C'est grâce aux indications de Babelio que j'ai découvert ce livre de
Josef Skvorecky, que je ne connaissais pas du tout, et qui est, avec
Bohumil Hrabal (que j'aime particulièrement beaucoup) et
Milan Kundera, l'un des plus grands auteurs tchèques de l'après-guerre.
L'intrigue principale de ce roman policier politique, est basée sur un fait divers qui s'est réellement produit (en 1949 à Cihost). Un « miracle » a eu lieu dans la chapelle d'un village au nord-est de la Bohème. Lors d'une messe dominicale, une statue de Saint-Joseph s'est mise à bouger !
Le prêtre Doufal (de son vrai nom :Toufar), qui célébrait la messe, a été inculpé par la police d'Etat, d'avoir mis en place un dispositif technique afin de truquer le miracle, et cet événement a servi de prétexte à la police pour se débarrasser du prêtre en question (par trop populaire) et de perpétrer des actes de répression contre l'Eglise, jugée comme une organisation d'opposition dangereuse.
La trame du roman est tendue entre 1949, l'année où a été commis ce prétendu crime, et l'année 1968, avec l'invasion des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie.
Le narrateur, Danny Smiricky, est en fait un personnage autobiographique stylisé de
Josef Skvorecky.
Au début du roman, Danny, qui vient d'être nommé enseignant à l'Ecole de Sciences Sociales de filles de Kostelec (ville avoisinante de la paroisse du prêtre Doufal), souffre d'une chaude-pisse qu'il a contracté lors d'un stage de formation politique ! On rit beaucoup à la lecture de ce passage !
Il assiste à la messe, mais s'assoupit au moment-même où le miracle se produit.
Entretemps, devenu auteur de comédies musicales à succès, il aide à mener une enquête aux côtés du rédacteur d'un journal catholique, Juzl, pour tenter de faire la lumière sur le dit « miracle ».
«
Miracle en Bohème » est un livre très drôle sur un fond tragique, car il donne un aperçu de la réalité de l'époque stalinienne et de l'année 1968, par le biais de nombreux récits et anecdotes, qui s'ajoutent à la trame principale.
Josef Skvorecky a utilisé une méthode particulière pour construire ce roman. Il a affirmé lui-même qu'il avait découpé en morceaux de nombreuses histoires racontées dans «
Miracle en Bohème »,
qu'il les avait posés par terre, et qu'il cherchait, tel un collage littéraire, à les insérer à divers endroits.
L'auteur explique qu'il a eu recours à cette méthode, qualifiée de « confusion délibérée », parce qu'à travers elle, il a pu restituer l'image du caractère confus de l'époque de ces moments charnières de l'histoire de la Tchécoslovaquie.
En imposant au lecteur d'être constamment éveillé par des bribes d'histoire, qui apparaissent dans un ordre anachronique, J. Skvorecky met à l'épreuve la force de ses récits pour voir si le lecteur est capable de se rappeler de chaque anecdote, alors même que notre attention se porte sur un nouvel événement survenu dans la narration de l'intrigue principale.
Danny Smiricky porte un regard distant, voire cynique, sur les événements survenus lors du Printemps de Prague, ce moment où on pouvait croire à la possibilité d'existence d'une société civile au sein d'un système socialiste.
Cette vision idéaliste est confrontée dans «
Miracle en Bohème » au regard sceptique du narrateur.
Après avoir passé un an aux USA, Danny constate à son retour en Tchécoslovaquie occupée, « être le seul à avoir les idées claires au milieu de fous ou d'ivrognes au dernier degré ».
Cette dimension existentielle de Danny Smiricky, sa prise de distance et son regard désabusé et satyrique ont suscité de vifs débats à l'époque de la parution de ce roman, car nombreux étaient ceux qui croyaient à la réussite de la transformation de la société et à sa démocratisation.
De plus, ceux qui sont restés en Tchécoslovaquie ont dû subir des conséquences, ils ont dû vivre sous la normalisation (rétablissement de l'ordre).
«
Miracle en Bohème » soulève aussi la question de la croyance.
En cherchant à élucider les circonstances du miracle, Danny constate qu'il n'a pas le don de croire.
Cette attitude pouvait sembler provocatrice à une époque où les gens se battaient pour le retour aux traditions chrétiennes de l'avant-guerre, ou bien étaient idéologiquement engagés.
J. Skvorecky, en évoquant de nombreuses personnalités de la vie culturelle et politique tchécoslovaque de l'époque, dont les noms sont légèrement transformés (mais reconnaissables), réussit à laisser planer un doute entre ce qui est vrai et ce qui est inventé.
Ceci fait probablement aussi la force de ce roman, car il est écrit à une époque où l'absurdité de la réalité rivalisait souvent avec celle de la fiction.
La fin du roman montre le début de la vague de « normalisation », qui suivit l'invasion du pays, se traduisant par une « chasse aux sorcières », visant ceux qui ont soutenu le Printemps de Prague, ou critiqué le communisme.
Je suis heureux d'avoir pu découvrir ce très bon roman tchèque, qui apporte un éclairage sans concession sur les événements de 1968, mais aussi sur toute la période de 1948 à 1969.
C'est un livre riche de témoignages, de personnages historiques et de destins, d'une grande qualité d'écriture. C'est écrit sans pathos, c'est irrévérencieux et truffé d'un humour mordant !
Passionnant !