Le temps des autres

LES ORAGES NE LAISSENT PAS DE TRACES


LE PRISONNIER
Extrait 4

Belles veines crépitantes
Par tant de poisons tuées,
Vous hiberniez ici
Pour retarder la souffrance.

C'était lui ce grand navire
Appareillant dans mes yeux
Toutes voiles, toutes paupières
Déployées au vent des larmes :
Comment être plus aveugle ?

La prison, le prisonnier,
Le ciel, l'œil qui le regarde
Ou l'ignore (suivant le jour),
Le printemps, ses cheveux fous,
La figure de proue, la proie :
C'est toi-même, c'est toujours toi.

p.10

LES ORAGES NE LAISSENT PAS DE TRACES


LE PRISONNIER
Extrait 1

IL ne connaissait du ciel
Que les mots croisés des grilles,
Les cils durs des soupiraux,
L'âpres graine des prisons.
Écartelé dans la nuit,
Feuille morte avant l'automne,
Il inventait les nuées
Comme invente l'avenir
L'enraciné dans l'enfance,
Comme s'enrichit l'esprit
D'une brumeuse espérance.
…

p.9

LES ORAGES NE LAISSENT PAS DE TRACES


LE PRISONNIER
Extrait 2

Le fouet ne révoltait
Même plus ses frêles membres ;
Sa pensée se déchirait
Aux aspérités des cris.
Nous ignorions sa présence
Dans nos catacombes blêmes,
Nous, coupables de blasphèmes,
Pendus à la volupté,
Perdus sans espoir de grâce,
Et pourtant si joyeux d'être !
…

p.9-10

LES ORAGES NE LAISSENT PAS DE TRACES


LE PRISONNIER
Extrait 3

Il [le prisonnier] ne savait rien du ciel
Où les flèches des oiseaux
Sifflent bleu pour les regards,
Où les astres, les nuages,
Reniflent l'odeur des eaux ;
Il ignorait tout des voûtes
À nous cousues par la peur
Aussi bien que de ces routes
Striant l'homme de sueur.
…

p.10