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Mikaël Cabon (Traducteur)
EAN : 9791036001314
128 pages
L’Atalante (19/01/2023)
4.01/5   136 notes
Résumé :
« Conserve cette colère. Les mères révoltées élèvent des filles assez féroces pour combattre des loups. »

Un mariage politique force In-yo, jeune femme de sang royal, à s’exiler au Sud, dans l’empire Anh. Ses frères sont morts, ses armées et leurs mammouths de guerre reclus derrière leurs frontières. Seule et humiliée, elle doit choisir ses alliés avec circonspection.
Lapin, une jeune servante vendue au palais par ses parents, se prend d’amitié... >Voir plus
Que lire après L'impératrice du sel et de la fortuneVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (41) Voir plus Ajouter une critique
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L'adelphe Chih, de l'abbaye des Collines-Chantantes, vient à la maison qui borde le lac Écarlate. Accompagnée de Presque-Brillante, sa neixin (un petit animal malicieux doué de la parole et d'une mémoire absolue), elle se rend dans cette demeure restée jusque-là interdite à toute visite. Il faut dire qu'elle a accueilli l'impératrice du Sel et de la Fortune lors de son exil.

Alors qu'elle s'attendait à être seule, elle rencontre une ancienne servante de l'impératrice surnommée Lapin. L'adelphe (à ce propos, j'ai découvert grâce à ce livre le sens actuel de ce nom) va peu à peu découvrir ce qui s'est réellement déroulé durant ce séjour. Comment l'histoire s'est écrite sur les rives de ce lac aux eaux rouges. Mais, et c'est là toute l'habileté de l'auteurice, ce récit nous sera fait par petits chapitres, parfois sans lien apparent les uns avec les autres. En fait, Lapin a vécu les évènements qui ont amené cette demeure a être interdite à quiconque. Elle a vécu les secrets d'alcôve. Elle a été très proche d'une femme épousée pour la valeur de l'alliance, uniquement. Moquée à la cour dès son arrivée à cause de ses différences, parce qu'elle venait d'un autre royaume. Humiliée par son époux après lui avoir donné ce qu'il recherchait, un héritier. In-yo, la jeune impératrice, semble résignée à son sort et s'apprête à vivre isolée dans ce coin perdu du royaume. Et ce jusqu'à sa mort. Sauf que tout ne va pas se passer comme on aurait pu le croire.

Est-ce parce qu'elles sont publiées dans la même maison d'édition en France et que le deuxième volume de la série va sortir bientôt ? En tout cas, j'ai beaucoup pensé, à la lecture de L'impératrice du Sel et de la Fortune, à Un psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers. Sans doute le côté feutré de la narration. Les aspérités ne sont pas gommées. Chez Nghi Vo, la mort et la cruauté sont sans cesse présentes. Mais elles ne sont pas théâtralisées, presque sacralisées comme dans d'autres oeuvres où on peut avoir l'impression que l'auteur s'en délecte. Ni décrites avec force détails, pour les rendre tellement vraies qu'elles en deviennent presque illisibles, si l'on est un peu sensible. Par exemple, dans une autre série d'inspiration asiatique, Zhongguo, David Windgrove n'hésite pas à étaler la cruauté de certains de ses personnages. On peut trouver cela dommage de passer rapidement sur les horreurs, mais je pense, dans ce cas, que cela fonctionne à merveille. On n'est pas effarouché par la violence potentielle et on se laisse entraîner dans le récit. Où l'on découvre l'horreur et la cruauté. La mesquinerie et la petitesse. Sans être rebuté par des scènes trop brutales.

Et si l'on peut retenir une caractéristique de l'écriture de Nghi Vo (du moins dans cet ouvrage : je n'en ai pas lu d'autre), c'est la subtilité. D'ailleurs, rien que la construction de cette novella. Dès le deuxième chapitre, quand Chih est installé dans la maison, iel commence à faire l'inventaire des objets qu'elle contient. Et c'est de cet inventaire que l'autrice part pour raconter des épisodes de la vie de l'impératrice en ce lieu. Progressivement, par petits éléments ajoutés à petits éléments, elle va construire son histoire. À partir d'objets devant lesquels on passerait sans un regard ou presque dans un musée, elle enclenche des souvenirs narrés par Lapin et qui éclairent le passé sous un autre jour. La vérité des évènements va se construire parcelle par parcelle devant nos yeux. Et même si l'on ne connait rien de cette époque, rien de ces personnages, tout finit par apparaître, clair et limpide. En douceur, mais sans masquer l'horreur ni la trahison, la tristesse ni la douleur du devoir.

Je comprends pourquoi L'impératrice du Sel et de la Fortune a gagné le prix Hugo en 2021. Cette novella est de toute beauté. Et, par sa construction, elle révèle au lecteur son histoire de façon subtile, lui fait confiance, le prend par la main, mais sans le forcer. Poésie des objets, grâce des sentiments, force des évènements. Superbement servies par la traduction de Mikael Cabon. Une lecture à recommander, absolument. Et qui donne l'envie furieuse de lire Quand la tigresse descendit des montagnes, à paraître prochainement, deuxième titre de cette série, qui en compte quatre pour l'instant.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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En 2022, les éditions l'Atalante se lançaient dans la publication de la bibliographie de Phenderson Djeli Clark, auteur américain alors jamais traduit en France et dont les novellas (« Les tambours du dieu noir » ; « Le mystère du tramway hanté » et « Ring shout ») connurent un grand succès. En 2023, place à Nghi Vo, autrice américaine dont la novella « L'impératrice du Sel et de la Fortune » vient de paraître et devrait vite être suivie par une ribambelle d'autres. Ce sera d'ailleurs le cas dès le mois de mai avec « Quand la tigresse descendit de la montagne », un récit qui se situera dans le même univers puisque toutes deux s'inscrivent dans le cadre d'une même série baptisée « Archives des Collines-Chantantes ». A quoi avons-nous affaire ici ? Nous sommes dans un univers de fantasy d'influence asiatique à propos duquel l'autrice entretient volontairement le flou. Tout juste sait-on que deux empires se faisaient face depuis des années mais que celui du Sud a finalement prévalu sur son homologue du Nord. Une victoire ayant pour principale conséquence la consécration d'une nouvelle impératrice venue des régions défaites pour épouser l'empereur du Sud. C'est cette toute jeune femme perdue dans une cour étrangère, In-yo, qui se trouve ici au coeur de l'intrigue, pourtant ce n'est pas elle qui va nous raconter son histoire. Celle-ci nous est en effet présentée selon le point de vue de deux autres personnages qui n'ont, à priori, rien en commun. le premier, Lapin, fut la servante la plus intime de l'impératrice, celle qui resta avec elle jusqu'au bout et connût tous ses secrets. le second, Chih, est un adelphe (l'autrice ne lui assigne aucun genre et emploie tour à tour le masculin ou le féminin pour le désigner) qui travaille pour le compte des Collines-Chantantes et est chargé de récolter des informations pour les archives de son ordre concernant l'ancienne impératrice. Les révélations de Lapin sont donc primordiales pour son travail, mais certaines risquent de faire vaciller un certain nombre de certitudes chez l'apprentie archiviste.

Dans la mesure où nous avons affaire à une novella, le texte est évidemment assez court (environ cent vingt pages), ce qui suffit néanmoins amplement à Nghi Vo pour développer son propos et tisser une belle histoire. le principal choix narratif opéré par l'autrice est pourtant assez osé et, à mon sens, pas forcément le plus pertinent, puisque le témoignage de Lapin se déroule en fonction des objets dénichés par Chih dans sa demeure. le découverte de chacun d'entre eux (plateau de jeu, vêtement, figurine, carte…) est l'occasion d'une réminiscence pour l'ancienne servante qui se sert de ce biais pour relater l'histoire de sa maîtresse et, en parallèle, la sienne et celle de l'empire. En ce qui me concerne, ce procédé est sans doute la plus grande faiblesse du texte dans la mesure où il hache les souvenirs de Lapin de façon assez artificielle. Ce bémol mis à part (et qui a tendance à s'atténuer au fil de la lecture), la novella de Nghi Vo se révèle tout à fait plaisante et met en scène un imaginaire qui sort de l'ordinaire. L'autrice nous livre peu de détails sur son univers mais les quelques mentions qui en sont faites sont à même d'enflammer l'imagination, qu'il s'agisse de ces oiseaux capables de recueillir les souvenirs de l'humanité, de ces régions vivant dans un hiver ou un été infini, ou bien de ces femmes se transformant en animal pour survivre au deuil d'un être cher. Tout cela est encore une fois saupoudré d'une façon presque imperceptible dans l'intrigue, mais cela contribue à créer une atmosphère poétique et hors du temps très agréable pour le lecteur. le principal point fort de la novella réside toutefois dans ses personnages, à commencer par le duo formé par l'impératrice et Lapin, deux jeunes femmes d'origine et de statut différents mais qui vont tisser ensemble un lien de sororité extrêmement fort et touchant.

Cette complicité et cette solidarité dans l'adversité, elle s'explique en partie par la place attribuée aux femmes dans cet empire du sud qui ne les considère que comme des objets remplaçables et interchangeables. Il suffit pour le comprendre de voir la multitude de femmes qui gravitent autour de l'empereur, toutes soumises au bon vouloir de ce dernier et par conséquent toutes en sursis. La figure de In-yo va, pour le coup, complètement trancher avec l'idéal de beauté et de docilité du Sud puisque la jeune femme possède un physique très éloigné des canons prisés par son pays d'adoption, et surtout parce qu'elle ne compte visiblement pas se contenter du rôle de trophée mais entend au contraire s'impliquer, discrètement, dans l'évolution des relations entre Nord et Sud. Car au-delà de l'histoire de deux femmes se joue également celle de deux empires, les décisions de la nouvelle impératrice ayant de lourdes conséquences sur la politique de son ancien royaume, et ce en dépit de son absence totale de proximité avec son époux que l'on ne voit d'ailleurs jamais. Bien qu'évoqué de façon concise, le parcours de cette femme amenée à bouleverser l'histoire de l'empire se révèle donc passionnant mais aussi émouvant. L'autrice parvient en effet en très peu de lignes à camper des protagonistes solides et attachants, à commencer par cette servante devenue intime de l'impératrice et qui, elle aussi, est loin de se cantonner au rôle qu'on lui a attribué. Les sentiments qu'elle éprouve pour In-yo sont ainsi complexes et n'ont rien à voir avec de l'obéissance aveugle ou de la vénération. Il s'agit plutôt d'une amitié qui se construit et se solidifie au fur et à mesure des épreuves, et c'est cette relation très forte qui fait en grande partie le charme de cette histoire.

« L'impératrice du Sel et de la Fortune » inaugure l'arrivée sur la scène de l'imaginaire francophone de Nghi Vo, autrice prometteuse qui nous livre là une novella touchante et originale qui s'inspire en grande partie de la culture asiatique. La sororité ou encore la construction de l'histoire sont deux thématiques centrales de ce texte qui, s'il n'est pas exempt de quelques maladresses, n'en demeure pas moins agréable et donne envie de poursuivre plus avant la découverte de la bibliographie de cette autrice atypique.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Ayant entendu de bons échos de cette série de novellas et charmée par la couverture du titre, on ne va pas se le cacher ça joue, j'ai acquis ce titre et sa suite, tout en restant très perplexe sur le "résumé" qui au final ne te résume rien du tout!

C'est donc en territoire quasiment inconnu que je me suis plongée dans ce titre de fantasy, très court mais aussi très dense à la fois. On suit Chih, adelphe archiviste des Collines Chantantes. Son rôle ? Consigner les traces du passé, que ce soit des objets ou des des écrits, des mémoires. Un passé récent s'offre à ses bras : celui de découvrir le passé de la célèbre Impératrice du sel et de la fortune. C'est donc le long d'un lac, auprès d'une vieille servante, entourés d'objets du passé que Chih et Presque-Brillante en apprend plus sur cette impératrice exilée.

Cet récit m'a charmée, autant que sa couverture. On retrouve cette ambiance de fantasy asiatique que j'apprécie de plus en plus. On découvre tout un univers qui reste pour autant pas très éloigné des codes du nôtre. Je savoure l'idée d'en découvrir un peu plus dans els autres novellas. J'aime beaucoup le personnage de Chih, très en retrait, à l'écoute et empathe à sa manière. L'autrice parvient avec beaucoup de pudeur à nous conter un récit qui est loin d'être "tout mignon". Peut-être en aurais-je voulu un peu plus, notamment sur les plans de l'impératrice. Mais en définitive, cette narration sobre et succincte sied à l'ambiance du récit et à la volonté d'archiver une légende...
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Voici une novella fantasy qui m'a déstabilisée, du haut de ses 120 pages, tant l'autrice a maintenu le flou durant un bon moment.

L'univers est asiatique, sans hésitation possible, mais au départ, j'ai eu du mal à trouver mes marques dans ce récit dont la narration est inhabituelle…

C'est Lapin, une ancienne servante de l'impératrice In-yo, qui racontera son histoire à Chih, qui est un/une adelphe (le flou est maintenu sur son genre, c'est parfois il, parfois elle, alors, je ferai iel).

Les chapitres sont courts, chacun racontant dont un événement du passé, souvent sans liens entre eux. Lapin les racontera au fur et à mesure des choses dont Chih fera l'inventaire dans cette petite maison, où vécu l'impératrice en exil.

On ne s'en rend pas tout de suite compte, mais toutes ces petites histoires sont cruelles, sans pour autant qu'il y ait des détails glauques, mais on comprend très vite le sort réservé à certains membres du personnel qui était dans l'entourage de l'impératrice, ainsi que d'autres détails sur la méchanceté des gens et sur le fait que In-yo ait plus été une femme utilisée pour obtenir un enfant et sceller une union avec les peuples du Nord.

Bref, tout comme dans la vie réelle, on assistera à des mesquineries, des bassesses, de la méchanceté gratuite, mais aussi à des complots, des trahisons, à des stratégies, et si toutes ces petites histoires, de prime abord, n'ont pas l'air d'être narrées dans leur chronologie, on se rend compte, finalement, qu'on a eu droit à beaucoup de petits secrets d'alcôve, le tout raconté sans avoir l'air de les divulguer.

La narration se fait tout en finesse, c'est assez rapide, en 120 pages, difficile de nous ensevelir sous une montagne de détails, mais l'autrice en dit assez pour que l'on puisse se faire une représentation de son univers, de percevoir le tout de manière claire et limpide, et de comprendre le tout une fois arrivé au bout de ce premier tome.

C'est un récit très court, assez déstabilisant lorsqu'on entre dedans (enfin, pour moi), mais qui se met assez vite en place et en divulgue assez pour que l'on ait envie de poursuivre notre lecture du récit de Lapin, récit qui se fera tout en finesse, sans nous épargner les bassesses de la vie, mais sans s'appesantir dessus.

En tout cas, ce premier opus m'a donné envie de lire les quatre autres !

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Chih, des Collines-chantantes, est archiviste dans l'Empire de Anh. Lorsque l'interdit d'aller dans certains lieux historiques est levé, Chih se précipite au Lac Ecarlate, jouxté par le château de Fortune-Prospère, où fut jadis exilée l'Impératrice du Sel et de la Fortune après avoir donné un fils à l'Empereur - et avant de renverser le pouvoir. L'Impératrice du sel et de la fortune, c'est avant l'histoire de la revanche politique et personnelle éclatante d'une femme méprisée, bafouée et jetée au rebut.

Avec Presque-Brillante, petite huppe bavarde, Chih rencontre une vieille dame. Surnommée Lapin à cause de ses deux incisives légèrement plus longues, elle a été la servante de l'impératrice In-yo, qu'elle a suivie dans son exil.

Rencontre prodigieuse pour un archiviste ! Au fil des chapitres et des objets rencontrés, un plateau de jeu, une carte astrologique, un pot de sel d'une couleur différente…, la vieille dame va raconter à Chih tout ce dont elle aura été témoin, de l'arrivée de In-yo comme épouse, à sa grossesse, sa mise à l'écart, et ses stratagèmes pour renverser le pourvoir jusqu'à ce jour, à quelques jours du couronnement de la nouvelle impératrice, la fille miraculeuse d'In-yo.

C'est ainsi la fomentation et la genèse, et l'application d'un magistral coup d'état qui se déroule sous nos yeux, en même temps que les vies liées des deux femmes. Les allers-retours des devins et astrologues, les cartes astrologiques mal dessinées, les pots de sel, et, hélas, les pertes inévitables dans les rangs.

Comme va vite le deviner Chih, Lapin est beaucoup, beaucoup plus qu'une simple servante. Mais si sa carrière est assurée, un très gros poids est désormais sur ses épaules.

J'ai adoré cette histoire, un gros coup de coeur, ce n'est pas ennuyeux du tout bien qu'il s'agisse d'une vieille femme qui raconte, la plupart du temps. Cela aurait pu être pesant, mais absolument pas. L'atmosphère onirique, poétique, tranche de manière tout à fait réussie avec ce qui reste un complot, davantage en raccord avec la tristesse sourde de la narratrice qu'avec le triomphe de la victoire de l'Impératrice.

Je lirai avec grand plaisir tous les autres livres de cette auteure que je pourrai trouver à la médiathèque, j'ai adoré son style et son univers !
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critiques presse (2)
Elbakin.net
14 février 2023
Nghi Vo nous offre une histoire calibrée avec méticulosité, narrée avec une grâce certaine, au propos pertinent, souvent touchante. Il manque juste, à mon sens, cette étincelle qui ne permet jamais à l’ensemble de s’embraser et de nous marquer au cœur justement.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
LeMonde
23 janvier 2023
Dans un royaume médiéval asiatique, où se glissent de belles touches fantastiques, le moine historien Chih, accompagné de Presque-Brillante, sa fidèle oiselle capable de mémoriser tout ce qu’elle voit, se rend à l’ancien palais d’In-Yo, l’impératrice du sel et de la fortune.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
« Que…
— Chut ! Regarde. Tais-toi et regarde. »
Chih retint sa respiration tandis que le doux brasillement s’intensifiait, se développait à la surface du lac à la manière des feux d’artifice du Nouvel An. Il se fit éblouissant, difficile à soutenir de si près, comme il envahissait l’onde, tant et si bien que l’adelphe distingua bientôt les différents arbres sur la plage, la silhouette noire des oiseaux nocturnes sur l’eau, le visage fripé de la femme debout près de lui, qui se plissait de plaisir.
« J’espérais bien y assister cette nuit. Il fait encore un peu froid, mais cela s’est déjà produit plus tôt certaines années. »
Au côté de la femme, Chih admirait le spectacle pyrotechnique qui se déroulait sous ses yeux. Peu après que l’intensité des lumières rouges eut atteint son paroxysme, elle commença à s’atténuer. L’adelphe compta dans sa tête. À cent, il ne subsistait plus à la surface qu’un miroitement rougeâtre ténu.
La vieillarde poussa un soupir de bonheur en rallumant la lanterne.
« Pour moi, c’est toujours aussi fort que la première fois, et je n’y avais pas assisté depuis soixante ans. Suis-moi à l’intérieur. Il fait encore trop froid pour mes vieux os. »
Chih était assez âgé pour savoir que nul n’est inoffensif, mais encore assez jeune pour obéir dans l’instant aux accents de commandement de son aînée. Il la suivit dans son logis, où elle embrasa plusieurs lampions. Il régnait une fraîcheur humide dans la pièce exiguë, mais la clarté aidait un peu à s’en accommoder. Tous deux prirent place sur des coussins de cuir disposés autour d’un âtre vide. La vieille femme se pencha vers Chih pour examiner de plus près son crâne rasé, sa ceinture ornée de grelots, sa robe indigo.
« Oh, je vois que je me suis trompée. Ce n’est pas une robe de fille que tu portes là, mais d’adelphe. »
Chih sourit.
« Une erreur bien pardonnable, grand-mère. Oui, je suis l’adelphe Chih, de l’abbaye des Collines-Chantantes. Ce petit trublion à plumes est Presque-Brillante. »
La huppe poussa un piaillement d’indignation en s’entendant ainsi décrite. Déterminée à démontrer ses bonnes manières, elle se posa devant leur hôtesse et frappa les lames du plancher à deux reprises de son bec étroit.
« Très honorée de faire votre connaissance, matriarche, déclara-t-elle de sa profonde voix rocailleuse. — Moi de même, madame Presque-Brillante. Si votre adelphe vient des Collines-Chantantes, vous devez être une neixin, n’est-ce pas ? »
L’oiseau gonfla ses plumes avec fierté.
« Oui, matriarche. Je suis de la lignée de Victorieuse-à-Jamais et de Toujours-Bienveillant. Nos souvenirs remontent à la dynastie des Xun.
— Quel bonheur ! Tant des vôtres sont morts sous le règne de l’empereur Sung. Je craignais de ne plus en revoir de mon vivant.
— La volière des Collines-Chantantes a été incendiée, mais l’illustre Céleste de l’époque a envoyé trois couples à des parents au-delà du fleuve Hu, raconta Chih. Les arrière-grands-parents de Presque-Brillante étaient du nombre. Si vous connaissez les neixin, grand-mère, vous devez savoir qu’ils ont besoin de mettre un nom et une origine sur tout.
— Et je suppose que toi aussi, n’est-ce pas, adelphe ? Très bien. Mon nom de famille est Sun, mais on m’a toujours appelée Lapin. »
Elle afficha un grand sourire, qui dévoila deux incisives effectivement un peu plus longues que les autres. « Les enfants me taquinaient là-dessus dans ma jeunesse, mais je suis très vieille à présent et je n’ai jamais perdu une seule dent. »
Presque-Brillante émit un sifflement d’admiration et le visage de Chih s’éclaira.
« Vous voilà intégrée à l’histoire, grand-mère. Vivez-vous à proximité? Je ne pensais pas que quiconque arriverait avant moi au lac Écarlate une fois que se serait répandue la nouvelle de la déclassification.
— Des parents tiennent une auberge un peu plus loin sur la route. C’est drôle, les gens du coin tiennent la région pour maudite à cause du rougeoiement du lac. Quant à moi, je lui ai toujours trouvé la beauté d’un feu de joie ou d’artifice. Maintenant que vous êtes là, Presque-Brillante et toi, je me réjouis à l’idée que la véritable histoire du lac Écarlate trouvera désormais sa place parmi les contes. »
Chih sourit aux paroles de Lapin. Celle-ci lui rappelait l’auguste Céleste de naguère qui encourageait toujours ses acolytes à s’entretenir aussi bien avec les fleuristes et les boulangères qu’avec les juges et les chefs de guerre. La précision avant tout. Pour se souvenir des nobles, il faut aussi se souvenir des humbles.
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« Quelque chose veut te manger, lança Presque-Brillante, perchée sur un arbre voisin. Je ne lui en voudrai pas s’il y parvient. »
Un tintement. Chih se remit debout et examina soigneusement le cordon de clochettes qui entourait le bivouac. Un instant, elle se crut de retour à l’abbaye des Collines-Chantantes, en retard pour une nouvelle tournée de prières, de corvées et de leçons, mais les Collines- Chantantes n’étaient ordinairement pas baignées d’une odeur de fantôme et de pin humide. On n’y sentait pas se dresser les poils de ses bras en signe d’alarme ni bondir son cœur dans sa poitrine sous l’effet de la panique.
Les clochettes étaient de nouveau immobiles.
« J’ignore ce que c’était, mais le danger est passé. Tu peux redescendre. »
La huppe poussa un gazouillis, qui parvint à exprimer en deux notes tant le doute que l’exaspération. Néanmoins, elle se posa sur la tête de Chih, où elle se balança, mal à l’aise.
« Les protections doivent toujours être en place. Nous sommes très près du lac Écarlate à présent.
— Nous ne serions jamais arrivés si loin si on ne les avait pas neutralisées. »
Chih y réfléchit un instant, puis enfila ses sandales et se glissa sous le cordon de clochettes.
Effarouchée, Presque-Brillante s’envola dans un tourbillon de plumes avant de redescendre sur l’épaule de l’être humain.
« Adelphe Chih, regagne tout de suite le campement ! Tu vas te faire tuer et je serai obligée de rendre compte à notre Céleste de ton irresponsabilité.
— Je compte sur la précision de ton rapport, rétorqua Chih d’un air absent. Maintenant, chut ! Je crois distinguer ce qui a fait ce raffut. »
La huppe exprima son mécontentement d’un battement d’ailes mais enfonça plus fermement ses griffes dans l’habit de Chih. En dépit de sa bravade, celle-ci se sentit réconfortée par la présence de la neixin sur son épaule et elle leva la main pour lui caresser doucement la crête avant de s’avancer entre les pins.
Aucun chemin ne s’y dessinait, c’était certain. Les deux voyageurs avaient traversé le bosquet de pins blancs un peu plus tôt dans la journée et, si on distinguait encore les traces d’une ancienne route sous les fougères envahissantes et les branches mortes, jamais une charrette n’aurait pu s’y frayer un passage. Chih la soupçonnait d’avoir jadis relié le lac Écarlate à la voie royale, avant que l’on n’eût effacé le lac de toutes les cartes et qu’un sorcier impérial aussi dévoué qu’habile ne l’eût effectivement fait disparaître.
Aucun chemin ne se dessinait donc là dans la journée. La nuit, bien entendu, c’était différent. La route fendait la futaie, aussi large qu’une barge, bordée de part et d’autre par des fantômes évanescents, les anciens gardiens du lac. Il y avait à peine quelques mois, ils se seraient rués sur tout être vivant qui eût croisé leur chemin et l’auraient mis en pièces avant de sangloter parce qu’ils avaient encore faim.
À cet instant, cependant, ils n’avaient d’yeux que pour le palanquin venu du levant – la direction du lac Écarlate – sur la route fantôme. Il était porté par six hommes voilés, dont les pieds ne touchaient pas tout à fait le sol. Il paraissait argenté au clair de lune, mais Chih le devinait drapé de rouge et d’or, ses rideaux brodés avec une minutie somptueuse du mammouth et du lion de l’empire.
Une seule femme au monde avait le droit d’arborer ces deux animaux, et elle était sur le point de se faire couronner lors de sa première cérémonie du dragon à la capitale.
Enfin, se dit Chih en enveloppant Presque-Brillante de sa main pour la rasséréner, une seule femme en vie. Il s’inclina aussi bas que les fantômes alentour au passage du palanquin en espérant de toute son âme que l’impératrice entrouvrirait les rideaux pour révéler son visage. S’agirait-il de la vieillarde ridée emmaillotée de soieries épaisses qu’elle avait un jour aperçue, enfant, à Houksen, ou serait-ce une femme beaucoup plus jeune, l’impératrice du Sel et de la Fortune telle qu’elle était arrivée en Anh avant la fin de l’éternel été, avant que le mammouth n’eût piétiné le lion ?
Quand Chih se redressa, fantômes, route et impératrice avaient disparu, ne laissant derrière eux que son cœur battant.
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"Vous m'avez paru très singulière, lâchais-je enfin. Et très seule.
- Seule, je le suis dit-elle en nouant elle-même sa robe. Mais peut-être moins que je ne le pensait, euh... Lapin."
Je rougis et baissai la tête en murmurant quelques mots sur le devoir et mon honneur de la servir. Au fond, pourtant, je pensais qu'elle ne serait plus jamais seule si je pouvais l'en empêcher. Près d'elle, je sentais comme la chaleur d'un feu de joie, moi qui avais eu froid si longtemps.
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Dehors, cependant, comme elle contournait le bâtiment pour en gagner l'aile Nord, son pas s'activa.
Un jeune homme l'attendait, adossé à un tas de cailloux et tapant du pied pour feindre l'impatience. Grand, dégingandé, il avait le visage légèrement de travers.
"Et bien te voilà enfin, Lapin. On vous dit rapides, vous autres bêtes à longues oreilles, mais vois comme tu lambines.
- Peuh ! Comme si tu méritais qu'on se dépêche pour toi... Ne te crois pas plus précieux que tu ne l'es. Pour ma part, j'étais très heureuse à la capitale."
Dans le rêve de Chih, la lune s'était couchée, laissant derrière elle le chemin des étoiles que traversait la clarté funeste du ciel. Ils l'observèrent tous les deux un instant, puis ils se mirent à rire en s'émerveillant de l'étrangeté du monde, depuis longtemps libérés de leurs souffrances.
"On y va ? demande le jeune homme, et Lapin haussa les épaules.
- J'espère simplement que l'adelphe fermera bien la maison après son départ, mais ce n'est pas très grave. Allons-y."
Ils se mirent en marche et s'élevèrent peu à peu. De la terrasse sur le lac, Chih les regarda se fondre en deux étoiles scintillantes juste au-dessus de l'horizon.
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L’abbaye des Collines-Chantantes le dirait, si un témoignage ne peut être parfait, il se doit au moins d’exister. Mieux vaut qu’il prenne place dans le monde plutôt qu’il n’accède à la perfection dans la seule imagination de son auteur.
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