Autobiographie intellectuelle et aveu spirituel d'un génie universel -
Al Ghazalî (m. 1111) est à la fois juriste reconnu (école shafi'î), psychologue incisif, maître de la dispute dialectique (kalâm), commentateur du Coran (tafsîr), autorité dans la spiritualité islamique (tassawûf) ... -, elle décrit comment notre auteur, assoiffé de savoir depuis sa jeune enfance, a parcouru les cimes de toutes les théories (autant les sciences dites "exactes" que religieuses) pour arriver au sommet de la gloire intellectuelle (dont la manifestation est la charge de professeur à la prestigieuse madrasa nizamiyya de Baghdad), avant de chuter dans les abîmes du doute ; le "doute" cartésien a, réellement, été sa méthode, mais aussi un corbillard pour des années - aussi, en état de "crise spirituelle", il décida alors de se "ressourcer" dans les lieux saints de la sainteté abrahamique, tels Damas, Jérusalem, ... il devint alors soufi, considérant qu'ils sont les seuls à posséder une théorie de la connaissance (épistémologie) qui puisse sonder la Réalité (al Haqq ; le Vrai matriciel, un nom d'Allâh) dans Son intimité réalisatrice, par divers mouvements de purification de l'âme, là où le "dialecticien" ne s'arrête qu'à la façade, sans connaître l'architecture - c'est la traditionnelle distinction platonicienne et pythagoricienne (et donc égyptienne au départ) entre dianoïa (spéculation discursive) et noesis (intuition intellectuelle).
Comme Frank Griffel l'a montré dans son "Al-Ghazali's Philosophical Theology", notre homme n'apparaît nullement comme étant "contre la science" ou même la raison (!) : au contraire, il souligne plusieurs fois l'importance capitale des sciences exactes, et traître presque d'ennemis de la religion ceux qui nieraient leur importance "au nom de la foi", car, en réalité, ils la décrédibiliseraient non seulement aux yeux des "rationalistes", mais aussi trahirait son esprit (puisque les sources scripturaires nous appellent à méditer les merveilles de la Création, de la mouche jusqu'aux orbites planétaires.)
Ce qu'il critique, c'est la théodicée ou les élucubrations métaphysiques des aristotéliciens d'Islâm (
Ibn Sina ou Avicenne et
Al Farabi), qui - selon lui - entrent en contradictions avec les principes fondamentaux de la foi.
Pourtant, il ne nie pas toute la philosophie, et en réalité a lui-même écrit des traités de kalâm ("théologie philosophante") et de logique mais surtout - comme l'ont prouvé Frank Griffel, Robert Wisnovsky, ... - il a "formalisé dans l'orthodoxie" la philosophie (et le soufisme) au point que cette discipline a connu... un Age d'Or après (!) notre "destructeur de la philosophie".
Une personnalité complexe donc, qu'enfermer dans un cadre ne ferait que désavouer notre propre lecture - appauvrie - du personnage.