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Miss Anna Estcourt est une jeune anglaise qui vit en parente pauvre chez son frère et sa riche belle-soeur. Elle a déjà vingt-cinq ans et un chagrin d'amour sur le coeur. Elle sent de plus qu'elle ne renoncera pas à son indépendance pour la domination d'un mari et elle ne croit plus vraiment en l'amour, chat échaudé craint l'eau froide.

C'est pourquoi, alors que son destin prend un virage à 180° quand son oncle allemand meurt en lui léguant une confortable rente et un domaine, décide-t-elle de quitter l'Angleterre pour s'installer sur le continent, malgré son allemand balbutiant. Elle découvre une autre culture, d'autres us, d'autres traditions et elle a une brusque révélation : il lui faut redonner tout son éclat au manoir qui est désormais sien pour y accueillir une douzaine de "dames de bonne famille ayant été éprouvées par la vie et n'ayant pas de foyer". Commence alors une aventure avant-gardiste qui est loin de faire l'unanimité dans son entourage. Régisseur, pasteur, domestiques, femme de charges, gentlemen-farmers du voisinage, et... les pensionnaires elles-mêmes !

Je ne connaissais pas l'oeuvre d'Elizabeth von Arnim mais elle piquait ma curiosité depuis un moment, au même titre que toutes les femmes de lettres du XIXème siècle. La plume est belle, conforme à l'académisme de l'époque. La structure du roman n'est pas sans rappeler les soeurs Brontë ou encore Thomas Hardy. Mais, surtout, ce qui est remarquable avec "La bienfaitrice" publié en 1901 en feuilleton, c'est la modernité du sujet.

A cette époque - pas si lointaine -, une jeune femme de vingt-cinq ans sans fortune et qui n'est pas mariée est pour ainsi dire mise au banc de la société mondaine, et catégorisée parmi les vieilles filles. Or, l'auteure se propose de faire d'Anna une figure indépendante, qui agit avec décision et autonomie, recherchant la compagnie des femmes, non celle des hommes. Certes, pas dans un but charnel mais pour secourir celles qu'elle nomme ses "soeurs" car elle voit en elles la détresse à laquelle elle a échappé en héritant ; en les sauvant, c'est elle-même qu'elle sauve par procuration. de même, bien qu'elle soit dotée de beaucoup de dons dont la beauté, Anna Estcourt n'est pas une âme romantique qui s'amourache du premier venu. Par bien des aspects, elle m'a rappelée Bathsheba Everdene, l'inoubliable héroïne de "Loin de la foule déchaînée". J'ai vraiment aimé cette héroïne.

L'idée de créer une communauté laïque offrant refuge et asile à la façon phalanstère avec l'espoir de construire un cadre de vie harmonieux témoigne à mon sens d'une évolution des mentalités en cette Belle-Epoque charnière pour la condition des femmes. Alors, même si Elizabeth von Arnim n'était pas une suffragette, j'ai apprécié cet angle narratif, d'autant plus que le roman a été écrit alors que son mari et elle venaient de s'établir en Poméranie - où se déroule "La bienfaitrice" - au domaine familial. J'ai goûté cette note d'inspiration autobiographique dans le contexte.


Challenge PLUMES FEMININES 2022
Challenge MULTI-DEFIS 2022
Challenge COEUR d'ARTICHAUT 2022
Challenge SOLIDAIRE 2022
Challenge XIXème siècle 2022
Challenge XXème siècle 2022
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Encore un petit bijou !

Elizabeth von Arnim est une romancière qui m'intriguait depuis un bon moment déjà, je n'avais donc plus qu'une seule chose à faire : lire l'un de ses livres ! J'ai choisi La Bienfaitrice, car l'histoire m'a tout de suite plu : celle d'une jeune femme âgée de vingt-cinq ans, Anna Estcourt, vivant chez son frère Peter et sa belle-soeur Susie à Londres. Une vie d'indépendance lui manque donc. Cependant, quelques temps après, elle apprend que son oncle Joachim - qui avait perçu le caractère de la jeune femme - lui a laissé en héritage une belle propriété en Allemagne. L'avenir devient soudain plus prometteur…Anna décide alors de consacrer son temps et sa propriété à douze femmes issues d'un milieu aisé, mais ayant connu un évènementterrible (comme la mort d'un proche, l'endettement, la solitude) les empêchant de vivre une vie heureuse. Malheureusement, lorsque le projet semble enfin se réaliser, Anna découvre que ce qu'elle avait prévu était utopique, et devra affronter bien des difficultés avant de connaître le vrai bonheur…

Les personnages m'ont vraiment ravie, à commencer par Anna : en effet, indépendante d'esprit, celle-ci incarne la modernité en décidant de ne jamais se marier afin de faire ses propres choix sans une autorité pour la guider. A travers le personnage d'Anna, on devine Elizabeth von Arnim elle-même, l'une des rares femmes émancipées de son époque. Par ailleurs, je suis tombée sous le charme d'Axel von Lohm, le voisin d'Anna, un jeune homme terriblement attachant, qui, par amitié pour l'oncle Joachim, protège Anna, et finira par en tomber amoureux. C'est le seul personnage masculin qui m'a touchée dans ce roman ! Pour finir, Letty, la Princesse et les Manske m'ont aussi plu. Au contraire, d'autres personnages ont déclenché mon antipathie, tant par leur égoïsme que par leur avarice, comme Susie, Frau von Treumann, la Baronne ou les Dellwig.

J'ai donc eu un coup de coeur pour La Bienfaitrice, car la plume de l'auteure, magique, a su me toucher et m'a également permis de m'interroger sur des thèmes « phares » de l'existence, comme l'argent ou le bonheur.

A lire !
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Bien que fort jolie, Anna n'a guère l'insouciance habituelle de son âge pour profiter de la vie. La fortune familiale n'est qu'un vague souvenir, ne demeure que le nom, témoin unique de sa bonne naissance. Elle vit chez son frère, à ses dépens, enfin plus précisément aux dépens de sa belle-soeur Susie qui détient la fortune du ménage.
Anna songe à son indépendance, sa belle-soeur lui serinant amèrement le fait qu'elle lui soit redevable pour tout. Plutôt qu'aspirer au mariage, contrecarrant ainsi tous les efforts concédés par Susie pour lui trouver un bon parti, elle préfèrerait gagner son indépendance en balayant les rues ! Susie appuie avec toute la franchise qui la caractérise sur le coût de ses démarches pour attirer les prétendants. le problème majeur reste qu'elles sont loin d'avoir la même vision du bonheur, Susie se ralliant à celle de l'époque qui veut que toute femme, c'est-à-dire un être faible, doit trouver appui sur un mari et se complaire dans les travaux ménagers du foyer.
Eh bien, ce n'est pas du tout le sens qu'Anna veut donner à son existence !
Et voilà qu'une merveilleuse lettre vient changer le cours des choses avec l'héritage inespéré d'un domaine en Allemagne. Débordante de bonheur, enfin détentrice d'un revenu, Anna désire le partager avec d'autres femmes de bonne naissance mais malheureuses et complètement désargentées en leur offrant un asile et un avenir heureux.

Cette première découverte d'Elizabeth von Arnim m'a enchantée.
Tout d'abord le cadre, dans ses belles descriptions explicites, m'a tout de suite attirée. Une bâtisse dans un écrin forestier propice au bonheur, comme le pressent Anna. L'intérieur y est pourtant miteux avec une décoration hideuse. Mais Anna aime cette maison perdue, nichée entre le rivage de la mer baltique et cette forêt de pins qui l'apaise. Rien ne peut ternir sa fierté ni n'entamer la magie d'être propriétaire.

L'originalité de son projet fou est charmante même si l'on se doute bien qu'apporter lumière et bonheur à des femmes inconnues mais scrupuleusement sélectionnées ne va pas couler de source. L'élan et la naïveté de cette jeune anglaise de vingt-cinq ans n'avaient point pris en compte la nature humaine. Être de bonne famille n'exclut pas la perfidie, l'hypocrisie, la mesquinerie et le mensonge. Cette entreprise philanthropique plutôt hasardeuse va rapidement ouvrir les yeux de notre héroïne et lui faire reconsidérer sa définition du bonheur.

J'ai particulièrement apprécié l'humour de l'auteure, si naturellement présent, et bien sûr son ironie très subtile mais qui ne dénonce pas moins la considération des femmes à cette époque. Que ce soit en Angleterre ou en Allemagne, leur infériorité est rappelée de différentes façons tout au long du roman. On détestera alors le régisseur du domaine qui, derrière son obséquiosité, cache des intentions conquérantes au niveau de l'exploitation tout en signifiant odieusement : ce n'est qu'une femme « née pour aider et pour servir ».
Bien d'autres personnages de ce roman sont irrésistiblement détestables et heureusement qu'un brave pasteur, dithyrambique et candide, ainsi que le séduisant propriétaire voisin sauvent un peu cette galerie humaine.

Mené avec mordant, délicieusement écrit, ce roman exploite la question du mariage au beau milieu d'une époque où il est bien difficile de passer au delà des considérations sociales bien ancrées. Ce refus de la dépendance, chose excessivement triste et déprimante selon Anna, est loin d'être accepté comme un élan de modernité en ce début de XXe siècle.
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Un grand merci à Babelio et aux éditions de l'Archipel pour cet excellent roman découvert à l'occasion de Masse critique. Cela faisait plusieurs années que je songeais à découvrir cet écrivain, et puis son nom a fini par grossir ma LAL et je dois bien avouer que je l'ai un peu oubliée, la pauvre.

Comme son nom ne l'indique pas, Elizabeth von Arnim était une Anglaise, née en Australie et mariée à un comte Prussien, homme coléreux et violent, qui lu a inspiré bon nombre de personnages. La vie de von Arnim m'a beaucoup intéressée : cette cousine de Katherine Mansfield côtoya des écrivains, fut la maitresse de H.G. Wells, et parvint à gagner son indépendance. L'indépendance féminine justement, est le thème principal de son roman.

Se marier ou ne pas se marier ? telle est la question...

...que se pose notre jeune héroïne, Anna Estcourt, qui va goûter les joies et les désagréments de la liberté à la fin du XIXème siècle.

Orpheline, à la charge de Suzie, sa belle-soeur, Anna est lasse de sa vie mondaine sans intérêt qui se déroule à Londres. Jusqu'au jour où un vieil oncle allemand a la bonne idée de lui léguer un petit domaine dans le nord de son pays, en Poméranie. Et voilà notre belle jeune femme de 25 ans, toujours résolument célibataire, décidée à s'installer dans sa nouvelle demeure avec une idée fort généreuse : faire de sa nouvelle maison un hâvre de paix pour femmes malheureuses et désargentées.

On se doute bien que son parcours sera semé d'embûches et que les rencontres ne seront pas toutes plaisantes. Elizabeth von Arnim brosse les portraits d'une galerie de personnages tantôt farfelus tantôt méprisables. de l'ambitieux et odieux intendant Dellwig, au vicaire Manke, passablement intolérant, en passant par des coureurs de dot et un jeune illuminé, on ne saurait dire lequel de ces messieurs il conviendrait de fuir en premier !

Heureusement, le séduisant voisin d'Anna, Axel von Lohm, incarne le gentleman parfait et pour tout dire l'homme idéal. Un héros dans la lignée de ceux de Jane Austen ou Elizabeth Gaskell.

Anna a beau vivre dans un cadre enchanteur, son coin de nature paisible et sauvage, elle passe le plus clair de son temps à repousser des demandes en mariage, à s'opposer à des idées et suggestions que d'aucuns voudraient lui imposer et à subir les remarques perfides des autres femmes, épouses soumises et solides travailleuses.

C'est qu'en Poméranie, le destin de la femme est tout tracé : épouse et tais-toi !

Malgré ce constat amer, la gente féminine n'est guère épargnée et je ne peux m'empêcher de penser qu'Elizabeth von Arnim ne devait pas avoir une haute opinion de ses contemporaines. Toutes celles croisées dans le roman, la femme du vicaire, celle de l'intendant, les trois protégées d'Anna, la soeur d'Alex, Suzie et bien d'autres se montrent mesquines, paresseuses, superficielles, et même méchantes. Fraulein Kuhrauber, Frau von Treumann, la baronne Elmreich, aucune n'est digne d'intérêt et encore moins, de compassion.

Rares sont celles qui échappent à cette peinture au vitriol ! : la Princesse Ludwig, la nièce d'Anna, Letty et Miss Leech sa gouvernante.

Rien ne manque à ce très bon roman : une peinture très ironique de l'époque, un face à face savoureux et souvent drôle entre les mentalités anglaises et allemandes, une idylle romantique - et quelques drames pour ajouter un peu de piment, et une saine réflexion sur le statut de la femme et les différences sociales. Une excellente découverte qui me pousse à ajouter quelques autres titres de Miss von Arnim sur ma liste de bouquins prioritaires.
Lien : http://lectures-au-coin-du-f..
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Elizabeth von Arnim excelle dans l'art du portrait. Les personnages qu'elle met en scène dans "la bienfaitrice" reflètent bien la diversité des caractères et des ambitions humaines. Peu sont attachants, femmes et hommes campés avec précision rivalisent d'hypocrisie, d'orgueil, de mesquinerie, d'égoïsme. La liste pourrait être encore plus longue. Ils mettent toutefois en valeur Anna l'héroïne. Jeune femme de 25 ans, elle vit chez son frère et n'est pas très heureuse. Jolie, intelligence et pleine de bonté elle rêve d'indépendance et n'a aucune envie de se marier comme le voudrait sa belle soeur Suzy.
Le destin la comble lorsque son oncle lui lègue une maison en pleine nature au nord de l'Allemagne qui lui assurera une belle rente. Un peu naïve Anna part sur place et décide de créer un lieu d'accueil, un refuge pour quelques femmes de bonnes familles désargentées. Malgré sa bonté et sa force de caractère l'aventure est difficile et douloureuse. Elle trouve réconfort dans une nature paisible et sauvage dont les descriptions enchantent le récit, et dans l'amitié d'un homme. S'assumer, prendre les décisions, tout gérer rien n'est simple mais Anna se bat et ne baisse pas les bras.
Elizabeth von Arnim nous conte ce parcours du combattant avec humour et ironie. Son regard sur le genre humain n'est pas tendre. Ce texte paru en1901est d'une très grande modernité et son attachante héroïne est précurseure des femmes d'aujourd'hui dans leur autonomie et leur liberté d'action et de pensée.

"avril enchanté"reste toutefois mon coup de coeur de cette auteure.
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L'avantage des opérations Masse Critique proposées régulièrement pas Babelio est de se retrouver nez à nez avec des ouvrages dont on ne soupçonnait absolument pas l'existence. Avant de voir La Bienfaitrice dans la liste, je n'avais jamais entendu parler de ce titre ni même de son auteure, Elizabeth von Arnim. Un coup d'oeil au résumé et à la date de publication (1902) et il me semblait évident que ce livre était pour moi.
Je ne regrette pas ce choix qui, en plus de m'avoir fait passer un excellent moment de lecture, me donne très envie de fouiller un peu plus dans la vie - extraordinaire - de cette Elizabeth von Arnim et de me pencher un peu plus sur ses oeuvres, dont certaines semblent assez biographiques. Merci donc à Babelio et à Archipoche pour cette découverte qui sonne, je pense, le début d'une nouvelle « obsession » littéraire.

Après lecture de la préface qui revient en quelques pages sur la biographie de l'auteure, j'ai compris que cette Mary Annette Beauchamp dite May (qui finit par épouser le comte allemand Von Arnim à plus de 25 ans et prend le nom de plume d'Elizabeth) avait eu une vie assez passionnante et scandaleuse pour l'époque (elle a notamment été la maîtresse du célèbre H. G. Wells). A l'instar de notre Colette française (qui vécut quelques années plus tard), May semblait être une femme de tête, bien décidé à briser les conventions sociales de son époque et qui, pourtant, tomba sous le joug d'un mari brutal et dominateur.
C'est typiquement le genre de vies qui me parlent et qui, à mon sens, permettent à ses auteures femmes, d'imprégner leurs oeuvres de réflexions et émotions fortes et passionnantes. Attention, d'autres auteures femmes n'ont pas eu besoin de ça pour briller : Jane Austen et les soeurs Brontë ont eu des vies de recluses (ou presque) et ont tout de même réussi à écrire des oeuvres intenses et inoubliables !
Mais, en découvrant, dans la préface, qu'Elizabeth von Arnim avait eu une telle vie et surtout l'habitude d'insérer quelques éléments autobiographiques dans ses oeuvres… j'étais convaincue par ce texte avant de le parcourir !

Avec le thème de l'indépendance féminine à la fin du XIXe siècle et au tournant du XXe pour fil rouge, La Bienfaitrice offre des portraits de personnages savoureux et une ironie qui n'a rien à envier aux romans de Jane Austen. La psychologie des personnages, leur évolution (ou non) durant ces 400 pages… voilà bien ce que je retiens le plus de ma lecture. Elizabeth von Arnim possède ce talent rare et envié de nous brosser, en quelques phrases, les caractéristiques des figures qu'elle met en scène. C'est certes parfois assez exagéré mais n'en reste pas moins tout à fait crédible et surtout, délectable.
Les personnages sont nombreux, gravitent tous autour de notre jeune héroïne anglaise - Anna - (qui m'a plu la plupart du temps, malgré sa naïveté) et rivalisent de bêtises (pour la plupart) ; Elizabeth von Arnim ne les épargne pas ! Je ne les développerai pas tous pour ne pas vous noyer sous une énumération interminable mais vous donnerai juste quelques exemples de portraits marquants, en espérant que cela vous donne envie d'aller lire le roman pour découvrir tous les autres !
Susie, la belle-soeur de l'héroïne, est la première figure marquante du lot. Elle n'apparaît que dans la première partie du texte mais ne passe certainement pas inaperçue ! Hypocondriaque terrifiée par sa femme de chambre, terrorisée par ce qu'elle et sa famille peuvent laisser paraître aux yeux du monde, égoïste et avare derrière son apparente bonté… en bref, particulièrement ridicule et agaçante. Elle m'a souvent fait penser à Mary Elliot, la jeune soeur d'Anne, l'héroïne de Persuasion de Jane Austen. Certaines des scènes où elle apparaît m'ont fait beaucoup rire ; je retiens celle de l'arrivée en Allemagne. Les personnages doivent alors rejoindre la nouvelle demeure d'Anna et pour cela, ils empruntent une voiture dont les sièges ont préalablement été nourris avec de la graisse de poisson, pour justement faire plaisir aux arrivants ! Dire que Susie est incommodée par l'odeur serait en dessous de la vérité !
Le deuxième personnage qui a attiré mon attention est le jeune vicaire Klutz. du haut de ses vingt ans, il tombe fou amoureux de la jeune anglaise qui vient habiter dans la région. Oubliés tous ses devoirs, dorénavant, ne comptent plus que les poèmes enfiévrés (et particulièrement ridicules) qu'il lui dédie. Anna est de plus haute naissance que lui, certes, mais il est un homme donc forcément supérieur à la plus grande des reines… Il sera à l'origine d'un quiproquo étonnant et particulièrement amusant s'il n'avait pas des conséquences assez dramatiques. Imaginez Mr Collins (dans Orgueil et préjugés de Jane Austen), enlevez-lui quelques années et ajoutez-lui une tendance au romantisme risible… et vous avez une idée du personnage.
N'oublions pas les trois femmes recueillies par Anna, toutes les trois versées dans l'art du mensonge et de l'hypocrisie. L'une souhaite oublier son affiliation scandaleuse, l'autre cherche à tout prix à refaire sa fortune (et sa bienfaitrice pourrait bien l'y aider, même contre son gré, peu importe après tout !) et la dernière, peut-être la moins affreuse des trois, tente de trouver sa place malgré sa « basse extraction » (extraction évidemment « secrète »)…
Je ne sais pas quelles est la part de vérité dans ces peintures, mais si toutes les femmes de l'époque étaient aussi sottes, imbues de leur personne, obsédées par l'image qu'elles avaient en société et chasseuses de beaux mariages… Elizabeth von Arnim ne nous brosse pas un portrait très glorieux de la gent féminine ! Entre les anglaises hautaines et les allemandes soumises à leurs époux… heureusement, quelques figures sortent du lot. Letty - la jeune nièce d'Anna - malgré la bêtise et la gaucherie liées à son jeune âge, semble plutôt prometteuse (même si son physique ingrat fait honte à Susie, sa mère). La nouvelle dame de compagnie de notre héroïne, bien qu'aux idées très arrêtées, est une femme respectable et qui se révèle être d'une grande aide. Quant aux hommes de l'histoire, seul Axel von Lohm, le voisin le plus proche, semble mériter notre intérêt. Un vrai gentleman qui tente de protéger au mieux sa nouvelle voisine des ruses des époux Delvig - les régisseurs fourbes -, de l'adoration maladroite du pasteur Manske et des trois résidentes chaleureusement accueillies, qui se transforment vite en sangsues.
Je m'arrête là, mais il y aurait encore beaucoup à dire de toute cette palette de personnages qui n'ont pas gagné des portraits très flatteurs ; mais offrent des scènes dans lesquelles Elizabeth von Arnim peut développer toute l'ironie qu'elle maîtrise à merveille.

Anna souhaitait accueillir et chouchouter des femmes malheureuses pour les rendre heureuses en leur offrant les choses simples de la vie, mais ces trois-là vont lui mettre des bâtons dans les roues. Tout va se compliquer et notre héroïne, si enthousiaste et heureuse au début de l'aventure, va vite déchanter… A cette quête d'indépendance semée d'embûches se greffe une romance qui arrive assez tardivement. Elle ne sera pas inoubliable mais elle m'a satisfaite sur bien des points, je n'en demande pas plus. Bien sûr, ici point de batailles enfiévrées et d'actions à toutes les pages… malgré tout, des choses, il s'en passe et les paragraphes défilent à toute vitesse.
Alors oui, qui dit littérature plus « classique » dit littérature plus exigeante. Malgré tout, ne prenez pas peur, je trouve que la plume d'Elizabeth von Arnim est très fluide et très agréable à parcourir. Les phrases sont construites avec talent et comme je le disais juste au dessus, l'ironie est de mise. Bien que certains sujets et certaines scènes soient graves, l'auteure n'hésite pas à alléger le tout avec quelques mots bien sentis. Et si j'ai pris plaisir à découvrir les dialogues, j'ai encore plus apprécié les descriptions, bien dosées. Les portraits des personnages sont vraiment LA chose à retenir de cette lecture.

Si elle ne détrône pas Jane Austen dans mon coeur, Elizabeth von Arnim a marqué de nombreux points avec sa Bienfaitrice qui, un peu à l'image de la première auteure citée, offre des portraits de personnages savoureux et une ironie parfaitement maîtrisée. Inconnue il y a encore quelques semaines, j'envisage aujourd'hui de me renseigner sur la vie bouillonnante de cette auteure et j'espère surtout avoir l'occasion de lire ses autres oeuvres !
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Jeune fille de famille noble mais piteusement fauchée, orpheline de surcroît, Anna Escourt a été élevée par sa belle-soeur, aussi fortunée que dépourvue de manières et toujours prompte à rappeler ce qu'on lui doit. Elle a bon coeur, Anna, elle tendrait assez à plaindre cette pauvre Susie dont la situation affective n'est guère enviable - mais l'affection qu'elle lui porte elle-même n'est jamais si vive que lorsqu'elles sont séparées. Lorsqu'elle ne doit pas subir sa raideur, ses réflexions désobligeantes, ses manigances mondaines et ses perpétuelles allusions à l'ingratitude de la jeune fille : pensez donc, dans sa situation, à presque vingt-cinq ans, s'obstiner à décourager tous les prétendants que son joli visage attire, à rester sur les bras de celle qui a déjà tant fait pour elle !
C'est que le mariage ne la tente guère, Anna, surtout le mariage d'argent qu'on entend lui imposer. Libre et indépendante : voilà ce qu'elle se rêve, sans grand espoir hélas... jusqu'au jour où tout bascule enfin. Son vieil oncle Joachim vient de mourir et lui laisse, contre toute attente, un petit domaine en Poméranie doté d'un assez bon revenu pour ne plus dépendre de personne.
Folle de joie, Anna se met en route pour l'Allemagne et décide bientôt que son bonheur, puisqu'elle en a désormais les moyens, doit être partagé. Elle accueillera dans son nouvel éden quelques unes de ces femmes que personne ne songe à secourir - des dames de qualité tombées dans le besoin, ses futures grandes amies, ses futures soeurs avec qui tout partager.
Tout ceci est évidemment sans compter la naïveté du projet, le manque d'expérience pratique de la jeune femme, la barrière de la langue, le foudroyant décalage culturel qui l'attend, le machisme consternant des Allemands, la mauvaise volonté de son régisseur, l'inébranlable certitude de tout son entourage que le bonheur d'une femme ne peut se trouver que dans le mariage et l'entrée en scène de trois nouveaux prétendants dont elle se serait fort bien passée.

Si la première partie du roman est un peu longue à démarrer, l'arrivée en Allemagne bouscule agréablement les choses et les multiples mésaventures d'Anna ne tardent pas à devenir franchement palpitantes, voire assez difficiles à lâcher.
Mais... attendez un instant. Une jolie jeune femme indépendante et volontaire qu'un héritage met à la tête d'un domaine agricole, résolue à ne pas se marier malgré le poids des conventions, confrontée à trois amoureux diversement assidus et bien intentionnés : cela ne vous rappelle pas quelque chose ? Les amoureux, d'ailleurs, un travailleur solitaire et dévoué, une tête faible que l'amour exalte un peu trop et un militaire aussi fat qu'intéressé, ressemblent beaucoup à une réinterprétation des trois prétendants de Bathseba Everdene. Et ce quiproquo malheureux autour d'une lettre d'amour, cette grange incendiée, cette histoire de bottes de foin... Pas de doutes : c'est un détournement de Loin de la foule déchaînée qu'on lit là ! Et c'est comme si l'auteur, agacée par les mêmes choses que moi dans le roman de Thomas Hardy avait entrepris de reprendre l'histoire en main pour en exploiter les potentiels, d'un point de vue moins puritain, plus féministe et plus subtil.
L'héroïne indépendante et volontaire n'est plus une pimbêche vaniteuse, mais une idéaliste un peu naïve, aussi attachante que Bathseba m'agaçait, et clairement pas du genre à tomber dans les bras du premier bellâtre venu. L'orgueil qui empêche une femme de céder à l'affection d'un homme pourtant désirable n'est plus un sentiment condamnable à dompter, mais une réaction logique à un ordre social qui abaisse. La relation entre hommes et femmes, la manière dont l'attitude instinctivement dominatrice ou protectrice des uns, la dépendance socialement organisée des autres, empoisonne les rapports les plus simples et peut aller jusqu'à geler les sentiments, est mise en scène de manière assez fine, avec toutes les ambiguités qu'elle entraîne.
Autant dire que sous la plume d'Elizabeth von Arnim, cette histoire devient considérablement moins réductrice et plus intéressante ! Avec en prime pas mal d'éléments autobiographiques qui donnent de la profondeur aux personnages et aux situations, avec aussi l'esprit de satire délicieusement mordant et l'amour poétique de la nature qui font le sel et le charme de l'auteur. Un régal !
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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Moins célèbre que Jane Austen ou G. Eliot, Elizabeth von Arnim en est cependant une digne héritière. Comme ses consoeurs et issue du même monde, elle a repris en les personnalisant les thèmes qui font le charme des auteures d'Outre-Manche : un regard lucide sur les travers humains, un humour tempéré, l'amour de la nature.
La bienfaitrice c'est Anna, jeune orpheline prise en charge par une insupportable belle-soeur. Grâce à un héritage inattendu, elle va devenir propriétaire terrienne en Poméranie... presque le bout du monde pour sa famille anglaise.
D'une nature généreuse, Anna enivrée par sa soudaine aisance matérielle se met en tête d'aider son prochain. Et les ennuis commencent et le roman décolle en racontant avec drôlerie les déboires d'Anna.
Son histoire me rappelle "la bonté, mode d'emploi" de Nick Hornby qui , sur le même thème arrivait aux mêmes conclusions. L'époque est différente mais de tout temps vouloir le bien d'autrui peut devenir une entreprise à haut risque.
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Il est des écrivains qui restent injustement dans l'ombre de certaines grandes plumes , en particulier féminines, de la littérature britannique du début du vingtième siècle  ainsi en est-il d'Elisabeth von Arnim .

Oubli réparé grace à ce  roman avec un joli portrait d'une jeune femme , Anna Escourt qui, pour cause de célibat volontairement prolongé vit toujours à Londres, sous le toit de son frère et surtout de sa belle-soeur, la détestable Susie .

Un oncle, séduit par les qualités  d'Anna lui lègue une propriété perdue dans la campagne allemande et une rente qui lui permet d'acquérir une certaine indépendance .

Anna a un grand coeur et des idées charitables bien utopistes lorsqu'elle décide d'accueillir dans sa nouvelle demeure douze femmes d'un milieu honorable  qui n'ont pas eu sa chance pour leur faire connaitre le bonheur et en faire des amies, voire des soeurs.

Choix délicats et la première arrivée de quatre femmes va s'avérer bien différente de ce qu'avait rêver Anna.

L'émancipation de la jeune femme est fort éloignée des moeurs en cours à cette époque et la pauvre Anna va vite déchanter , heureusement son voisin veille sur elle ( c'est pas un peu macho quand-même ? )

Jolie découverte de cette femme , Elisabeth von Arnim, à la plume élégante qui peut se comparer sans rougir à Jane Austen ou aux soeurs Bronté !
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À dix-huit ans, Anna Estcourt semblait promise au plus bel avenir. Élevée par un frère qu'elle adore depuis la mort de leurs parents, sir Peter, elle est introduite en société par sa belle-soeur Susie, qui ne ménage pas ses efforts pour en faire une femme accomplie et susciter les propositions de beaux partis londoniens. Mais Anna, pourtant charmante de visage et de manières, repousse toutes les offres qui lui sont faites. Et là voilà désormais âgée de vingt-cinq ans, déjà lasse des bals et des réceptions et du caractère vain d'une vie qui lui semble inutile. Mais une chose imprévue se produit : son oncle lui lègue à sa mort (et malgré ses trois fils) un domaine, des terres, un revenu, dans une région reculée d'Allemagne : Anna, folle de joie, décide d'y aller, puis une fois sur place, décide de s'y installer. Renonçant définitivement à se marier, elle imagine faire de sa maison un refuge pour des femmes de condition que la pauvreté aurait réduite à un sort misérable. Elle n'a qu'une idée en tête : rendre ces femmes heureuses autant qu'elle-même est heureuse, établir une communauté de soeurs qui s'aiment et se soutiennent. Mais rien ne va se passer comme Anna le souhaiterait… La difficulté de trouver ces femmes, puis de vivre avec elles, l'inexpérience d'Anna dans la gestion de son domaine qui lui met à dos ses gens, sa difficulté à communiquer en allemand, et surtout le voisinage du bel Axel von Lohm qui remet sans cesse en question ses projets font de ce chemin de roses un sentier sinueux et bordé d'épines. Anna n'a pour aller de l'avant que sa volonté farouche de rendre les autres heureux. Illusoire projet ?

La galerie de personnages que nous offre l'auteur autour de son héroïne est un pur délice : sir Peter, gentleman"philosophe" – entendez par là : qui ne s'intéresse à rien –, sa femme Susie, dévorée par l'envie de réussir en société en dépit de ses modestes origines, Letty, leur fille, adolescente un peu boulotte dont la tête est remplie de bêtises romantiques que lui raconte sa gouvernante, Miss Leech, le pasteur, trop heureux de pouvoir conseiller Anna dans ses desseins, mais aussi et surtout les trois dames invitées par Anna, deux vieilles pies et une jeune fainéante, ainsi qu'Axel von Lohm, dont les discussions avec Anna finissent en bouderies et incompréhensions. On a pendant toute la lecture le sourire aux lèvres.

Avec ce roman, j'ai eu l'impression de trouver un chaînon manquant : celui qui relie Jane Austen à Vita Sackville-West dans l'histoire littéraire anglaise. En plein règne victorien, Elizabeth von Arnim se sert de l'ironie pour éclairer la condition féminine, en profond questionnement. Il n'existe alors que deux voies pour une femme : le mariage (sécurité, moyens, famille, etc.) ou le célibat (solitude, difficultés financières, mise à l'écart de la société, etc.). L'héroïne prend dès le départ le parti de ne pas se marier, s'opposant ainsi aux conseils de son oncle. C'est pourtant grâce à lui qu'elle reçoit de quoi vivre autrement, seule et sans mari. Mais c'est aussi la réalisation de ce projet un peu fou de "demeure pour les âmes blessées" qui la met face à d'autres caractères de femmes qu'elle découvre bien plus mesquins qu'elle ne l'avait imaginé. On est donc là dans un réel roman d'apprentissage, avec une héroïne dont la naïveté peut paraître simpliste, mais qui donne de multiples occasions à l'auteur de dessiller les yeux d'Anna sur les vices et les vertus des femmes. L'auteur nous invite à considérer Anna avec sympathie, car ses buts sont nobles et son âme est belle. Mais cela ne l'empêche pas de taquiner son héroïne autant que les autres personnages, car rien ne lui sera épargnée avant de connaître, enfin, son destin.
Pour une première découverte de l'oeuvre d'Elizabeth von Arnim, ce roman fut un régal ! Une héroïne attachante, à la fois d'une grande naïveté due à sa jeunesse et son inexpérience, et néanmoins d'un tempérament très volontaire, une histoire originale et surtout, une langue parfaite servie par un humour ravageur, qui, j'ose le dire, n'a pas manqué de me rappeler Jane Austen, notamment lorsqu'il s'agit des manigances des dames hébergées par Anna.
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