Le début de l'intrigue est assez long mais le lecteur a vraiment besoin de cette lenteur pour s'imprégner de l'univers et pour comprendre l'histoire. J'ai été projetée dans une histoire dans laquelle je ne comprenais pas grand-chose, ni les relations sociales ni les enjeux politiques. L'intrigue commence lors d'une révolte de la Zone 3, un ghetto où les habitants survivent par leurs propres moyens et je n'ai pas eu le temps de comprendre pourquoi cette révolte devait avoir lieu. Malheureusement, ce souci d'incompréhension s'étale tout au long du roman, alors que je n'ai compris aucune péripétie. Tous ces évènements s'enchaînent sans que j'en comprenne d'un côté l'utilité et de l'autre le lien entre eux.
La suite de l'intrigue montre une rupture nette avec le début, qui ne se déroulait que dans la Zone 3. Nous suivons donc Alyss à travers de nombreuses aventures, qui n'ont pas vraiment de sens et qui s'organisent à chaque fois selon le même schéma : Alyss rencontre un personnage souvent fondamentalement bon mais cherche quand même à s'enfuir pour aller à Utica. Par conséquent, à chaque aventure, nous savons déjà comment elle se déroulera et finira, ce qui enlève tout le charme de la découverte. Ces redondances peuvent sortir le lecteur du roman s'il ne parvient pas à s'intéresser à d'autres éléments du récit. Cependant, pour des lecteurs avertis, ceux-ci peuvent remarquer les nombreux parallèles entre
Rêves d'Utica et le personnage d'Ulysse dans l'Odyssée. J'irai même jusqu'à dire que Roznarho a fait une réécriture de certaines de ses aventures avec de nombreux clins d'oeil, comme les cyclopes et l'épisode de l'appellation « Personne » par Alyss, mais aussi les sirènes, et peut-être les Lotophages réinterprétés à travers le masque qui drogue ceux qui le porte, ainsi que Calypso incarnée par un personnage masculin épris d'Alyss et ne souhaitant pas la laisser partir poursuivre sa quête. Ces références sont plaisantes à découvrir et à suivre mais ne sauvent pas le récit dont les péripéties s'enchaînent sans logique.
Dès le début du roman, j'ai attendu la fin avec impatience. Je ne pouvais plus attendre que les aventures d'Alyss se poursuivent et j'avais envie d'en arriver au bout. L'autrice désirait sans aucun doute surprendre le lecteur avec des révélations, mais cette surprise est tombée à l'eau, d'une part parce que dès le début je m'y attendais, et d'autre part parce que j'avais l'impression de lire une brique que je ne pouvais pas digérer et que ce retournement de situation n'a fait qu'empirer ce ressenti. Les scènes finales permettent au lecteur de comprendre comment les scènes qui ont constitué l'intrigue s'imbriquent entre elles, mais à l'instar du reste du roman, je n'ai pas compris les liens qu'elles avaient entre elles. La fin ouverte est d'autant plus exaspérante que le lecteur sent une suite arriver, et que finalement, les aventures d'Alyss ne sont pas terminées. Ainsi, j'avais l'impression de lire tout le roman pour pas grand-chose étant donné que l'intrigue ne se terminait pas réellement.
Rêves d'Utica se déroule dans un futur plutôt indéterminé où la technologie a pris le dessus au point que ce sont les machines qui régissent le monde. Les personnes encore humaines sont regroupées dans des ghettos, appelés Zones. Ce qui est appréciable pour un roman qui ne relève pas particulièrement de la dystopie est d'expliciter la façon dont le monde exploité par le roman a été formé et en est arrivé à ce point. Ainsi, le récit présente des éléments de la mythologie grecque, notamment avec Protée, Athéna ou Poséidon. En revanche, le fait de reprendre les identités de la mythologie grecque (Athéna et Poséidon étant deux dieux et Protée pouvant se relier à Prométhée, un Titan qui voulait aider les humains) m'a légèrement dérangé. Pourquoi l'autrice n'a pas choisi de créer également des noms de divinités différentes de celles qui existaient déjà ? La seule raison que j'ai pu trouver est encore une fois un parallèle avec les aventures d'Ulysse. Ce dernier était soutenu par Athéna mais opposé à Poséidon, à l'instar d'Alyss dans ce roman. Par ces nombreuses références, ce livre renvoie à un imaginaire déjà bien mis en place pour un lectorat européen.
Il est évident que Roznarho a énormément travaillé l'univers de son roman. Chaque détail a été pensé et la construction des éléments cybernétiques réfléchie. L'univers est très complexe, au point de l'être trop. J'ai passé trop de temps à essayer de comprendre comment il était régi pour m'immerger totalement dans le récit. J'ai buté à de nombreux moments, relisant certains passages pour essayer de comprendre ce qu'il s'y déroulait. Mais finalement, je pense que je suis passée à côté de toute la dimension technologique des machines étant donné que même arrivée à la fin, je n'ai pas compris comment elles fonctionnaient, comment la politique était gérée et quels étaient les enjeux du roman. le récit débute in medias res ce qui n'aide pas du tout la compréhension de l'ouvrage.
Paradoxalement, les personnages sont nombreux mais aussi très peu nombreux. En réalité, il n'y a qu'un seul personnage présent dans l'intégralité du roman, Alyss, accompagnée d'un animal de compagnie de métal nommé Pimpin. Mais la plupart des personnages (et la totalité des personnages secondaires et tertiaires) sont inutiles puisqu'ils ne sont présents qu'une dizaine de pages dans le roman, alors que celui-ci s'étend jusqu'à 400 pages. le calcul est rapide pour constater la multitude de personnages, qui ne sont malheureusement pas développés car l'autrice n'en a de toute évidence pas le temps. Cependant, durant presque l'intégralité du roman, je n'ai pas identifié d'antagoniste. Je ne comprenais même pas le but d'Alyss et la raison pour laquelle elle voulait aller à Utica.
L'écriture du roman est indubitablement travaillée, surtout avec la grande affluence des néologismes, créant un vocabulaire particulier autour de la technologie. Ce travail sur la langue est une très bonne idée mais, car il y a toujours un mais avec ce roman, c'est très dommage que ça provoque certains accrocs dans la lecture. Cette dernière n'est pas fluidifiée et j'ai passé parfois plus de temps à comprendre à quoi ces néologismes faisaient références qu'à comprendre la scène. Néanmoins, ces néologismes ont pu renforcer la construction déjà bien effectuée de l'univers. Les néologismes fonctionnent lorsque le lecteur saisit instantanément sa signification, ce qui n'était pas le cas avec moi. de plus, l'autrice utilise régulièrement des phrases courtes pour rythmer son récit, ce qui fonctionne plutôt bien, malgré quelques moments d'incompréhension.
Au début de chaque chapitre, nous avons le droit à plusieurs lignes écrites en italique, dénotant ainsi une situation d'énonciation différente de celle du récit. J'avais pensé qu'il s'agissait des rêves d'Alyss étant donné qu'elle est surnommée la Rêveuse, mais très vite je me suis rendue compte que ces passages en italique n'avaient pas grand-chose à voir avec l'histoire. Par conséquent, je ne sais pas à quoi servent ces digressions ni leur utilité dans le roman. C'est vraiment dommage car c'est une nouvelle un potentiel gâché.
Points positifs :
– beaucoup d'efforts pour l'univers
– clins d'oeil à Ulysse
Points négatifs :
– personnages sans psychologie
– fin décalée par rapport au reste
– intrigue décousue et peu intéressante
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