Elle referma la porte d’un coup de talon fatigué. Une toile d’araignée habillait un coin du plafond. Elle avait pris l’habitude de l’observer tandis que les clients la besognaient. Elle se demandait ce que cela ferait d’être une araignée, pour de vrai. La journée, quand elle ne dormait pas, elle passait son temps devant des documentaires animaliers. Elle avait appris à laisser son corps sur le fauteuil et à s’introduire en pensée dans l’écran. Elle avait ainsi eu l’illusion de vivre des milliers de vies autres que la sienne. Surtout pas des vies humaines.
Elle avait dû s’habituer très tôt à être différente. C’était vite devenu compliqué à gérer. Vers dix onze ans, elle était passée presque sans transition du statut de « jolie petite fille » à celui de « très jolie jeune fille ». Ses seins commençaient à pointer, les regards des garçons plus âgés et de certains hommes changèrent. Au départ, cela avait été difficile à comprendre. C’était gênant, perturbant. Elle détournait les yeux, elle avait envie de se cacher. Mais elle avait vite perçu l’étendue de son pouvoir. À l’école, elle avait su en profiter. Elle avait toujours eu du mal à n’être qu’une élève moyenne, elle n’y serait pas parvenue sans sa beauté. Elle jouait de son charme et savait que sa façon d’être, ses sourires, sa détermination à se montrer enjouée, à plaire, avaient davantage plaidé en sa faveur que ce dont elle noircissait ses feuilles de contrôle.
… L’araignée tisse son fil, sa soie. Les glandes séricigènes produisent cette soie filée par de petites protubérances articulées, les filières, qui sont, le plus souvent, au nombre de six, situées sur la face ventrale plus ou moins à l'extrémité de l'abdomen. La soie est liquide dans les glandes, mais se solidifie en fibrilles une fois sortie par les fusules, sous l'effet de la traction exercée par les pattes de l'animal…
Elle reconnaissait qu’elle n’était pas une lumière, mais ceux qui l’enviaient cherchaient à la piéger et y parvenaient parfois, les femmes, par jalousie, les hommes pour se sentir moins dominés par le désir qu’elle leur inspirait. Elle était très mauvaise en calcul mental et se mordait la langue chaque fois qu’elle étalait cette faiblesse en public. Il y avait toujours quelqu’un pour lui faire remarquer son erreur avec dans la voix cette moquerie rassurée, la perfection n’existait pas en ce bas monde et elle en était la preuve vivante. Belle et conne. Belle mais conne. Ils appréciaient cela.
Blonde.
C’était la peur de le décevoir qui était à la base de son trac.
Enfant, lors de ses premières représentations, elle ne voyait que lui dans le public et ne parvenait à se détendre que lorsqu’il lui souriait et l’encourageait en battant des mains avec un enthousiasme débordant. Il criait son nom et elle se sentait pousser des ailes. Il avait une façon toute personnelle de critiquer ses prestations, la poussant sans cesse à mieux faire. C’est bien, c’est très bien, mais à mon avis, tu pourrais, ou tu devrais… Il la défiait sans cesse de grimper un échelon plus haut que celui qu’elle avait atteint.