Je chantais, et sur leur sommet neigeux les sirènes restaient muettes d'étonnement ; leurs chants avaient cessé. L'une jeta sa flûte, l'autre jeta sa cithare, et elles soupirèrent profondément, car l'heure fatale de leur mort était venue. Du sommet des rochers elles se précipitèrent elles-mêmes dans les ondes mugissantes de l'abîme : leurs beaux corps dont les formes étaient si charmantes furent changés en rochers.
La voix mélodieuse de ma lyre se répandait à travers les profondeurs étroites de la caverne ; les hauts sommets et les vallées ombreuses du Pélion furent émues, et la voix parvint jusqu’aux chênes élevés : ébranlés dans leurs plus profondes racines, ils s’approchèrent de la caverne ; [...] les bêtes féroces, entendant nos chants, arrivaient rapidement devant la grotte ; les oiseaux, se soutenant à peine sur leurs ailes fatiguées, oublièrent leurs nids et environ- nèrent la demeure du Centaure. Le Centaure vit ces prodiges et fut étonné, il frappa ses mains et de son pied il fit retentir la terre.
Argo, toi dont les flancs sont tissus de chênes et de sapins assujétis ensemble, écoute ma voix, car déjà tu l’as entendue lorsque je charmais par mes accens les arbres des épaisses forêts, et que les rochers inaccessibles, abandonnant les montagnes, descendaient à mes accents. Viens donc, avance-toi dans les sentiers de la mer parthénienne et hâte-toi de traverser les flots jusqu’aux rives du Phase. Viens, confiant dans la puissance de ma lyre et dans les paroles divines qui sortent de ma bouche.
Mais le navire demeurait pesamment enfoncé dans le sable, et, retenu sur le sol par les algues desséchées, il refusait d’obéir aux mains puissantes des héros. Le cœur de Jason fut saisi de douleur : il jeta sur moi un regard pénétrant, et me fit signe de ranimer par mes accords le courage et la force de ses compagnons fatigués. Alors je tendis ma lyre, je répétai les chants harmonieux que j’avais appris de ma mère, et ma voix mélodieuse s’élança de mon sein.
J’invoquai le som- meil, le roi des dieux et des hommes, pour qu’il vînt au plus tôt calmer la colère du terrible dragon. [...] Il arriva porté sur ses ailes d’or [...]. Il s’empara aussitôt des yeux de l’immense dragon. Le monstre recourba son cou chargé d’écailles et ramena sa tête sous son ventre.
POÉSIE ANTIQUE – Méditation sur la Toison d’or (France Culture, 1976)
L’émission « L'autre scène ou les vivants et les dieux », par Claude Mettra, diffusée le 29 novembre 1976 sur France Culture. Présences : Claude Gaignebet et Denise Barrère. Lecture : Murielle Corneille.