Regardons cette couverture. Un homme au costume proche de ceux des super-héros sort d'un appareil étrange, comme un kiosque de sous-marin. Mais nous ne sommes apparemment pas sur l'eau. Il semble sourire et est entouré d'un rayonnement glorieux. Devant lui, un cadavre sur le ventre, un couteau bien visible planté dans le dos. le tout dans des teintes rouges. Quelle histoire est-ce donc là ?
En fait, ce n'est pas un kiosque de sous-marin, mais un caisson de cryogénisation. Même si la forme est identique à celle d'un cercueil. Un homme en sort, l'air perdu, habillé d'une combinaison assez ridicule qui ne semble pas fonctionnelle dans le monde où il se meut. Quatre pages et il bute sur un cadavre. Il ne l'a pas tué, mais une femme passe. Et hurle. Belle entrée en matière. Bienvenue dans notre avenir ! Car ce personnage qui sera notre fil rouge, notre Candide, vient de notre époque ou à peu près : un peu plus tard, quand tout aura vraiment dérapé et que plus de monde encore mourra de faim, quand « la crise de surpopulation et le manque de bouffe ont tout fait partir en couille », quand « la Terre devenait un désert où on allait tous mourir comme des rats ». Dans pas longtemps, peut-être. En tout cas, comme souvent dans ce genre d'histoire (et peut-être aussi dans la réalité, enfin, si
Elon Musk et d'autres « visionnaires » parviennent à leurs fins égoïstes), les plus riches s'en vont en laissant le reste de la plèbe crever sur place. Direction Io. Mais, comme souvent également, certains se sont fait avoir. Ils ont payé, mais sont resté sur Terre. C'est ce qui est arrivé au dormeur.
Même si les planches sont colorées, la couleur qui domine, aussi bien dans les images que dans le scénario, c'est le noir. Pourtant, le ton est presque détaché par moments. Et le dessin, à la limite du caricatural (personnages tout en longueur ou très trapus, aux formes assez géométriques – d'ailleurs, le bonus final montre bien l'évolution des personnages dans cette direction plus stéréotypée, moins réaliste). Malgré cela, le fond est sombre. Car le monde qu'imaginent pour nous les auteurs n'a rien de plaisant. Les survivants dont nous suivons les jours et les nuits vivent dans un immeuble perdu au milieu d'une sorte de désert. Et un désert à la Mad Max. Vide de tout, sauf d'une présence humaine atroce. D'ailleurs, l'adjectif « humain » correspond-il encore à ces bandes de fous furieux au look macabre et halluciné qui parcourent ces étendues à la recherche d'une précieuse ressource : la nourriture. Et quand elle vient à manquer, on peut se rabattre sur les autres humains. Anthropophages. Cannibales. Qu'ils viennent du latin ou du grec, les termes véhiculent la même horreur, le même message : cet univers court à sa perte. D'autant que dans l'immeuble lui-même, tout n'est pas rose.
Je parlais de Candide tout à l'heure pour définir
le dormeur (c'est ainsi qu'on le désigne tout au long de l'histoire, sans lui donner de prénom, comme pour mieux le placer à côté des autres : témoin, enquêteur). Et c'est effectivement le truc scénaristique choisi pour nous permettre de découvrir cet avenir si détestable sans que cela paraisse artificiel. Il en ignore tout. Nous aussi. Ils se pose des questions. Nous aussi. Et grâce à lui, nous obtenons des réponses. D'autant que puisqu'il est accusé du meurtre de Luis (la victime au dos orné d'un couteau), il doit se transformer en enquêteur et découvrir qui l'a vraiment assassiné. À défaut, il finira dans les griffes des Madmax, les cannibales du désert. Ainsi avance l'histoire, sur un rythme efficace, sans temps morts, et avec son lot de surprises. Pour les conserver, je m'arrête là.
Merci à ma médiathèque et celles et ceux qui mettent en valeur certaines pépites dont j'ignorerais jusqu'à l'existence.
le dormeur est une de ces belles découvertes, une histoire sombre et malgré tout lumineuse, grâce à ses personnages poignants et à son intrigue solide.
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