Il arrive que des artistes s'arriment à l'anarchie pour y faire étape , le temps d'une inspiration , et s'en détachent , une fois la gloire venue , comme on se guérit des colères . le phénomène est connu et longue la liste de ces oiseaux de passage qui se posèrent , un temps , sur la " claire tour " avant d'aller voir ailleurs . Au nombre des exceptions , il faut bien sûr compter
Léo Ferré dont l'anarchie berça la poésie au temps de la mouise , et qui , à l'heure du succès , continua de s'y inventer , en solitaire solidaire des " chemins de traverse " . La rencontre de Ferré avec les anarchistes eut lieu au début des années 1950 , mais elle venait de loin -- d'une enfance , disait-il , où la découverte fortuite du mot " anarchie " dans le Larousse avait ouvert , à l'entendre , une brèche définitive dans le mur de la soumission . A travers ce livre ,
Max Leroy s'intéresse aux rapports fraternels et suivis que Ferré entretint , sa vie durant ,avec l'anarchie . Il le fait sans jamais céder à sa manie moderne de l'anecdotique et en allant au fond des choses . Au début , il y a le partage avec quelques frangins de hasard dont la révolte esthétique lui paraît coïncider avec la sienne , mais il y a surtout l'Espagne , l'Espagne de la " désirade " , l'Espagne des " camarades " , celle qui attend " le chemin du retour " . Cette Espagne , Ferré en fera , du " Flamenco de Paris " aux " Anarchistes " , une" balise " de son identité libertaire :
" Pour l'anarchiste à qui tu donnes
Les deux couleurs de ton pays
le rouge pour naître à Barcelone
le noir pour mourir à Paris " ( " Thank you Satan " )
Car l'Espagne , c'est tout à la fois la légende des combats , la solitude des défaites et le poids de l'exil , trois dimensions qui , symboliquement , ont beaucoup à voir avec cette " formulation politique du désespoir " , qui , pour Ferré , définissait mieux que tout l'anarchie . de chapitres en chapitres ,
Max Leroy explore son univers intime , contradictions comprises , pour dresser un tableau subtil de cet artiste hors pair qui réinterpréta l'anarchie comme état d'âme .
Monica Gruszka .