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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Qu'a pu penser André Breton d'un tel ouvrage ? Lui qui appelait ses condisciples surréalistes à bannir le roman de leur esprit, Aragon, le plus fidèle d'entre eux, veut désormais écrire “le monde réel”. Il aurait très bien pu choisir la forme d'avant garde, à l'image des faux-monnayeurs de Gide, mais Louis Aragon a choisi le roman classique.

Classique dans la forme comme sur le fond, un roman dans la veine De Stendhal, avec son ironie à l'attention du lecteur, de Zola, avec son ancrage dans le réel, dans la sociologie des personnages, De Balzac et sa galerie de portraits facultatifs destinés à “doubler l'état civil”, de Flaubert, les deux figures principales de ce roman, à l'image de l'antihéros de l'Education Sentimentale, vivent un parcours initiatique à Paris. Peut-être même que Louis Aragon est le cadet des classiques. le dernier grand auteur classique français.

Le roman, prix Renaudot, parait en 1936, l'année du Front Populaire, mais les évènements relatés se déroulent avant 1914.

Le roman ne débute pas dans ces « beaux quartiers » de l'ouest parisien où la bourgeoisie se réfugie loin des fumées d'usines de l'est de la capitale, usines qu'elle possède mais dont, dans sa mansuétude, elle ne daigne pas disputer la promiscuité des pollutions à sa main d'oeuvre ouvrière.

Aragon invente dans la première partie une sous-préfecture, “Sérianne”, et restaure pour son lecteur l'atmosphère d'une ville moyenne du midi au début du siècle. Les chapitres nombreux et le foisonnement des caractères peuvent quelque peu décontenancer le lecteur qui ne sait plus quel lièvre chasser.

« C'est drôle comme, au fond, nous avons plus que nous le croyons les idées mêmes de nos parents ». Mais progressivement, par un effet d'entonnoir les figures des frères Barbentane (petite ville du midi qui inspira peut-être à Aragon ce patronyme) se distinguent nettement comme les personnages principaux du roman.
Une fratrie, deux caractères, et deux destins dissemblables. “D'abord à ton âge on ne flanque pas de l'argent aux femmes, on en reçoit”. Edmond l'étudiant en médecine, le bel ami de la rue Royer Collard, parfois entretenu par certaines maitresses fait immanquablement penser aux jeunes années d'Aragon, passé par les bancs de la faculté de médecine lui-même, on l'imagine, étudiant parisien découvrant, comme Edmond, la liberté et sachant « qu'il pouvait ne pas dîner, personne ne l'attendait. Il était merveilleusement seul ». Autre analogie, on sait qu'il fut entretenu par de riches compagnes comme Nancy Cunard.
« Il avait rompu avec le monde des siens, où le travail est un déshonneur, tout au moins le vrai travail, celui des bras, celui des mains ». Sous les traits d'Armand, le jeune frère, c'est davantage la prise de conscience d'une lutte des classes par un jeune bourgeois, qui peut faire penser à l'écrivain communiste, ou encore l'attrait pour le monde des arts et du sensible.

Certains personnages secondaires ont tout de même retenu mon attention, je pense à la très belle description du feu qui s'empare du bas ventre de la pauvre Jacqueline Barrel, déroutant de réalisme sur le désir d'une jeune femme versus la morale de son temps, mais aussi le destin de la jeune Angélique dans la première partie qui arrache le coeur, « de tout cela seulement se dégageait le sentiment d'une monstrueuse injustice, d'une injustice triomphante et sans corps saisissable, à la merci de laquelle on se trouvait à proportion qu'on était pauvre, ou simplement sensible. »

« Il y a ainsi chez l'homme quelque chose de plus profondément à lui que son visage, de petites habitudes, des manies. C'est de l'horreur de ces manies qu'est faite la vie conjugale, c'est de l'attendrissement sur ces manies que sont faites les amours durables. » Mais également le couple Grésandage, Jeanne et Charles (« Charbonnier »), le père Barbentane méprisé par ses fils, l'ignominie du personnage de Colombin, Madame Beurdeley, la stature de Joseph Quesnel, « un homme qui dort bien ne sait pas ce que c'est que la vie », et qui eut « ce douloureux, cet atroce bonheur d'aimer, et d'aimer trop tard, quand on est plus aimable ».

“tout ce que j'aime, moi, c'est des gens nouveaux”. La figure féminine et sensuelle centrale du roman, la courtisane italienne Carlotta Beneduce, « elle lui faisait mieux sentir la médiocrité de sa vie (...) mais de sa vie à venir, de ce lendemain pour lequel il esquintait sa jeunesse ». Il semble presque que le personnage pour lequel Aragon a le plus d'estime est Carlotta, cette ancienne prostituée, cette Castiglione pragmatique et peu conventionnelle, entourée par des hommes qu'Aragon ne ménage pas.

Le compagnon d'Elsa Triolet a pour ambition d'ancrer les personnages dans la réalité. Les discussions d'alcôves des industriels dans les hôtels particuliers feutrés bordant le parc Monceau, les représentations théâtrales de Réjane et Sarah Bernhardt, les meetings de la C.G.T au Pré Saint Gervais, à quelques années du début de la première guerre mondiale sont l'occasion pour le lecteur de croiser brièvement Poincaré ou Jaurès, d'entendre parler des stratégies parlementaires de Barthou ou Doumer sur la loi des trois ans : « pour l'instant c'est la bagarre entre les marchands de force et les marchands de ruse ».

La langue populaire du début du siècle regorge de mots d'argot dont certains nous sont encore familiers comme smala, chelingue, beau gosse, aboule, bouille, pagnoter, trucmuches, boulotter, galapiat, gogo, chtouille, goupiller tintouin, mince, saperlipopette etc.

Derrière l'auteur de grand talent, le militant communiste n'est jamais loin, on comprend que le roman n'est qu'un exemple, un laboratoire de l'expérience étroite d'humains, pas forcément mauvais en soi mais qui incarnent un système de classes, de castes.
Aragon fustige les puissances de l'argent qui souillent et exploitent la France, la précipitant vers la Première Guerre Mondiale.
Ces gens des beaux quartiers qui font passer les bourses du travail pour antipatriotiques, cette pègre des maisons closes, des casinos, du « passage-club » reçue à l'Elysée, la France « meurtrie, immense comme un coeur palpitant », cette France s'arrête à eux. Ces puissances sont tout à fait étrangères à la France, elles qui font travailler l'immigré italien comme du bétail, et défiler annamites et tirailleurs sénégalais des colonies au 14 Juillet. Aragon trace une limite à la France, entre les beaux quartiers et « la couronne ouvrière de Paris qui se propage dans les arrondissements pauvres », et citant Jaurès « la France finit là ». Son oeuvre, sa langue, sa prose, son talent il les rend à la cause de sa vie, pour le meilleur, la résistance, et pour le pire, l'oppression stalinienne si peu dénoncée par lui.

“Moi je vous parle. Mes lèvres vont (...) j'ai aussi avec moi tout un monde muet (...) je pense à ce que je ne dis pas. (...) nous sommes, comme les autres, des êtres doubles.” A lire pour la prose singulière du poète qui, se faisant romancier apporte son originalité au roman, s'adressant également au lecteur (sur un ton bien plus informel que lors de ces interventions télévisuelles où sa solennité monotone, lorsqu'il récite ses vers pourtant si vivants, a de quoi surprendre).

« Nous n'aimons pas ce qui est en marge instinctivement ». Mais d'abord et surtout pour la vivacité du « monde réel », un monument littéraire vivant qui se déroule sous nos yeux, avec son argot, ses faits divers de petit chef lieu de province, son tumulte parisien, ses drames poignants, sensuels et parfois morbides, et sa critique déjà socialisante de la condition des petits, des plus faibles, des femmes et de la cupidité.

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Ce roman raconte l'histoire de deux frères, issus de la petite bourgeoisie provinciale du Sud de la France, qui montent à Paris dans les années qui précèdent le première guerre mondiale ; de multiples autres personnages, femmes ou hommes, gravitent autour d'eux.
Inévitablement, j'ai pensé aux livres de Zola, et par le style, et par le sujet.
J'ai donc apprécié la prose d'Aragon, presque autant que ses poèmes.
Le monde qu'il nous décrit dans ce roman est parfois semblable au notre (cf. les politiciens), d'autres fois légèrement daté mais nous avons là une belle fresque historique de cette société et de ce qui l'agite à cette époque cruciale, que ce soit du ressort de l'intimité (affres de l'amour et de la jalousie) ou du destin du pays entier (cf. loi des trois ans).
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Nous sommes à la veille de la Première Guerre Mondiale.
Deux frères que tout oppose s'apprêtent à commencer leur vie.
Edmond et son agilité, sa beauté, comme tout semble facile et évident. Médecin, comme papa. Radical comme papa, peut-être maire, peut-être ministre qui sait ! Mais contre toute attente, Edmond rejete cette vie-là. Malgré des ambitions débordantes. Il est à certains moments prêt à tout pour cet argent qui lui brûle les doigts. Il tombe amoureux, fou amoureux, d'une prostituée repentie, maintenant la protégée d'un homme très riche.
Armand. Armand vouée par sa mère à la prêtrise. Mais subitement, lui non plus ne veut plus de cette vie. Il envisage le théâtre, il ne sait pas, ne sait plus. Ses convictions religieuses, vite brisées par les femmes, la famille, glisseront doucement mais sûrement vers des convictions politiques. Socialistes.
Un portrait d'une France qui a encore du mal à sortir de ses carcans, religieux et traditionnels. le portrait d'une France tiraillée, désunie, face à une guerre dont on sent poindre les prémices.
Je me souviens avoir lu nombre de poètes ponctuellement versés dans la prose. Notamment Baudelaire. Et décidément, je retournais à ses vers. Mais là, toute la poésie d'Aragon est mise au service du récit, c'est rythmiquement parfait. Intelligent, mélodieux, des mots comme il en faut, là où il faut.
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Les Beaux Quartiers est le second tome du cycle le Monde réel, qui débute par les cloches de Bâle...Que je n'ai pas lu, étourdie que je suis !

Cette oeuvre s'inscrit dans le courant littéraire du réalisme socialiste, et relève du roman initiatique : on suit en effet les aventures de deux jeunes adolescents, Edmond et Armand Barbentane, que tout sépare. Edmond est en effet le portrait de son père, le docteur du village et candidat au poste de maire ; il se destine aux études de médecine, excelle "aux boules" et est en tout point conforme à ce que l'on attendrait d'un jeune homme vigoureux. Armand, lui, s'agrippe aux jupes de sa mère et fait preuve d'une sensiblerie amusante : il se voue dès son enfance au service de Dieu...Avant de préférer au Seigneur la Poésie, qu'il partage avec son ami Pierre, grand séducteur malgré lui.

La première partie du roman se déroule dans le village provençal de Sériane, en effervescence lors des élections du maire : tous les regards sont tournés vers la scène politique parisienne, où les radicaux et les socialistes s'affrontent sur la question des "Trois Ans", un service militaire prolongé pour faire face à la sourde menace allemande. Les discussions vont bon train au Panier fleuri, le bordel du village où tous se retrouvent.
Ce petit monde voit grandir Edmond et Armand qui participent aux intrigues du village, entre tromperies galantes et culbutes dans les champs...

La deuxième partie du roman elle, se déroule à Paris : Edmond y fait ses études et est obnubilé par les femmes et l'argent, et découvre les jeux de hasard ; à la même période, Armand fugue de son lycée d'Aix en Provence, et rejoint la capitale à la recherche d'un travail qui ne le fasse pas renoncer à ses nouveaux idéaux.

Une myriade de personnages et le contexte historique du début du XXe siècle semblent être au service des deux fils Barbentane, tout deux un peu insupportables ; en arrière-plan se dévoile la lutte sous-jacente entre les courants de pensée radical et socialiste, qui pèsent finalement peu face à la nécessité de survivre qu'éprouvent tour à tout les deux jeunes hommes. Si l'intrigue s'essouffle par moment, la plume acerbe et les détails absolument truculents qu'esquissent Aragon viennent s'ajouter aux saillies des personnages qui m'ont fait plus d'une fois rire aux éclats : c'est avec plaisir que je lirai les autres tomes du Monde réel.
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Les beaux quartiers est l'histoire de deux frères, complètement différents.
C 'est une histoire de la routine où l'on voit ces deux frères, particulièrement le cadet, grandir, évolué, se poser des questions...
L'histoire est également au coeur des tumultes politiques et des classes sociales, des élections électorales dans la petite ville provinciale qu'est Sérianne-le-Vieux, aux élections présidentielle à Paris. Tout au long de la deuxième parti du récit, les tumultes et les nombreux désaccords qu'apporte la loi des Trois Ans est décrite.
L'aîné se rend à Paris pour suivre des études de médecine pour l'approbation paternelle, mais bien vite, très ambitieux, le jeune homme préférera à ces dernières une jeune femme d'une grande beauté entretenue par un homme très riche.
Le cadet, cherchant sa voie, décidera de quitter sa ville natale, ses parents, tout, pour tenter une nouvelle existence à Paris.
Ce roman, très descriptif, est magnifique.
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