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EAN : 9782364810648
240 pages
IMHO (17/06/2022)
5/5   1 notes
Résumé :
Apparu sur les ruines du western, le "vigilante movie", ou film d'autodéfense, a connu son âge d'or dans les années soixante-dix. Il est devenu le miroir d'une Amérique déboussolée dont Clint Eastwood ("L'inspecteur Harry"), Charles Bronson ("Un justicier dan la ville") ou Robert De Niro ("Taxi driver") furent les icônes, entraînant à leur suite une furieuse cohorte de vengeurs solitaires.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
La lecture de ce bouquin amène plein de questionnements et de réflexions sur le sujet même du livre mais aussi sur des thèmes en prolongement. C'est dire si cet ouvrage est stimulant pour le cerveau. Mais de quoi cause-t-on ici ? Comme son titre l'indique, « Vigilante, la justice sauvage à Hollywood » s'intéresse à la figure cinématographique du justicier solitaire, affranchi de toute autorité, qui va s'attacher à rétablir l'ordre dans un genre qu'on a appelé Vigilante movies. M'intéressant à tous les cinémas, cet ouvrage ne pouvait pas me laisser indifférente. Cette lecture m'a passionnée. Comme je l'ai dit, le livre est riche et emmène le lecteur vers de multiples pistes de réflexions. Mon billet risque donc d'être un peu décousu et de partir dans toutes les directions. Il y aura des réflexions et avis directement tirés du bouquin mais aussi un peu des miennes.

Le vigilante movie est en soi un genre peu aimable et ses représentants les plus célèbres ont essuyé de nombreuses critiques, notamment des accusations de fascisme. L'ouvrage de Yal Sadat permet de poser une réflexion sur le sujet en évitant les raccourcis simplistes et en opérant certaines mises au point sur quelques oeuvres emblématiques. En effet, si le vigilante movie a parfois donné lieu à des films décérébrés misant principalement sur le versant action, d'autres métrages, tout particulièrement les plus connus, restent très incompris. Si ce genre cinématographique a fait des émules dans d'autres pays (tout particulièrement en Italie pendant les années de plomb), il s'agit d'un genre très américain et, pour le comprendre, il faut revenir sur ses bases historiques. Ainsi l'auteur revient sur la construction même de la société américaine. Pour se construire, l'Amérique a dû s'émanciper de l'autorité anglaise et, dans le roman national, cette libération s'est faite en premier lieu par le peuple lui-même. L'auteur rappelle d'ailleurs l'origine émancipatrice du second amendement, le fameux qui entérine le droit de détenir une arme. En effet, il n'est pas inutile de rappeler que cette liberté de détenir des armes était, à l'origine, une garantie pour le peuple d'avoir la possibilité de se libérer d'un pouvoir oppresseur. Je vais digresser un peu car c'est un sujet qui m'intéresse. Je ne légitime pas la libre détention d'armes mais je trouve toujours utile de comprendre que ce principe ne sort pas de nulle part. Je suis souvent agacée par les raccourcis simplistes que font trop de gens au lendemain d'une fusillade meurtrière aux Etats-Unis. En général, ce sont les mêmes phrases qui reviennent, « ils ont un problème avec les armes », ça parait tellement évident alors pourquoi le répéter encore et encore ? Mais, trop souvent, les gens ne cherchent pas à comprendre d'où vient ce problème avec les armes et pourquoi il est si compliqué de le résoudre. Trop souvent j'ai entendu un définitif « de toute façon, les américains sont cons ». Certes, beaucoup le sont, tout comme le sont beaucoup de français, d'anglais, de chinois, de maliens, de mexicains… bref ni plus ni moins que tous les autres. Par contre, je n'entends que très rarement rappeler qu'au départ cette liberté de détenir des armes a pour objectif de se défendre d'une oppression institutionnelle, étatique. Il est d'ailleurs plutôt intéressant de constater que même les pro-armes n'utilisent pas cet argument. Lorsque Trump ou d'autres de cet acabit défendent le second amendement, ils parlent toujours de la possibilité de se protéger des criminels, ils ne parlent plus du pouvoir institutionnel inique (qui pourrait potentiellement être eux-mêmes, ceci explique peut-être cela). En oubliant l'esprit originel de cet amendement, je trouve qu'ils le pervertissent, qu'ils le dévoient. Il me semble aussi que les opposants aux armes devraient rappeler l'origine de ce principe, ils pourraient ainsi plus facilement convaincre que les temps ont changé, qu'un principe qui avait une raison d'être dans une société tout juste indépendante, en cours de construction, n'en a plus aujourd'hui. Fin de la digression, je reviens au sujet (j'avais prévenu que ce serait décousu)…
Donc, dans le roman national, c'est le peuple américain qui a arraché son indépendance lui-même. Mais, à ce moment-là, la société est encore en cours de construction. Tout le territoire est loin d'être conquis et c'est une civilisation balbutiante, primitive qui va peu à peu se forger, une société qui va toujours placer l'individu et la liberté au centre de sa réflexion bâtisseuse. Bien qu'elle trouve son inspiration en Europe, la pensée libertarienne s'est réellement exprimé et a été théorisée aux Etats-Unis. Sans rentrer dans les détails, en prônant une quasi-disparition de l'Etat conjuguée à une privatisation à tout crin, cette doctrine confère une légitimité aux comités de vigilance. En effet, dans l'esprit libertarien, tout peut être privatisé, y compris l'ordre et la justice. Ce n'est pas un hasard si le premier comité de vigilance « officiel » a été créé dans les années 1850 par Samuel Brannan, un homme d'affaires millionnaire. Dans une société en construction, il n'est pas étonnant que les citoyens se soient organisés d'eux-mêmes dans le but de maintenir l'ordre. Les comités de vigilance étaient nombreux et de tous bords. Il y avait aussi bien des vigilante qui pourchassaient les hors-la-loi que des vigilante adeptes du lynchage raciste ou que des vigilante qui visaient les vigilante racistes. Tout ça finissait souvent sur la place publique au bout d'une corde après un procès sommaire. Comme on le voit, c'est sur les épaules du citoyen que, dès le départ, le maintien de l'ordre a souvent reposé. le cinéma s'est emparé de cette figure du citoyen qui va se dresser contre le crime, tout particulièrement évidemment dans ce genre qui est le plus américain de tous, le western. le vigilante movie auquel va s'intéresser plus profondément le livre est plus tardif que le western mais il y a une filiation évidente et les films emblématiques du genre y feront référence à la fois narrativement et visuellement. Exemple très criant : Paul Kersey, le personnage principal du « justicier dans la ville », assiste à un spectacle de wild west show alors qu'il n'est pas encore passé à l'acte de l'auto-justice.

Comme je l'ai dit, les films emblématiques du genre ont essuyé des critiques virulentes en étant taxés de fascisme. « L'inspecteur Harry » et « le justicier dans la ville » vont être vilipendés par certains progressistes. A travers une analyse fine et pertinente de ces films, et d'autres, Sadat démontre que ces attaques ne sont pas totalement justes et que ces films sont largement incompris. En effet, ces films portent en eux une ambiguïté, un regard assez distancié sur l'acte d'auto-justice lui-même. Je ne vais pas détailler ici de quelle façon les réalisateurs de ces films parviennent à livrer un propos moins simpliste que la réputation qu'ils traînent. Je vous invite à lire l'ouvrage et à revisionner les métrages dans la foulée pour vous faire une idée. Je vais me contenter de dire que l'auteur, en disséquant certaines séquences, en expliquant certains parti-pris visuels ou narratifs, démontre que les meilleurs vigilante movies conjuguent défouloir cathartique et critique sous-jacente de l'auto-justice. Pour résumer, ces films montrent bien que le justicier et le criminel sont deux facettes de la même pièce, les deux symptômes d'une même maladie et que c'est la société qui est malade. En érigeant le « Je » au centre de sa construction, la civilisation états-unienne n'est pas parvenue à construire un « Nous ». Contrairement à ce que prétend Adam Smith, l'intérêt général n'est pas la somme des intérêts individuels. Et la société qui voit émerger la figure du vigilante en est la preuve.

Tous les vigilante movies ne portent pas ce regard distancié sur l'auto-justice, même les suites de « l'inspecteur Harry » ou du « justicier dans la ville » perdront cette ambiguïté et finiront par se contenter de s'auto-caricaturer (ce qui n'empêche pas ces films d'être parfois plaisants à regarder, des plaisirs coupables en somme). Qu'ils soient porteurs d'une réflexion ou simplement à la gloire des justiciers auto-proclamés, les vigilante movies, de par leur existence même, disent beaucoup sur la société et sur l'époque où ils ont fleuri. Si le vigilante movie n'existe plus vraiment en tant que tel aujourd'hui, il a trouvé un hériter à travers le film de super-héros. On y retrouve en effet la figure du justicier auto-proclamé qui se dresse contre le crime sans être investi d'une autorité officielle. Mais, en étant placé hors de la réalité, le super-héros agit dans un monde par définition surnaturel, il est quelque peu délesté de cette dimension permettant de lire la société à travers les oeuvres. Il est ainsi réduit à une dimension de spectacle où le « comment » importe plus que le « pourquoi ».

A travers ce billet, je n'ai esquissé qu'une infime partie des réflexions amenées par le livre de Yal Sadat. Ce bouquin est vraiment stimulant et passionnant. Je conseille cette lecture aux amateurs de cinéma mais aussi plus largement à ceux qui s'intéressent aux sujets de société. D'autant plus qu'on apprend plein de choses d'un point de vue historique et que, cerise sur le gâteau, la plume de Yal Sadat est agréable. Une très bonne lecture.

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