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EAN : 9782906266650
41 pages
Alidades (01/11/2007)
3.75/5   4 notes
Résumé :
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ernest Hemingway a écrit son Vieil Homme Et La Mer ; Victor Astafiev, quant à lui, a écrit en 1976 le Roi Poisson (parfois traduit aussi sous le nom de Tsar Poisson). Origine oblige, le poisson d'Astafiev n'est pas un espadon mais un esturgeon et la Mer des Sargasse s'est transmuée en fleuve Ienisseï en plein coeur de la Sibérie, entre Océan Glacial Arctique et Lac Baïkal.

Mais pour le reste, l'esprit est un peu le même. L'auteur écrit une sorte de conte philosophique, pas très éloigné d'une nouvelle, pas très éloigné non plus d'une allégorie ou d'un écrit expressionniste.

Ignatitch est un vrai brave type, droit et courageux. Il n'habite pas Cuba mais l'U.R.S.S. de la grande époque. Sur les bords du fleuve, sa région natale, tout le monde le connaît comme quelqu'un d'assez doué dans tout ce qu'il fait, méthodique, ne cherchant jamais à se faire mousser bien que rendant des services à tout le monde à droite à gauche.

Son hygiène de vie irréprochable et son talent naturel au travail laissent supposer que depuis toutes ces années, il a réussi à mettre de côté un joli petit magot mais Ignatitch demeure excessivement discret sur la question. Ceci n'est pas sans soulever quelques convoitises, notamment de la part de son jeune frère qui brûle de jalousie à l'endroit de son aîné.

Ce dernier ne cesse de provoquer Ignatitch, s'arrange pour le faire changer de place ses lignes, l'envoyer au diable vauvert, là où l'on sait que le coin ne vaut rien pour la pêche. Et pourtant, Ignatitch, sans rien dire, pour ne pas créer de remous avec son exécrable frangin, déplace ses lignes et il lui faut compenser ce bannissement des meilleurs endroits de frai par un extraordinaire talent de pêcheur.

Et c'est ce qu'il fait, déclenchant la rage de son envieux parent. Il ramène chaque jour des prises colossales, témoins d'un savoir-faire inégalé. Un jour cependant, il se retrouve tellement excentré sur le fleuve, à l'endroit le plus inapproprié pour la pêche, que les hameçons semblent caresser les flots sans avoir suscité beaucoup d'envie chez le poisson. À l'exception peut-être d'une prise qui paraît de belle taille.

Lorsqu'Ignatitch essaie de remonter cette prise, le poisson s'avère être bien plus gros que tout ce qu'il a jamais vu ou même espéré. Un esturgeon gros comme un léviathan, gros comme l'espoir et la vanité humains, un roi poisson. Une lutte formidable s'engage entre l'homme et l'animal dont je vous laisse découvrir les revirements…

Gare au gourdin et aux coups de queue pour cette belle allégorie dont la signification me semble malgré tout assez différente de celle d'Hemingway. Ici on s'efforce de remettre l'homme à sa place face à la nature, ici, on assoit l'homme comme devant le tribunal De Saint-Pierre (à ne pas confondre avec le poisson du même nom).

Intéressant, très intéressant selon moi et encore un auteur sibérien datant du communisme à découvrir. Mais ce n'est bien sûr qu'un avis, un tout petit avis qui se débat au bout d'un ligne dérivante, c'est-à-dire rien que du menu-fretin…
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Il agrippa le poisson à son croc et le renversa presque dans la barque. Il était prêt à pousser un hurlement de victoire — non, pas de cri, il n'était pas un de ces ballots de la ville, il était un pêcheur, un vrai, et ce qu'il allait faire, c'était mettre encore un coup de sa cognée sur le crâne de l'esturgeon une fois qu'il serait dans la barque, et lâcher un rire discret, triomphant, un rire de vainqueur.
Un dernier effort, à peine un souffle — mieux calé que ça, le pied, plus ferme, l'appui contre le bord ! Mais le poisson jusqu'alors paralysé se dégagea brusquement, vont cogner contre la barque, et dans un grondement fracassant la rivière éructa un amas noir, pas de l'eau, non, mais des mottes de terre qui vinrent lourdement frapper le pêcheur à la tête ; un poids énorme pressura ses oreilles, son cœur se contracta comme sous l'effet d'une décharge électrique. Un gémissement s'échappa de sa poitrine lorsqu'il fut projeté dans les airs comme par une véritable explosion qui le laissa ensuite choir dans un néant muet. " Aah… Alors c'est à ça qu'ça ressemble, quand on est à la guerre ? " eut-il le temps de penser. Tout enfiévré encore par le combat, il atterrit entre les serres glaciales d'un froid cuisant qui l'assomma.
De l'eau ! Il buvait la tasse ! Il se noyait !
Quelqu'un le tirait par la jambe, l'entraînait vers les profondeurs. " Un hameçon ! Y m'a crocheté ! J' suis fichu ! " Il sentit une légère piqûre au mollet : le poisson continuait à se débattre, criblant d'hameçons son corps et celui du pêcheur. Un voix docile, indolente, tout à fait résignée, résonna laconique dans la tête d'Ignatitch : " Alors voilà … C'est la fin… " Mais le pêcheur était un moujik solide, et le poisson était affaibli, harassé : l'homme sut vaincre en premier non pas celui-ci mais bien celle-là, cette docilité qui accaparait son âme, cette acceptation de la mort qui, en soi, est déjà la mort, une sorte de tour de clé dans les portes de l'Autre Monde, où, comme chacun sait, les serrures fonctionnent à sens unique : " Aux portes du Paradis, pas la peine de frapper… "
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De ses pattes brunes, le commandant pétrissait les lattes de la palissade comme s'il allait en extirper la résine.
— J'étais soûl, tu sais…
Ignatitch ficha sa hache dans le billot, se retourna, rajusta sa casquette :
— Et alors, y a plus de loi qui tienne quand on est soûl ? — Il se tut un instant, puis se lança dans une leçon de morale, comme on fait à l'école : — Tu t' conduis pas bien, frangin, non, pas bien. On est parents, c'est comme ça. Et pis faut pas s' donner en spectacle quand on a ta situation, tes obligations…
Déjà tout gosse, le Commandant ne supportait pas les donneurs de leçons ; c'était bien simple, lorsque quelqu'un s'avisait de lui dicter sa conduite, de le sermonner, cela lui donnait des aigreurs d'estomac. Qu'on le passe à tabac, qu'on le bâtonne, qu'on l'écharpe, mais pas cette torture des mots ! Et Ignatitch, bien qu'il connût parfaitement ce trait de caractère, prenait un plaisir bravache à chapitrer son bourricot de frère cadet dont les intestins se contorsionnaient affreusement : " Allez vas-y, mets-en ! Tu sais faire, ça, baratiner, dire des belles phrases ! Montre un peu comme toi t'es un type bien, et moi un imbécile ! Ta bonne femme en perd pas une miette. Demain, au bureau, elle va avoir du pain sur la planche ! des potins à raconter ! Toutes ces dames de la comptabilité vont pouvoir sortir des vacheries sur mon compte ! "
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Il avait vu un noyé, une fois. Il gisait au fond de la rivière, juste à côté de la berge. Il avait probablement dû tomber de son bateau, s'était traîné presque jusqu'à la terre ferme, mais comme il ne le savait pas, il avait renoncé. Ou bien peut-être que son cœur avait lâché, peut-être qu'il était soûl, peut-être encore autre chose — on n'irait plus lui demander. Recouverts par une pellicule de plomb, le voile de la mort, les yeux du noyé étaient tellement énormes et dilatés que dans un premier temps on n'arrivait pas à croire que ces yeux-là fussent humains. Lorsqu'Ignatitch les avait observés de plus près et avait compris pourquoi ils étaient si monstrueusement révulsés, il s'était recroquevillé sur lui-même, comme un hérisson effarouché : des alevins avaient dépiauté les cils, sucé les paupières, et toute cette poissonnaille s'était introduite dans les orbites. Des oreilles et des narines de l'homme dépassaient en pagaille les queues des petites barbottes et des loches qui vampirisaient la chair avec délice, dans sa bouche ouverte de minuscules tanches dansaient la sarabande.
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Tous les rapiats ont la même âme et la même trogne ! Certains arrivent à se dissimuler, à cacher leur jeu un certain temps, mais tout le monde est attrapé par le destin, et, comme disait feu Koukline, quand vient l'heure de la fin on se retrouve tous dans le même sac, et ensuite, un par un, chacun est expédié à sa place. Celui qui se tient bien droit sur ses deux jambes, qui vit en écoutant sa raison, qui face à la tentation mange à sa faim sans se gaver comme un cochon et sans piquer les beaux morceaux dans la marmite commune, qui ne brade pas son âme pour quelques piécettes, ne se noie pas dans l'alcool, ne mène pas une vie de tordu — cet homme-là a sa place à lui dans la vie et sur terre, il l'a gagnée, conquise. Le reste n'est rien que de la petite broussaille, de la saleté à remiser, bonne pour la fosse à purin !
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Ignatitch poussait alors un profond soupir, farfouillait dans le moteur, en retirait une pièce qu'il reniflait et disait : " L'est fichu, l' moteur ! Faut le mettre à la casse ! " Ou bien il frottait, récurait une bricole, la vissait ici ou là et lâchait brusquement : " Démarre ! " D'un bond il retournait sur sa barque, récupérait un savon et une brosse en plastique dans les flancs de son bateau, se lavait les mains et les essuyait dans son chiffon. Et pas besoin de lui payer une tournée. Lorsque Ignatitch buvait, c'était seulement avec son argent, et sa boisson à lui ; pour ce qui était du tabac, le problème ne se posait pas. " C'était une bêtise de gamin, disait-il, mais baste ! C'est mauvais pour la santé. "
— Comment que j' peux te r'mercier, Ignatitch ?
— Me remercier ? — Ignatitch souriait malicieusement. — Tu f'rais mieux de mett'e de l'ordre dans ta barque, et d' frotter un peu tes mains avec du sable et du savon. Que Dieu m' pardonne, t'es sacrément cradingue !
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