L’hippocampe
Forcément l’hippocampe est une pièce maîtresse
au jeu d’échecs de la mythologie animale
il avance ouvragé comme une clef
forgée mollement évoluant verticalement
sur l’échelle paradigmatique des règnes
tenant du crabe et du cheval du fou et de la tour
il surveille la partie depuis son aberration
il a l’air d’interroger sa propre existence
et de mettre un point d’honneur
un pourpoint de dignité
un surcroît d’afféterie
au vague ridicule
dont il est le pourquoi.
Les biches
Les biches aux jambes comme de grands yeux
parcourent les bois qui sont l’expression
de leur délicatesse infinie mais furieuse
dans leur agilité elles semblent peindre
le gracile au sein du fouillis
trouver le fragile au milieu des forêts
et délier tout le délire des arbres
du craquement de la branche cassée
elles tirent le grand voile du craquement
dont elles saisissent les coins de leurs dents décisives
et qu’elles emmènent jusqu’aux orées
travailleuses infatigables du mystère
ravaudeuses de beauté
elles réparent les bruits inquiétants
dont elles font le souffle de leur passage.
Les poissons
Les poissons les lambeaux
les morceaux de chair vivante de l’eau
arrachés à l’eau comme une
vérité tangible de l’eau
les poissons sont les vecteurs
les réflecteurs de l’eau les fuseaux fluviaux
les navettes dans le métier à détisser l’eau
savonnettes dans la trame de bain de l’eau
ils sont plus labiles même que l’eau
plus labiales encore que les lèvres de l’eau
ils sont les écailles les bulles l’anse dansante
du panier de l’eau ils sont les poissons
dans la nasse la nacelle
dans le ciel durci de l’eau.
L’âne bivalve
est accroché au sac de l’âne
comme la moule sur son rocher
et quand il va plein d’eau ou d’avoine
ballotté par les flots trimballé sur son train
ses oreilles lui font une gentille coque
qui le protègent des huées et des coups de bâton
car ses oreilles sont les ailes
où il entend son envol
quand il va chargé de sa peine
dans la coquille de ses oreilles
il hume la mer
et la libération.
L’hippopotame
avec ses cals et ses bosses
avec ses calebasses
transporte l’eau
dans sa peau et son pot
c’est un animal à plateaux
une bête qui a des lèvres
au-delà de sa bouche
c’est un brouteur de fleuves
la martingale des marigots
il a une gueule si grande
qu’il pourrait s’avaler tout cru
et boire le tonneau qu’il est
s’il n’était pas toujours
du même côté de lui.
SOIRÉE DE LANCEMENT DE LA REVUE CATASTROPHES #3
Avec Philippe Annocque, Guillaume Condello, Frédéric Forte, Julia Lepère, Cécile Riou & Pierre Vinclair
Catastrophes est une revue d'écritures sérielles, animée par Laurent Albarracin, Guillaume Condello et Pierre Vinclair. Bimestrielle en ligne (30 numéros sont parus), elle paraît tous les 18 mois en format papier, sous la forme d'une anthologie comprenant certaines des propositions poétiques les plus stimulantes de l'époque. Les quatre ensembles qui composent Catastrophes 3, « Dit impossible », « Rites rêvés », « Traduit en langue fauve » et « Mondes suspendus », présentent tous une dimension des rapports du poème, dans son essentielle étrangeté, à un monde qui ne fut pas toujours là et qui disparaîtra peut-être : assumer l'impossible, rêver d'une parole rituelle, articuler dans la langue commune une parole fauve, penser dans le vertige de la disparition, sont autant de promesses, fragiles, de faire de l'écriture le lieu d'une création radicale, à même d'exorciser la fatalité du néant.
À lire – Revue Catastrophes 3, coll. « S!NG », éd. le corridor bleu, 2021.
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