Nous, les noyés de
Carsten Jensen est le premier roman traduit en français de cet auteur, un gros gros merci aux deux traducteurs
Hélène Hervieu et
Alain Gnaedig.
Nous, les noyés ou nous, les marins de Marstal.
Une bonne pêche sur l'étal d'un libraire, c'était le dernier exemplaire!
« A Marstal, tous les chemins, toutes les rues étaient des rues principales. Toutes descendaient vers l'océan. La Chine se trouvait dans les jardins derrière nos maisons. A travers les fenêtres de nos salons aux plafonds bas, nous pouvions apercevoir les côtes du Maroc .»
Marstal, port danois dont la renommée des marins n'est plus à faire (l'auteur en est originaire).
A Marstal, l'océan est une promesse de nouveaux horizons...
Un appel à la liberté?
« C'était infiniment vaste, l'océan. Cela pouvait vous mener partout, et pourtant cela vous enchaînait. »
Une chose est sûre, les marins de Marstal ne peuvent y résister.
Les équipages et leurs matelots, de sacrés couillus!
Du capitaine au second en passant par le moussaillon, chacun à sa place et toujours là.
« Un capitaine se devait de connaître le coeur des hommes aussi bien que la voilure. »
Des moments de rêve, des moments d'horreur.
Des tempêtes et des naufrages ou des alizés favorables...
Des guerres, des deuils.
Après cet extraordinaire voyage maritime autour du monde, des mers chaudes du Pacifique Sud aux eaux froides de l'Atlantique Nord, il est temps de découvrir ce que nous réserve le coffre de marin de
Carsten Jensen: des bottes, une garcette, un môle, la tête réduite de
James Cook, une cane en os de requins...l'étoile polaire.
Une vraie malle aux trésors!
Un roman d'aventures, un roman historique mais aussi un roman sur la filiation, la transmission à travers les principaux protagonistes de ce récit.
Un personnage phare, Albert Madsen, fils de l'excentrique Laurids Madsen, le marin qui est monté au ciel et a vu le cul
De Saint-Pierre, nous entraîne dans un maelström de respirations à travers trois générations ( de 1848 à 1945, de la guerre des Duchés aux Première et Seconde Guerre mondiales).
Ici à Marstal, tout est affaire d'hommes:
« C'était la promesse de devenir un homme qui poussait un garçon à prendre la mer. »
Albert Madsen est le représentant de cette communauté de marins.
Il en est le symbole, son fils adoptif Kned Erik en sera le digne héritier.
Albert traverse ce récit, ces visions prémonitoires contées à Knud Erik quand il était enfant se réaliseront: « Ses rêves annonçaient la guerre. ».
Et les femmes? Elles sont d'abord des épouses de marins avant d'en être des mères. Elles sont rivées à leur île, pilier de la famille en attendant le retour souvent incertain de leur époux;
« Nous dîmes au revoir à nos mères. Toute notre vie, elles avaient été là, mais ne nous ne les avions encore jamais vues. Elles étaient penchées au-dessus des bassines et des casseroles, le visage rouge et gonflé par la chaleur et l'humidité. Elles faisaient tourner toute la maison pendant que nos pères étaient en mer. »
L'occasion pour l'auteur de peindre un formidable portrait de femmes, celui de Klara Frees, une veuve, compagne de fin de vie de Albert, et de suivre son évolution et son ascension sociale quand le temps de la marine à voile est désormais révolu.
Marstal, un port d'Aero, île sur la Baltique, île blanche, île phare, l'île aux trésors où « La voilure est l'abécédaire des marins ».
Des marins aux vies tumultueuses, comme celle par exemple du Tueur de Goéland.
Des surnoms attribués par l'équipage pour révéler l'histoire du marin:
« le surnom est notre vrai baptême. Avec le surnom, nous déclarons que personne ne s' appartient. »
Nous, les noyés ou l'épopée des hommes qui ne savaient pas dire non à l'océan.
Nous, les noyés ou la saga de Marstal.
Une lecture captivante et intense.
Un auteur qui a le vent en poupe et qui semble très prometteur.
Un pavé de mille pages dans lequel j'ai nagé avec plaisir sans jamais coulé!
Une immersion totale que je conseille vivement.
Un gros coup de coeur. Un magnifique roman.
Souhaitons que les autres romans de
Carsten Jensen soient vite traduits.