super bouquin sur la culture culinaire française essentiellement des XVIII-XIXe siècle. En dit beaucoup sur la culture tout court.
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« Un peintre ou un poète eût fait de cette truite au beurre de Montpellier frappé de glace un portrait enchanteur, dit le chanoine. Voyez cette charmante petite truite, à la chair couleur de rose, à la tête nacrée voluptueusement couchée sur ce lit d’un vert éclatant, composé de beurre frais et d’huile vierge, congelés par la glace, auxquels l’estragon, la ciboulette, le persil, le cresson de fontaine ont donné cette gaie couleur d’émeraude ! Et quel parfum ! Comme la fraîcheur de cet assaisonnement contraste délicieusement avec le haut goût des épices qui le relèvent ! Et ce vint de Sauternes ! Quelle ambroisie si bien appropriée, comme dit ce grand homme de cuisine, au caractère de cette truite divine qui me donne un appétit croissant ! »
Un déjeuner de chanoine d’Eugène Sue
« En général, je pense qu’on pourrait souvent trouver quelque indice du caractère des gens dans le choix des aliments qu’ils préfèrent. Les Italiens, qui vivent beaucoup d’herbages, sont efféminés et mous. Vous autres, Anglais, grands mangeurs de viande, vous avez dans vos inflexibles vertus quelque chose de dur et qui tient de la barbarie. Le Suisse, naturellement froid, paisible et simple, mais violent et emporté dans la colère, aime à la fois l’un et l’autre aliment, et boit du laitage et du vin. Le Français, souple et changeant, vit de tous les mets et se plie à tous les caractères. Julie, elle-même, pourrait me servir d’exemple ; car, quoique sensuelle et gourmande, dans ses repas, elle n’aime ni la viande, ni les ragoûts, ni le sel et n’a jamais goûté de vin pur : d’excellents légumes, les œufs, la crème, les fruits, voilà sa nourriture ordinaire ; et sans le poisson, qu’elle aime aussi beaucoup, elle serait une véritable pythagoricienne. »
Jean-Jacques Rousseau, la Nouvelle Héloïse
« Les tripes furent copieuses, ainsi que je vous l’ai dit, et si succulentes que chacun s’en léchait les doigts. […] Le bonhomme Grandgousier y prenait un plaisir bien grand et ordonnait que l’on servît dans des écuelles. Il recommanda toutefois à sa femme qu’elle en mangeât le moins possible, vu qu’elle approchait de sa délivrance et que cette tripaille n’était pas viande très favorable. « Celui-là, disait-il, a grande envie de manger merde, qui en mange jusqu’au sac. » Nonobstant ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux tonneaux, et six pots. Ô la belle matière fécale qui devrait boursoufler en elle. »
François Rabelais, Gargantua
« Mais c’était surtout sur la table que les fromages s’empilaient. Là, à côté des pains de beurre à la livre, dans des feuilles de poirée, s’élargissait un cantal géant, comme fendu à coups de hache ; puis venaient un chester, couleur d’or, un gruyère, pareil à une roue tombée de quelque char barbare, des hollande, ronds comme des têtes coupées, barbouillées de sang séché, avec cette dureté de crâne vide qui les fait nommer têtes-de-mort. Un parmesan, au milieu de cette lourdeur de pâte cuite, ajoutait sa pointe d’odeur aromatique. Troie brie, sur des planches rondes, avaient des mélancolies de lunes éteintes ; deux, très secs, étaient dans leur plein ; le troisième, dans son deuxième quartier, coulait, se vidait d’une crème blanche, étalée en lac, ravageant les minces planchettes, à l’aide desquelles on avait vainement essayé de le contenir. Des port-salut, semblables à des disques antiques, montraient en exergue le nom imprimé des fabricants. Un romantour, vêtu de son papier d’argent, donnait le rêve d’une barre de nougat, d’un fromage sucré, égaré parmi ces fermentations âcres. Les roquefort, eux aussi, sous des cloches de cristal, prenaient des mines princières, des faces marbrées et grasses, veinées de bleu et de jaune, comme attaquées d’une maladie honteuse de gens riches qui ont trop mangé de truffes ; tandis que, dans un plat à côté, des fromages de chèvres, gros comme un poing d’enfant, durs et grisâtres, rappelaient les cailloux que les boucs, menant leur troupeau, font rouler aux coudes des sentiers pierreux. »
Emile Zola, le Ventre de Paris
« Une conversation animée, pendant le repas, n’est pas moins salutaire qu’agréable : elle favorise et accélère la digestion, comme elle entretient la joie du cœur et la sérénité de l’âme. Elle est donc sous le rapport moral, comme sous le rapport physique, un double bienfait, et le meilleur repas, pris en silence, ne saurait faire du bien au corps, ni à l’esprit. »
Grimod de la Reynière, Manuel des Amphitryons