BALLADE DU SILENCE CRAINTIF
Ici, quand le vent meurt,
les mots défaillent.
Et le moulin ne parle plus.
Et les arbres ne parlent plus.
Et les chevaux ne parlent plus.
Et les brebis ne parlent plus.
Se tait le fleuve.
Se tait le ciel.
Se tait l’oiseau.
Et se tait le perroquet vert.
Et, là-haut, se tait le soleil.
Se tait la grive.
Se tapit le caïman.
Se tait l’iguane.
Et se tait le serpent.
Et, en bas, se tait l’ombre.
Se tait tout le marais.
Se tait tout le vallon.
Et se tait même la colombe
qui au grand jamais ne se tait.
Et l’homme, toujours silencieux,
de peur, se met à parler.
LA FILLE QUI VA A LA MER
Si blanche est la jupe que porte
la fille qui va à la mer !
Que ne la tache point , fillette ,
l'encre de la seiche des mers !
Si blanches sont tes mains fillette
qui t'éloignes sans un soupir !
Que ne les tache point , fillette ,
l'encre de la seiche des mers !
Il est si blanc , ton cœur , fillette ,
et si blanc aussi ton regard!
Que ne les tache point , fillette ,
l'encre de la seiche des mers !
Les enfants de l’Estrémadure
Les enfants de l’Estrémadure
vont nu-pieds.
Qui leur a volé leurs souliers ?
La chaleur et le froid les blessent.
Qui a déchiré leurs effets ?
La pluie
trempe leur sommeil et leur lit.
Qui a démoli la maison ?
Ils ignorent les noms que portent les étoiles.
Qui a donc fermé leurs écoles ?
Les enfants de l’Estrémadure
sont sérieux.
Qui a dérobé leurs jeux ?
/ Traduit de l’espagnol par Claude Couffon,
Peupliers et saules
(À la mémoire d'Antonio Machado)
... et pour l'entendre
les saules s'inclinèrent vers la rive.
Pedro de Espinosa
... peupliers des bords du Duero
vous m'accompagnez, mon coeur vous emporte !
Antonio Machado
1
Suis allé voir les peupliers.
La terre fuyait en tremblant.
La terre, disloquée.
Je ne vis qu'ossements
éparpillés.
Vous absents, se peut-il,
peupliers ?
On entendait
changer de forme la planète.
Se détacher
de son écorce chiffonnée,
jaunie
par ceux, déjà défunts, qui la peuplèrent.
Peupliers,
vous rieurs, se peut-il ?
L'ombre, toujours
L'ombre a cédé les clefs du feu.
Triste malheur que de brûler
alors que les fleuves propagent
leur horreur en feu jusqu'aux mers.
Suis allé voir les peupliers.
( Personne. )
2
Maintenant je me sens léger,
comme vous autres, maintenant
que je suis tout chargé de morts.
Je vais grandir, je vais monter.
Oui, je vais escalader
maintenant que j'ai mille ans.
Retenez-moi, car je m'élève !
Arrêtez-moi : je vous atteins !
Ne me laissez pas - dans le vent -
regarder en bas.
A galopar
Paco Ibañez et Rafael Alberti
Au théâtre Alcala de Madrid le 21 mai 1991