Je ne le répèterai jamais assez mais s'installer confortablement dans un fauteuil et lire à la lampe d'un soir hiémal un nouveau recueil d'
Amandine Gouttefarde-Rousseau relève de l'authentique plaisir livresque, cher aux souvenirs d'enfance, lorsqu'on découvrait le monde des livres et se perdait des heures durant entre les pages d'une histoire qui nous habitait tout entier…
Ainsi avec «
Nagas », ai-je retrouvé ce bonheur intime et incomparable de me plonger au coeur d'une légende contée ici avec ardeur et sensibilité par Amandine, qui ne cesse d'inventorier de manière pénétrante un cheminement spirituel qui l'anime depuis maintenant de nombreuses années et lui donne à grandir, à s'élever tout en éclairant par le truchement de son verbe le propre chemin intérieur du lecteur… et qu'importe que celui-ci soit dans une démarche spirituelle ou non, car le propos d'Amandine sait se faire pluriel et ouvert offrant ainsi plusieurs niveaux de lecture et donc de compréhension.
«
Nagas » ce sont ces êtres mythiques venus de l'hindouisme, mot qui veut également dire serpent. Les
nagas sont les gardiens de la nature, ces esprits rattachés à l'eau, qui apportent la prospérité. Ces créatures serpentines lorsqu'elles sont en colère peuvent répandre le malheur, la maladie ce qui en faisaient et en font toujours des esprits craints par le commun des mortels croyant en leurs pouvoirs.
Tout le long de ce nouveau recueil, Amandine brosse en parallèle un portrait sans équivoque de l'état de l'eau sur notre planète, constatant combien les rivières, les fleuves, les étangs, les lacs, les cours d'eau de toutes sortes ont souvent été pollués, détournés, asséchés par la main de l'homme et les abus de notre ère industrielle et moderne, mettant en danger l'équilibre même de la terre, faisant fuir les «
nagas » et nous coupant des esprits de l'eau, et le portrait de son lien à l'eau depuis qu'elle est petite fille et de sa redécouverte assez effrayante des
nagas et de façon plus générique des esprits lorsqu'est venu pour elle le temps de « l'oeuvre au noir »… *
Si «
Nagas » nous offre la possibilité de faire plus ample connaissance avec les esprits de l'eau, il nous permet aussi et surtout à en saisir toute la dimension spirituelle en appréhendant nos peurs intérieures, en les apprivoisant pour s'en faire des alliées et non des ennemies ; car il s'agit bien de conscientiser que nous portons en nous les réponses et que les manifestations extérieures, qu'elles soient douces et prospères ou terribles et douloureuses, ne sont que le reflet de notre intériorité. D'ailleurs Amandine évoque avec beaucoup d'à-propos la kundalini que l'on identifie par ce serpent de feu lové dans notre corps qui s'éveille souvent brutalement, et qui n'est autre qu'une énergie de vie puissante qui une fois domptée s'avère source d'harmonie et de reliance au Tout.
Avec «
Nagas »,
Amandine Gouttefarde-Rousseau poursuit la reconquête de sa féminité, mettant en lumière par sa poésie dépouillée et essentielle, la nécessité à s'extraire de ces sociétés patriarcales où la femme est devenu objet lorsque ce n'est pas esclave d'un masculin égocentré et tout puissant, il n'est pas question ici de faire le procès de l'homme mais bien de retrouver un juste équilibre entre nos polarités féminine et masculine d'abord pour induire ensuite un changement véritable à l'échelle du collectif.
Lorsqu'on observe et se relie à l'eau qui coule, court, cascade, fait fi des barrages de pierres, des remous, on ressent en soi ce mouvement de vie qui est plus fort que tout, on sait intuitivement qu'il ne sert à rien de chercher à le contrarier, le contourner, il nous suffit de le suivre, d'entrer dans son flow pour faire corps avec lui, et donc avec le Vivre… C'est ni plus
ni moins le message que «
Nagas » infuse en nous et dont Amandine se fait la voix, vibrante et envoûtante.
A noter la très belle illustration de couverture signée Mathilde Foignet et la pertinente préface de
Mélanie Leblanc.
Nathalie Lescop-Boeswillwald
Directrice de « Les Amis de Thalie » revue littéraire et picturale
Poète, critique, Docteur en Histoire de l'art