Les ambassades de la Françafrique : L'héritage colonial de la diplomatie frnaçaise

Ma critique, à paraître dans la revue "Afrique contemporaine" :

Créée il y a près de quarante ans, l'association Survie a fait de la dénonciation des turpitudes de la Françafrique son cheval de bataille. L'un de ses anciens présidents, François-Xavier Verschave, décédé en 2005, avait été le premier à explorer ce fertile filon : La Françafrique : le plus long scandale de la République (1998), Noir silence (2000), Noir procès (2001), Noir Chirac (2002), etc. La thèse en était simple sinon simpliste : la politique africaine de la France depuis les indépendances est un mélange toxique de paternalisme et d'affairisme menée avec la complicité des dirigeants africains et au détriment des populations locales.

Journaliste d'investigation, Michael Pauron a travaillé pour Jeune Afrique, Mediapart, Libération ou Afrique XXI. Il a sillonné l'Afrique et en connaît bien les ambassades dont il instruit le procès en règle : à l'en croire, elles symboliseraient « l'héritage colonial » de la France en Afrique. Il les accuse de tous les maux.

Son ouvrage est constitué d'une dizaine de courts chapitres d'une lecture très agréable, construits chacun comme autant de reportages. Leur organisation ne suit pas un plan très clair. Il y est question du luxe insolent dans lequel vivraient les diplomates français en Afrique, du comportement de certains d'entre eux, de leurs excès (un chapitre croquignolesque est intitulé « Ivresse et sexe »), de leur mesquinerie avec leurs employés de maison, de la confusion qu'ils entretiennent entre le service public et les intérêts privés et, parfois, des détournementsde fonds ou des violences sexuelles dont ils se sont rendus coupables.

Le livre de Michael Pauron – comme ceux de Vincent Jauvert (La Face cachée du Quai d'Orsay, 2016) ou de Franck Renaud (Les Diplomates, 2010) – fourmille d'anecdotes croustillantes et hélas avérées. Il entretient la caricature de l'ambassadeur menant une vie de nabab, occupant son temps à distribuer des Ferrero Rocher aux réceptions qu'il organise. Il jette le discrédit sur une profession toute entière à partir de quelques cas individuels. Même s'il soutient le contraire, il sous-estime les évolutions radicales qu'ont connues les ambassades et les diplomates qui y servent depuis quarante ans : les conditions de recrutement, les carrières – qui ne se limitent plus au « pré carré » francophone – les habitudes de travail avec les autres partenaires européens et avec la délégation de l'Union européenne ont radicalement changé. Il aurait suffi pour s'en convaincre d'étudier le profil de nos chefs de poste actuels à Dakar, à Abidjan ou à Addis Abeba.

Pire : tout pour lui fait système. Chaque anecdote constitue un élément supplémentaire dans le procès à charge qu'il instruit contre la Françafrique au risque parfois de la contradiction : que la France s'immisce dans les affaires intérieurs d'un Etat, elle s'ingère, qu'elle s'en désintéresse, elle encourt le reproche d'abandonner l'Afrique au mépris de ladette historique qu'elle y a contractée.

À lire le livre de Michael Pauron, on a le sentiment que rien n'a changé depuis l'époque où François-Xavier Verschave publiait ses philippiques. Comme si les détracteurs de la Françafrique exploitaient une rente de situation qu'il fallait à tout prix conserver. Or le monde change : la France n'est plus seule, loin de là, en Afrique, dont les pays se sont tournés vers l'URSS ou vers les Etats-Unis pendant la Guerre froide, vers la Chine depuis les années 2000, au risque de vite découvrir les limites de cette coopération soi-disant mutuellement bénéfique, vers la Russie aujourd'hui.

Les diplomates français ne sont pas soudainement devenus plus vertueux. Mais ils ne jouissent plus de la situation monopolistique dont jouissaient leurs prédécesseurs. Et plus important encore : ils ne disposent plus des mêmes moyens. Quand bien même ils voudraient encore exercer le rapport de domination que Michael Pauron fantasme, ils en seraient tout simplement incapables. La débandade française au Mali, un pays avec lequel la France avait toujours entretenu les meilleures relations, dont elle accueille une nombreuse diaspora sur son sol et avec lequel la rupture n'était pas imaginable, en est la preuve éclatante. Si la Françafrique existait encore, l'ambassadeur de France n'aurait pas été renvoyé de Bamako comme il l'a été.

Depuis l'indépendance de ses ex-colonies d'Afrique subsaharienne et leur accession à la souveraineté dans les années 1960, l'administration française semble occuper une place importante dans leurs destinées, par l'intermédiaire de ses ambassadeurs. Corruption, négligence, racisme, l'enquête de Michael Pauron dévoile des liens de dépendance et d'ingérence, hérités de la colonisation.
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Un état des lieux implacable du réseau des ambassades françaises en Afrique, comme moyen de préservation des rapports coloniaux.

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