Je ne sais plus où j'ai entendu parler de ce livre, mais c'était il y a longtemps, et j'ai été agréablement surprise de le trouver à la bibliothèque de mon quartier, alors qu'il me semble qu'il est épuisé et que mes chances de pouvoir le lire étaient minces. Il m'a fallu de la persévérance pour pouvoir l'emprunter, non qu'il y ait une liste d'attente pour ce livre mais, allez savoir pourquoi, les livres québécois sont sous clef, et il a fallu des semaines avant que la bibliothécaire ne puisse enfin ouvrir la caverne d'Ali Baba. Peut-être espérais-je trop de ce livre, que je voulais à la hauteur de l'attente pour le lire ? Toujours est-il que j'ai été déçue de cette lecture et que j'ai bien failli l'abandonner en cours de route.
Le sujet avait tout pour me plaire : un peuple sur les terres que les cartes désignent aujourd'hui du nom de Terre-Neuve, qui se développe, qui vit, puis qui meure à petit feu avec l'implantation toujours plus conquérante des Européens. Une histoire triste, comme il y en a eu aux beaux jours de la soi-disant découverte des nouveaux continents, une histoire triste comme il s'en déroule aujourd'hui encore des dizaines, sous nos yeux presque, mais pour lesquelles nous ne faisons rien.
Mais la façon dont l'auteur traite ce sujet m'a dérangée. D'abord, on ne sait pas ce qui est vrai et ce qui est inventé, tant dans la chronologie (d'après celle présentée à la fin, l'auteur a pris quelques libertés avec les évènements, ce qui n'est pas un problème en soi mais aurait mérité d'être expliqué) que dans la relation des légendes et des traditions du peuple Béothuk qui est au coeur de cet ouvrage. Ensuite, les nombreuses scènes de sexe étaient-elles nécessaires ? J'en doute, car elles ne semblent rien apporter au récit et semble plutôt l'exutoire d'une obsession de l'auteur pour le sujet, en particulier une fascination assez malsaine pour la polygamie et l'homosexualité féminine. S'il y avait peut-être des choses intéressantes à dire sur ce sujet, l'auteur noie cela dans des descriptions longues et complaisantes qui m'ont lassées et ont failli me faire lâcher le livre.
J'ai persévéré car la seconde partie est un peu moins portée sur la chose, et j'ai voulu donner une seconde chance à ce livre. Mais j'ai été une nouvelle fois déçue. Si la fondation du groupe est bien décrite, en particulier la fondation des mythes qui sous-tendent l'organisation de la communauté, la mort de ce groupe ethnique est décrite d'une façon trop factuelle, sans véritable émotion et sans que l'on puisse véritablement s'indigner ou même s'émouvoir. Il y aurait eu beaucoup à dire sur cette incroyable incompréhension de part et d'autre, sur tous ces actes manqués qui jalonnent l'histoire des contacts entre civilisations. Il y aurait eu beaucoup à dire sur ce que ressentait cette dernière gardienne de la mémoire, qui savait que son peuple disparaitrait avec elle. Ces sujets sont abordés, mais, me semble-t-il, sont à peine effleurés, bien que le livre soit d'un volume respectable. Comment cela est possible ? Je ne saurais l'expliquer, mais ce livre, bien que traitant d'un sujet grave, complexe, passionnant, semble au final ne brasser que du vent, saupoudré d'une bonne dose de sexe, mais surtout du vent. J'espérais un tombeau à un peuple disparu, je n'ai trouvé que le vent glacé sur les baies où les chasseurs viennent s'abriter à la nuit tombée. Un rendez-vous littéraire manqué, et c'est bien dommage car j'aurais aimé aimer ce livre.
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Le sentiment d'un énorme gâchis en refermant ce livre. Comment une population entière peut-elle disparaître par le sentiment de supériorité d'une autre ? Cette autre qui se révèle en fait bien inférieure à celle qu'elle méprise.
La colonisation dans toute son horreur : mépris de l'autre, atrocités, tortures, saccages, déni d'existence…jusqu'à l'extermination totale.
En l'an mil, Anin, le Béothuk fonde un nouveau clan et organise la vie sociale sur l'île de Terre-Neuve. Il devient une légende vivante et de générations en générations, les « raconteurs » vont transmettre l'histoire de leur peuple et les règles de vie.
Il faudra cinq cents cycles de saison (cinq siècles) pour bâtir cette société pacifique, respectueuse et sage, basée sur la transmission et la solidarité.
A partir des années 1500, des navires étrangers arrivent, venus de France d'abord, puis d'Angleterre. Les Béothuks doivent s'organiser contre ces étrangers peu respectueux de leurs vies. Vers 1600, les anglais réussissent à s'installer sur les côtes, repoussant les indiens qui doivent reculer dans les terres, les affamant, les tuant, les capturant vivants pour les exposer comme des bêtes de foire en Angleterre. En deux siècles, les Béothuks verront les leurs disparaître progressivement jusqu'à l'extinction totale de leur race.
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Magnifique épopée... Ou comment découvrir une ethnie à la disparition tragique... Tradition orale, valeurs animistes sont les piliers de cette civilisation. L'auteur réussit par écrit à la faire perdurer grâce à des personnages inoubliables, à des époques multiples et à partager avec nous des préceptes de vie que nous pouvons faire vivre encore aujourd'hui, notamment au sujet des effets néfastes de la peur, et du mensonge.
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Une très belle lecture mais qui n'est pas facile a critiqué. Au début je trouvais qu'il y avait beaucoup de passage sur leur ébat et je me demandais qu'est ce que j'étais en train de lire ! Mais ensuite quand l'histoire c'est mise en place je me suis immergée complètement dans cette communauté.
J'ai adoré la construction du livre, avec les 3 parties qui nous emmène dans des époques différentes. On s'attaque très vite aux personnages, en particulier à ceux de la dernière partie.
On se rend compte à quel point l'Homme était et est toujours intolérant avec les gens qui n'ont pas le même mode de vie, il faut absolument les formater à son image.
Un très beau livre sur une belle communauté.
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Anin lui avait expliqué que la peur était appelée Geswat et qu'elle venait de l'ignorance de ce qui va arriver. "Lorsqu'on ignore quel geste un animal peut poser dans une certaine circonstance, on a peur. Si cette peur devient importante et nous domine au-moment de poser les gestes quotidiens nécessaires pour survivre, elle mine peu à peu la raison. Et quand la raison n'occupe plus la tête, on risque sa vie à tout instant : on fait des choses insensées, on commet des bêtises, on cesse de contrôler son esprit et on met la vie des autres en danger.
C 'est pourquoi, dès l'enfance, il faut apprendre aux enfants mâles à ne jamais avoir peur. Il faut apprendre à connaître les êtres qui vivent près de nous : observer les habitudes des animaux et apprendre comment ils réagissent, afin de ne jamais avoir peur. Et si jamais ce sentiment s'empare de toi, Woasut, il faut le chasser immédiatement en te souvenant des connaissances acquises sur l'objet de cette peur. Ainsi, avoir peur de Kobshuneesamut, le créateur, le très grand, n'est pas bien : cela dénote un manque de confiance en lui. Si l'on en a peur, c'est qu'on a commis quelque acte répréhensible. On a mal agi. On doit donc redresser ses torts. Le très haut ne peut nous en vouloir de tenter de corriger le mal fait. Alors, la peur n'existe pas. La peur n'est pas. Si l'enfant que tu portes est un mâle, il ne doit même pas pouvoir parler de ce sentiment. Il ne faut jamais qu'il en souffle un mot. La peur est exclusivement féminine et elle se transmet parce que la femelle de la race apprend à exprimer ce sentiment de faiblesse né de l'ignorance des choses qui l'entourent. Voila pourquoi Anin est de mauvaise humeur quand Woatsut dit qu'elle a peur. Anin est fort et invincible quand il affronte la vie. Il s'efforce toujours de faire le bon geste, par sa connaissance de ce qui l'entoure. Ainsi l'initiation qu'il vit actuellement consiste à apprendre de nouvelles choses pour ne pas en avoir peur. Amin peut les craindre, faire attention de ne pas commettre d'erreurs, mais il ne peut en avoir peur s'il s'instruit de ses expériences. "
Woasut était forte et résistante à l'effort. Elle avait chargé sur son dos les mamchets tués par Anin les jours précédents et transporté le tout vers le lieu indiqué par son homme sans s'arrêter ni se reposer. De plus, elle avait roulé les moweads confectionnés en vue de la saison de froid et deux paires d'obseedeeks pour garder les mains au chaud lorsque la neige tombe et que les vents soufflent. Anin avait pris des coquillages cueillis la veille par Woasut, les peaux de fourrures des bêtes tuées, ses outils de chasse, amina, aniyémen et ashwogins, son podebeek pour avironner et son tapatook sur la tête.
Et c’est ainsi que survit un peuple, une nation. Tout le savoir d’un homme ne sert à rien s’il n’est pas transmis. Toute transmission ne sert à rien si elle n’est pas comprise. Il faut donc toujours avoir les oreilles propres pour entendre et les yeux ouverts pour voir et comprendre. Voilà le secret de l’existence des Béothuks. C’est pourquoi, selon Camtac, les Béothuks vivraient toujours, même quand mourrait le dernier. Ils continueraient de vivre en d’autres. Dans d’autres mémoires. Dans d’autres apprentissages.
(p. 230, Chapitre 36, Partie 2, “Les envahisseurs”).
« Les Béothuks sont éternels, ils ne mourront jamais car ils ont encore trop de choses à apprendre, trop de beautés à contempler, trop d’amour à partager. Les anglais couchent sur papier les évènements. Ils devront utiliser encore longtemps ce papier pour écrire ce que les Béothuks n’ont pas encore réussi à leur faire comprendre »
"Comment pouvez-vous même oser dire que vous êtes Béothuks si vous affichez de telles mines de morts vivants ? Vous n'avez pas le droit de laisser tomber. Vous devez continuer à vous battre, ou alors ayez le courage de vous suicider tous, sans exception. Lorsqu'on n'a plus la force de vivre, il faut au moins avoir le courage de mourir. C'est la seule dignité qui vous reste. Ayez au moins la dignité, si vous n'avez pas de courage. Moi, j'ai décidé de vivre. Que ceux qui ne désirent plus voir le ciel, les rivières et les arbres se retirent de ma vie. Je ne veux voir près de moi que des gens qui veulent vivre. Les autres, allez tous vous jeter devant les fusils des Anglais. Vous ne méritez pas mieux".
p.271.