Ernest Hemingway a écrit son Vieil Homme Et La Mer ;
Victor Astafiev, quant à lui, a écrit en 1976
le Roi Poisson (parfois traduit aussi sous le nom de Tsar Poisson). Origine oblige, le poisson d'Astafiev n'est pas un espadon mais un esturgeon et la Mer des Sargasse s'est transmuée en fleuve Ienisseï en plein coeur de la Sibérie, entre Océan Glacial Arctique et Lac Baïkal.
Mais pour le reste, l'esprit est un peu le même. L'auteur écrit une sorte de conte philosophique, pas très éloigné d'une nouvelle, pas très éloigné non plus d'une allégorie ou d'un écrit expressionniste.
Ignatitch est un vrai brave type, droit et courageux. Il n'habite pas Cuba mais l'U.R.S.S. de la grande époque. Sur les bords du fleuve, sa région natale, tout le monde le connaît comme quelqu'un d'assez doué dans tout ce qu'il fait, méthodique, ne cherchant jamais à se faire mousser bien que rendant des services à tout le monde à droite à gauche.
Son hygiène de vie irréprochable et son talent naturel au travail laissent supposer que depuis toutes ces années, il a réussi à mettre de côté un joli petit magot mais Ignatitch demeure excessivement discret sur la question. Ceci n'est pas sans soulever quelques convoitises, notamment de la part de son jeune frère qui brûle de jalousie à l'endroit de son aîné.
Ce dernier ne cesse de provoquer Ignatitch, s'arrange pour le faire changer de place ses lignes, l'envoyer au diable vauvert, là où l'on sait que le coin ne vaut rien pour la pêche. Et pourtant, Ignatitch, sans rien dire, pour ne pas créer de remous avec son exécrable frangin, déplace ses lignes et il lui faut compenser ce bannissement des meilleurs endroits de frai par un extraordinaire talent de pêcheur.
Et c'est ce qu'il fait, déclenchant la rage de son envieux parent. Il ramène chaque jour des prises colossales, témoins d'un savoir-faire inégalé. Un jour cependant, il se retrouve tellement excentré sur le fleuve, à l'endroit le plus inapproprié pour la pêche, que les hameçons semblent caresser les flots sans avoir suscité beaucoup d'envie chez le poisson. À l'exception peut-être d'une prise qui paraît de belle taille.
Lorsqu'Ignatitch essaie de remonter cette prise, le poisson s'avère être bien plus gros que tout ce qu'il a jamais vu ou même espéré. Un esturgeon gros comme un léviathan, gros comme l'espoir et la vanité humains, un roi poisson. Une lutte formidable s'engage entre l'homme et l'animal dont je vous laisse découvrir les revirements…
Gare au gourdin et aux coups de queue pour cette belle allégorie dont la signification me semble malgré tout assez différente de celle d'
Hemingway. Ici on s'efforce de remettre l'homme à sa place face à la nature, ici, on assoit l'homme comme devant le tribunal
De Saint-Pierre (à ne pas confondre avec le poisson du même nom).
Intéressant, très intéressant selon moi et encore un auteur sibérien datant du communisme à découvrir. Mais ce n'est bien sûr qu'un avis, un tout petit avis qui se débat au bout d'un ligne dérivante, c'est-à-dire rien que du menu-fretin…