J'ai mis du temps avant de m'intéresser à
René Guénon mais après avoir lu
Jung et l'occulte, le dernier essai de
Alexandra Arcé, je me suis senti obligé d'aller le consulter, directement dans le texte.
Qu'est-ce qui m'a tenu si longtemps à distance de
René Guénon que pourtant je connaissais, au moins de nom ? ... Ce ne sont pas ses idées puisqu'elles ne m'ont pas posé de problème lorsque je les ai découvertes. Et puis... j'ai compris ! Avant de lire Guénon, c'est en fait la nébuleuse des guénoniens qui m'en avait inconsciemment tenu à l'écart, ainsi que leurs tentatives de récupérations récurrentes d'une oeuvre pour partie inclassable puisqu'elle se situe, pour paraphraser Guénon au sujet de la périphérie et du centre... partout et nulle part. Toute sa vie durant,
René Guénon s'est employé à revaloriser le Symbolisme et la Tradition, tout à la fois universels et partiels dans leurs manifestations, d'une culture à l'autre... partout et nulle part, donc.
Parmi les guénoniens qui m'ont particulièrement tenu à distance de
René Guénon, je compte ceux qui cherchent à lui faire dire ce qu'il n'a jamais dit et, pour être clair, à utiliser son exemple pour redorer l'image de l'islam. Sauf que
René Guénon était soufi et que, quoi qu'on en dise, les soufis qui se considèrent musulmans mais qui ne représentent qu'une minorité d'entre eux sont considérés comme des hérétiques par le restant. Bref, l'aspect le plus intéressant de la pensée islamique est dénigré par la majorité du monde musulman, mais ça n'empêche pas certains de vouloir récupérer le soufi Guénon, à toutes fins idéologiques et à toutes arrière-pensées utiles. A cela, il faut ajouter que
René Guénon fut d'abord attiré par le Védantisme mais qu'il ne put être initié en raison de la loi des castes qui, ironie du sort, est une transposition dans l'organisation sociale de la Tradition.
Laissons-donc de côté les récupérateurs de tous bords et intéressons-nous à ce que
René Guénon a vraiment à dire, notamment sur les travaux de Jung. Force est de constater que les critiques de Guénon visent juste. Oui, c'est vrai que Jung induit une erreur catégorielle en ne distinguant pas explicitement l'infraconscient du supraconscient et que cette erreur implicite, si elle permet à Jung de se faire une place au soleil dans les milieux académiques de l'époque, fait courir le risque de travestir la véritable Tradition en empruntant ses ornements.
Par ailleurs, la notion d'individuation développée par Jung a fait son chemin et vient aujourd'hui épouser l'air du temps, acquis à l'individualisme et à l'idéal d'épanouissement personnel. Je pense que Jung serait le premier à émettre des réserves sur cette appropriation bien qu'en son absence, l'oeuvre qu'il a produit ait effectivement rendu possible un tel rapprochement.
Il existe un peu le même problème dans le monde du Yoga : beaucoup de pratiquants y voient un exercice de bien-être sans être conscients du côté pas très cool mais plutôt exigeant de sa philosophie, qui engage dans une démarche initiatrice et même spirituelle. Mais comme de tout cela, nos contemporains ne veulent pas en entendre trop parler, on évite de s'y attarder, on laisse le ou la prof tenir ses propos perchés en attendant que ça lui passe parce que... "on n'est pas venu pour ça, nous, on est là pour le boost, à fond la forme !" C'est toujours mieux que rien, me direz-vous... oui dans un sens, mais non dans le sens de
René Guénon car cela maintient le pratiquant dans une douce illusion et ignorance des réels enjeux du Yoga. Attitude parfaitement rédhibitoire pour
René Guénon puisqu'elle nous détourne de la Vérité.
Voilà pour ces réflexions, qui bien sûr ne me seraient jamais venues sans la lecture de cet essai passionnant, qui va au-delà d'une mise en perspective du point de vue de
René Guénon sur la psychanalyse. L'auteure nous livre en effet, en guise de conclusion, un point de vue personnel sur l'héritage jungien, avec lequel je suis tombé d'accord. Vous voulez savoir lequel ? Eh bien lisez l'essai, bande de cocos, et on en reparle !