(Masse critique)
Numa, conscient d'être un écrivain raté, décide de changer de vie et par dépit de s'engager dans une carrière militaire afin de « tuer des gens » pour se passer le temps.
Présentés au lecteur par la quatrième de couverture comme une fable ironique et cruelle, dont les thèmes sont la vacuité du monde et la faiblesse humaine, ce très court récit de 102 pages intitulé «
La moisson des oriflammes » quatrième roman de
François Arnould, est édité dans un format attractif qu'une scène de moissons, oeuvre de Brueghel l'Ancien, met bien en valeur.
A Noirson, une ville sans couleur et sans intérêt, le protagoniste, un alcoolique impénitent, se retrouve obligé après une mésaventure alcoolisée de s'engager dans le Coup-Gorg, une école d'égorgeurs marins, un commando de choc… Après des classes éprouvantes, victime d'une énième cuite à l'insu de son plein gré, Numa n'est pas admis à l'examen final et se retrouve réduit à la fonction de barman au mess des officiers du bataillon d'élite. S'ensuivent en vrac, une rencontre avec une femme de mauvaise vie, Cindy, des parties à trois avec descriptions d'ébats, le retour de Lulu, un bras cassé connu au Coup-Gorg parti en missions secrètes exotiques à la solde d'obscures commanditaires...
Après le meurtre de Cindy, Numa devient tour à tour héro, puis gigolo, puis repenti assagi, puis de nouveau baroudeur des mers dans le sillage de Lulu, accostant dans un archipel paradisiaque qu'ils vont transformer en démocratie, mais que l'apprenti dictateur aux intentions douteuses que Numa suit aveuglément, va bientôt transformer en dictature.
Que ce récit soit une fable, certes, c'est le cas, il en a le format et sans doute les intentions, mais que le paratexte le qualifie de conte philosophique fin, ironique et cruel, c'est à mon humble avis, faire quelque peu injure à
Voltaire dont manifestement l'auteur s'inspire ! Difficile d'éviter de faire le lien! Mais pour moi la comparaison s'arrête là.
Numa n'a pas grand-chose de Candide ou de Zadig. Ce personnage sulfureux, alcoolique, creux, grossier, sans scrupules ni conscience, lâche et obscène, sans volonté, manipulable et influençable, traverse le récit sans ligne directrice perceptible et ne touche jamais vraiment le lecteur, ni ne sert l'objectif de son auteur car enfin, qui peut réellement s'identifier à ce genre de personnage dépravé et sans structure mentale?
Si le conte philosophique est sensé dénoncer les dérives et les maux d'une société, celui-ci est écrit sans réelle finesse, dans un style qui frise souvent l'insuffisance, flirtant avec la vulgarité sans qu'on comprenne quelle est l'intention de l'auteur et ce qu'il veut dénoncer, ni d'ailleurs ou se situe la philosophie. J'ai espéré que le miracle se produise sur l'Archipel des Mormores, lieu dédié à la création d'une démocratie, car cela semblait enfin prendre une tournure métaphorique... Mais l'exercice de dénonciation "philosophique" s'essouffle, s'enferme dans la caricature et le sordide. Là encore on reste sur sa faim.
Les personnages secondaires n'ont pas plus d'épaisseur que l'anti-héros Numa. Ils sont tous dépravés, alcooliques, grossiers, obsédés par le sexe, violents…
Extraits:
« Cindy et Saïd habitaient un petit logement insalubre, au troisième étage d'un immeuble délabré.
-y a tout à refaire là-dedans ! constata Numa, dépité de devoir s'activer dans un lit crasseux au milieu de cadavres de bouteilles et d'un fouillis sans nom.
- T'inquiète ! y a pas de cafards, juste peut-être des morpions… répondit Cindy en se grattant la chatte. »
Puis plus loin :
« Puis il se servit une grande rasade de rhum avant d'arracher sauvagement les vêtements de Cindy. Il bandait comme un âne et la pénétra sans préliminaires, sauvagement.
-Oui, Oui ! Encore, mon cochon ! Fais grincer le lit ! »
L'essentiel du récit consiste en une description de la vie de « patachon » des protagonistes, de dialogues souvent indigents, et de scènes comme celle de Numa aux prises avec un philosophe à la chemise immaculée, surnommé le « décolleté » (Eh oui, c'est cela sans doute l'ironie cruelle !) qui laissent perplexe par le sentiment de vide ou de grossièreté qu'elles dégagent, comme si l'auteur cherchait à provoquer, choquer son lecteur. Mais dans quel but? Je cherche encore ce que cette fable/scène veut dénoncer…
Pour le coup, la vacuité du monde dont il est question dans le paratexte, se résume principalement pour moi à la vacuité du texte. Fable qui renvoie immanquablement à celle, si subtilement écrite, de "La grenouille qui veut se faire plus grosse que le boeuf" de J. de la Fontaine.
Le livre commence par ces mots :
« Numa est un jeune scribouillard ; bouffeur à outrance de papier d'imprimante, entraînant une soif de notoriété inassouvie. Bref, un écrivaillon. Il le savait. A l'aube de son quatrième manuscrit, il jeta son stylo fétiche et décida de changer de vie. », une introduction qui résonne comme une mise en abîme...
Ce roman, tout comme le choix de son titre, m'ont laissée perplexe et déçue de cette première participation à une masse critique proposée par Babelio et les Editions Jets d'Encre, que j'aurais voulue plus enthousiasmante.
Cet envoi m'aura confirmé, s'il en était besoin, que n'est pas
Voltaire ni Bukovsky qui veut !
Mais peut-être ne suis-je pas la bonne cible...