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EAN : 9782072801785
176 pages
Gallimard (11/10/2018)
3.5/5   6 notes
Résumé :
Il faut s’en alarmer : la culture est aujourd’hui attaquée dans tous ses territoires. Arts plastiques, littérature, cinéma, musique... Au nom des bonnes mœurs, de la lutte contre le racisme ou la souffrance animale et autres nobles causes, des ligues de vertu du troisième millénaire et des citoyens ordinaires manifestent, agissent auprès des élus, pétitionnent sur les réseaux sociaux, toujours pétris des meilleures intentions.
Sous des prétextes apparemment ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Emmanuel Pierrat recense et s'émeut de toutes les atteintes portées à la Culture depuis plusieurs années. Les exemples pullulent sous sa plume d'avocat, une foule de cas pris sur la scène française, européenne, internationale : cinéma, arts plastiques et graphiques, littérature et théâtre, musique et chanson, expositions, festivals et biennales etc, tous les domaines de la culture et tous ses acteurs sont concernés. Paradoxe d'une époque “où tout est culturel et tout est censuré” sous la pression de groupes et d'associations de défense divers et variés avec des motifs souvent fort louables. C'est ainsi qu'appels au boycott, à l'opprobre, condamnations, pétitions en ligne et plaintes se multiplient. Qu'écrivains, éditeurs, cinéastes, artistes, commissaires d'exposition ou organisateurs d'événements, directeurs de théâtre peuvent être sommés de s'expliquer ou à comparaître. Les oeuvres elles-mêmes doivent rendre des comptes ! « Certains veulent désormais censurer des créations culturelles au motif que leurs auteurs voire leurs interprètes, auraient eu un comportement moral blâmable ». Des livres sont suspectés (rien de neuf mais la tendance est loin de faiblir), retirés des bibliothèques, de la commercialisation, des classiques sont revisités, des titres bannis, jugés inappropriés, non réédités sous la pression de l'opinion. Au bout du bout des oeuvres vandalisées ou détruites. Climat général peu rassurant dont le détail est très bien documenté dans cette lecture édifiante.

On reprochera à ce texte son côté « en vrac », peut-être. D'être trop court, sans doute. De céder à l'humeur, possible. C'est une alerte. Ecrit comme un précis à l'usage de ceux qui veulent défendre la liberté d'expression artistique l'essai tente, par l'exemple, de leur donner des éléments qui arment leur réflexion sur le sujet. S'il n'y a pas d'exposé théorique sur le droit de la propriété intellectuelle dont l'auteur est spécialiste on sort tout de même de la lecture avec en tête deux ou trois de ses principes essentiels et quelques conseils avisés d'un juriste aux éditeurs (cas de la regrettable "affaire Céline" pour Gallimard) à qui sa fibre d'écrivain permet aussi, j'aime beaucoup, de rappeler au fil des pages, aux lecteurs que nous sommes, les vertus de l'imagination, de la transposition et de la fiction, garantes d'une création ouverte et décloisonnée. Toutes qualités que semblent ignorer les “ligues de vertus du troisième millénaire” dont l'horizon aseptisé est dans le colimateur d'Emmanul Pierrat. Un premier conseil, à l'heure de #Me too, intéresse tous les lecteurs : on doit dissocier les oeuvres des actes blâmables de leurs auteurs, créateurs ou interprètes. Boycotter les films de Woody Allen ? Expurgeons alors aussi tous les malpropres de nos bibliothèques l'antisémite Céline, le voleur Malraux, le pédophile Gauguin, le peu recommandable Genêt etc. contenus Nettoyons aussi nos étagères des titres inappropriés : “Les dix petits nègres”.... Ce n'est pas être sourd aux échos du monde que de vouloir rester critique et rationnel, bref libre. Les fictions fournissent des contre modèles formidables et doivent vivre leur vie hors des diktats de toutes sortes. Ce texte n'est pas un catalogue d'outrances et d'exceptions, il renvoie plutôt aux frictions d'une société cloisonnée, composée d'une addition de victimes et de mémoires qui s'affrontent ou se concurrencent.

Nouvelle forme de censure amplifiée par Internet. Attaques directes de certains réseaux sociaux arguant de critères de décence, soudaine pudibonderie, pour la diffusion d'images (Courbet et Delacroix, deux pornographes notoires, censurés sur facebook en 2011 et 2017). Censure d'autant plus redoutable qu'elle s'ajoute, quand elle ne se substitue pas, aux restrictions et aux contrôles légaux en vigueur, déjà nombreux, eux-mêmes en extension. Car, c'est dans l'air du temps, il faut protéger. Une centaine de textes contraignent actuellement la liberté artistique (Tati et Simenon n'ont plus le droit de fumer sur des photos retouchées pour cause de santé publique). Du coup il faut s'interroger sur la tendance contemporaine qui fait de chacun de nous un potentiel censeur derrière son écran. Pourquoi de telles offensives et d'où viennent-elles ? Comment des revendications aussi légitimes que la protection des enfants ou celle de la dignité humaine, le droit des femmes, l'antiracisme ou la défense de minorités etc., deviennent-elles problématiques pour le droit des auteurs, le respect dû aux oeuvres et la diffusion de la culture ? Quelle place pour la liberté de créer dans ce contexte ? Toutes questions soulevées par Pierrat. S'il vole au secours de la liberté d'expression artistique c'est je crois aussi pour réaffirmer ici qu'une menace de plus sur la culture est une menace sur l'espace démocratique où la culture a vocation a être le plus largement diffusée. Que le champ créatif se rétrécisse et c'est le champ plus général des libertés qui est atteint.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
L’« affaire Céline » témoigne encore de ces nouveaux tourments. Et disons-le d’emblée : les trois pamphlets antisémites sont répugnants. Le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939, qui modifie la loi du 29 juillet 1881 dite « sur la liberté de la presse » et y inscrit des sanctions « lorsque la diffamation ou l’injure, commise envers un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée, aura eu pour but d’exciter à la haine entre les citoyens ou les habitants » aurait éradiqué Bagatelles pour un massacre, publié en 1937, et L’Ecole des cadavres, qui date de 1938 (Les Beaux Draps a été édité en 1941).

Céline, qui après s’être enfui à Sigmaringen avait été détenu au Danemark, avait d’ailleurs pleinement conscience de l’impossibilité de laisser à la Libération ces livres dans le commerce. Les lois sur la propriété intellectuelle accordent à l’auteur, en France, une prérogative morale véritablement extraordinaire du droit commun. Il s’agit du « droit de retrait ou de repentir », grâce auquel un écrivain, en dépit de tout engagement contractuel, peut choisir de reprendre son manuscrit et, si l’œuvre est déjà publiée, d’en arrêter la commercialisation.
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Le passage par la case juridique est désormais obligatoire pour nombre de livres, de films, d'expositions. Il y a l'auteur, il y a son éditeur ou producteur, il y a la fabrication, la commercialisation et, désormais, il y a l'examen juridique.
Le dogme d'aujourd'hui permettrait sans doute de réprimer bon nombre de textes littéraires, publiés impunément il y a encore trente ans. Il n'est pas sûr que, de nos jours, un roman comme Lolita serait accueilli sans réaction judiciaire.

Cachez ces personnages immoraux, p. 43
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Car Ernest Pinard, l'homme qui a poursuivi en 1857, coup sur coup, Gustave Flaubert, Charles Baudelaire et Eugène Sue nous l'a appris : le censeur a souvent, involontairement, très bon goût. Car il connaît le pouvoir des chefs-d'oeuvre. Il sait que les livres, les films ou les tableaux les plus dangereux sont les plus réussis. Ralliant à leur beauté les simples curieux, ceux-ci adhèrent, consciemment ou non, aux messages "immoraux" que ces oeuvres contiennent.

Cachez cette histoire qui n'est pas la mienne, p. 56
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Lucky Luke ne fume plus depuis belle lurette. Les héroïnes de papier brandissent, à raison, un préservatif à leur partenaire. Et les policiers des séries télévisées attachent leur ceinture quand ils patrouillent en voiture ; sans même évoquer leur comportement lors d’une course-poursuite où, à une telle aune, ils respectent les feux rouges alors qu’ils sont sur le point d’arrêter le tueur dont la voiture a déjà deux pneus crevés par les balles. Si le héros est pédophile, serial killer ou néonazi, il doit faire acte de repentance au dernier chapitre. À défaut, il sera jugé et son créateur lui sera assimilé. Même fictifs, les personnages doivent respecter la loi et la morale. Barbe-Bleue, Dracula, Rapetou, Arsène Lupin sont devenus infréquentables.
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Vidéo de Emmanuel Pierrat
Le débat public apparaît dégradé, que ce soit dans le monde culturel, les universités, la pratique des médias… et surtout par les réseaux sociaux. Que faisons-nous du débat public ? France Culture propose une journée spéciale vendredi 16 octobre. Débattait-on mieux au XVIIIème siècle ? La "Cancel culture" importée des Etats-Unis va-t-elle convaincre la France ? Les débats de l'espace médiatique rencontrent-ils les préoccupations des citoyens ? Et au fait, qu'est-ce qu'un vrai problème ?
Pour en parler, nous recevons Emmanuel Pierrat, avocat au barreau de Paris, écrivain, auteur de “Nouvelles morales, nouvelles censures” (Gallimard, 2018). Ainsi que Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherche au CNRS, auteure notamment de “Des valeurs. Une approche sociologique”, (Gallimard, 2017), “Ce que n'est pas l'identité” (Gallimard, 2018) et “Le pont neuf de Christo” (Thierry Marchaisse, 2020).
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