La Danseuse I
Je suis le vent d’Est: m’entendez-vous me battre avec les faîtes?
Je suis le ténébreux : me sentez-vous aspirer les marais ?
Je suis le ciel : avec le Grand Chariot.
La terre : avec calcédoine et rubis.
Les pas, puissants et mesurés,
Je n’en ai encore oublié aucun,
Pas toutes les couleurs : vert montagne et carmin.
Je fais onduler mon cou comme un cygne.
La joie se mire dans son ploiement
Et lui sourit au visage,
Son voile répand des sourcelettes qui se blottissent
Dans cette source plus calme, l’ample lumière
Qu’apportent ses sourcils,
Les ailes du manteau de deuil
Qui surplombent un lys à ruban d’or.
Je me projette en un saut comme un poisson.
Il bondit autour de sa mort : je fais de même ;
Poussière de la route dans mes ouïes meurtries,
Je me cogne moi-même en une détente à la porte du royaume
Qui éternellement bruisse de feuillage caduc et chenu,
Où de petites peines s’entrelacent au tourment
En une constellation à la combustion laide, mèches effrangées
Qui cherchent convulsivement leur proie.
Je porte cette mienne chevelure en terre.
Je suis l’arbre de l’humble plainte. Saule.
Je suis la chose qui baisse : lame de faux et pichet.
Je suis l’humain — même si je disjoins mon âme de moi,
Qui suis navire plein de voiles blanches avec la poitrine pour proue.
Elle attend, elle que j’ai répudiée,
Son dernier instant, celui-ci,
Et fait retour en une profonde inspiration.
Traduit de l’allemand par Fernand Cambon | ‘Portrait de Femme’, Deuxième Espace, pp. 75-77
Coquillage d’or
Coquillage d’or s’efface tremblant dans la mer
Sous l’étoile flamboyante,
D’espiègles vaguelettes vert bouteille s’assemblent câlines
En un noyau chantant.
Car leur animation est chanson taciturne,
Rire qui s’insinue sans bruit,
Âme qui s’enfuit tendre et flottante
En son esquif scintillant.
Le cristal rêve-t-il, rien enchaîné,
Derrière le rideau rose ?
La langue du visage spumeux l’a-t-elle capturé,
La musique des dauphins le porte-t-elle?
Comme souffrance qui s’estompe papillotante dans le souvenir
Il oscille avec les marées
Ou comme cette félicité
De ne jamais se laisser approcher.
Si je plonge mes bras, lourds de la chevelure d’algue,
Si je lève mes mains ruisselantes,
Coquillage d’or parcourt tremblant la mer,
S’abîme et sombre dans les profondeurs.
Traduit de l’allemand par Fernand Cambon | ‘Rêves de bêtes’, p. 191