que je dois prendre garde à mon derrière ? »
C'était elle. La porte du placard était ouverte, et elle était campée dans l'ouverture, le poing droit sur la hanche et un de mes balais dans la main gauche. Bien entendu, j'essaye de m'excuser :
« Oh ! Je vous demande pardon, madame ! C'est un moment de distraction... J'avais oublié que... Enfin, je veux dire... J'ai chanté ça sans y penser...
- Sans y penser ? Menteur ! Depuis deux ans tu ne penses qu'à ça ! Tu te moquais de moi, n'est-ce pas, lorsque tu t’arrêtais au dernier mot, à la dernière syllabe ! Mais moi, je me disais : Patience, mon mignon ! Un jour, tu la cracheras, ta petite chanson, d'un bout à l'autre, et ce jour là ce sera mon tour de m'amuser...Eh bien, voilà ! C'est arrivé ! »
Moi, je tombe à genoux et je me mets à supplier :
« Pitié, madame ! Ne me faites pas de mal ! Je n'ai pas voulu vous offenser ! J'aime beaucoup les sorcières ! J'ai de très bonne amies sorcières ! Ma pauvre mère elle-même était sorcière !
Si elle n'était pas morte, elle pourrait vous le dire... Et puis d'ailleurs, c'est aujourd'hui Noël ! Le petit Jésus est né cette nuit... Vous ne pouvez pas me faire disparaître un jour pareil !... »
La sorcière me répond :
« Taratata ! Je ne veux rien entendre ! Mais puisque tu as la langue si bien pendue, je te propose une épreuve : tu as trois jours, pour me demander trois choses. Trois choses impossibles ! Si je ne suis pas capable de te les donner, je m'en vais pour toujours et tu ne me verras plus. Allez, je t'écoute ! »
Moi, pour gagner du temps, je lui réponds :
« Ben, je ne sais pas... Je n'ai pas d'idée... Il faut que je réfléchisse... Laissez-moi la journée !
- C'est bon, dit-elle, je ne suis pas pressée. À ce soir ! »
Et elle disparaît.
Pendant une bonne partie de la journée, je me tâte, je me creuse, je me fouille les méninges - et tout à coup je me souviens que mon ami Bachir a deux petits poissons dans un bocal,et que ces deux petits poissons, m'a-t-il dit, sont magiques. Sans perdre une seconde, je fonce rue Broca et je demande à Bachir :
« Tu as toujours tes deux petits poissons ?
- Oui. Pourquoi ?
- Parce-que, dans ma maison, il y a une sorcière, une vieille, une méchante sorcière. Ce soir, je dois lui demander quelques choses d'impossible. Sinon, elle m'emportera. Tes petits poisso
— Bonjour, monsieur Saïd.
— Bonjour, Madame. Vous désirez ?
— Je voudrais Nadia.
— Hein ?
— Oh, pardon ! Je voulais dire : une boîte de sauce tomate.
— Ah, bon ! Une petite ou une grande ?
— Une grande, c'est pour Nadia...
— Quoi ?
— Non, non ! Je voulais dire : c'est pour manger des spaghetti...
— Ah, bien ! Justement, j'ai aussi des spaghetti...
— Oh, ce n'est pas la peine, j'ai déjà Nadia...
— Comment ?
— Excusez-moi, je voulais dire : les spaghetti, je les ai déjà chez moi...
— En ce cas... voici la boîte.
La vieille prit la boîte, la paya, puis, au lieu de partir, se mit à la soupeser.
— Hum ! C'est peut-être un peu lourd... Est-ce que vous ne pourriez pas...
— Quoi ?
— Envoyez Nadia la porter chez moi ?
Mais Papa Saïd se méfiait.
(La sorcière de la rue Mouffetard)
— Bonjour, monsieur le Notaire ! Vous n'auriez pas une maison, dans les cinq cents francs ?
— Cinq cents francs comment ? Anciens ou nouveaux ?
— Anciens, naturellement !
— Ah non, me dit le notaire, je suis désolé ! J'ai des maisons à deux millions, à cinq millions, à dix millions, mais pas à cinq cents francs !
Moi, j'insiste quand même :
— Vraiment ? En cherchant bien, voyons... Pas même une toute petite ?
A ce moment le notaire se frappe le front :
— Mais si, j'y pense ! Attendez un peu...
Il fouille dans ses tiroirs et en tire un dossier :
— Tenez, voici : une petite villa située sur la grand-rue, avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais.
— Combien ?
— Trois francs cinquante. Avec les frais, cela fera cinq nouveaux francs exactement.
— C'est bon, j'achète.
(La sorcière du placard aux balais)