En commençant Dan et Celia, je m'attendais à tout. Un chef-d'oeuvre finalisé comme un torchon impinable, j'avais envisagé tous les scénarii. Je finis le roman avec des impressions très mitigées.
le pari de Sophie Audoin-Mamikonian (que j'appelle Dame Sam parce que c'est plus court) avec Dan et Celia, c'était de donner un coup de jeune à son univers et de l'introduire auprès de nouveaux lecteurs après l'épopée Tara Duncan de longue haleine. de séduire les nouveaux adolescents de douze-quatorze ans, comme elle a séduit ceux des années 2000 par le passé. Alors, a-t-elle réussi ?
Peut-être, mais pas aussi bien que par le passé.
Je m'explique. Il y a un petit mot de l'auteure avant même le début du roman, dans lequel elle annonce l'existence de Tara Duncan et énumère sur presque une page… les noms et races de ses protagonistes. Bien, mais un petit résumé concis de l'univers et des protagonistes aurait peut-être été plus efficace… Je dis ça mais j'ai fouillé le Net, et de ce que j'ai vu question chroniques chez des blogueurs qui n'avaient pas lu Tara Duncan, la pilule passe assez bien, ils ne se sont pas perdus dans les premiers chapitres sans savoir où ils mettaient les pieds. Ça m'étonne, personnellement je pense que j'aurais carrément ramé pour profiter de ma lecture sans comprendre la moitié de ce qu'il se passait, mais j'ai rarement les mêmes ressentis que la majorité, alors je ne m'en étonne pas outre mesure. J'attendrai d'avoir un avis de vive voix d'un nouveau lecteur de Dame Sam, amateur de fantasy avéré, pour savoir s'il s'est senti perdu.
Ensuite, Souffle. Il s'agit du nom d'un Elémentaire de l'air, présenté dans le premier chapitre : il nous parle à la première personne et nous informe que toutes les notes de bas de page du roman seront de sa plume. Les habitués de Dame Sam savent combien elle adore rajouter des notes en bas de page partout, pour faire rire, apporter une précision sur l'intrigue… Dans Dan et Celia, ces notes en bas de pages surviendront à chaque fois qu'un terme typique d'Autremonde apparaîtra ; des noms d'animaux, des expressions, j'en passe et des meilleures. Souffle se fait un plaisir de les expliquer aux lecteurs et, pour ça, je loue son entreprise : faire approcher un univers aussi complexe par de nouveaux lecteurs, ça s'annonçait ardu, et Souffle remplit parfaitement son rôle de guide. MAIS, il y a un mais, malheureusement.
Les notes en bas de page font partie intégrante de l'oeuvre, pour le meilleur et pour le pire. C'est-à-dire que quand Souffle développe sur un terme inconnu, c'est utile et divertissant Quand il développe sur tout et n'importe quoi avec des P.S., des P.P.S., et parfois même des P.P.P.S., ça va trente pages puis ça devient lourd.
A ce type de notes, je reproche deux choses : d'une, c'est inutile, ça surcharge la page, c'est trop répétitif. Des blagues sur « c'est dangereux Autremonde LOL » ça va cinq minutes, merci, on a compris. de deux, et de loin le plus important : Dame Sam se sert de ces notes pour communiquer un tas de petits détails qui passent sous silence dans la narration à proprement parler. Vous voulez savoir ce que j'en pense ? C'est de la flemme, rien de moins. Normalement, un bon écrivain doit se débrouiller pour écrire un texte riche, avec à la fois du concis et des petits débordements s'il le souhaite, mais bref, tout caser dans la narration. Ne pas avoir peur de retravailler une phrase pour y glisser une info rigolote qu'on veut faire connaître au lecteur. Cette manie de Dame Sam de mettre tout le superflu dans les notes en bas de page, pour moi, ça s'apparente à une facilité d'écriture qui dessert pas mal son image. Quatre ou cinq fois d'accord, c'est peut-être subjectif, mais là c'est quasiment systématique ! Des notes composées comme dans mon exemple, on en trouve une toutes les dix pages. Et une note en bas de page toutes les trois pages en moyenne, peut-être un peu plus. Vous trouvez le terme de flemme fort ? Attendez la suite, je ne me base pas que sur ça pour l'affirmer.
Tant que j'y suis, je vais continuer sur la forme avant de m'attaquer au fond. On enchaîne donc avec… les fautes de frappe, voire les fautes plus graves ! Au cours de ma lecture, j'ai remarqué trois fautes de frappe dans le roman. Trois fautes sur un roman de 370 pages, ça passe, me direz-vous. Mais là, on ne parle pas de Jean Dupont auto-édité chez Edilivre, on parle de l'une des auteures francophones les plus lues au monde, éditée chez l'un des mastodontes de l'édition française. Donc trois fautes de frappe, dont au moins un oubli de mot, désolée, mais c'est trop. Je note aussi des inversions de noms voire de périphrases désignant des personnages dans un dialogue, ce qui le rend incompréhensible à moins de tout reprendre depuis le début pour être sûr de saisir ce qu'a voulu dire l'auteure. Et la blague des taraddicts qui confondent tout le temps Selena et Selenba, vous vous souvenez ? Et bien Dame Sam a oublié une lettre à « Selenba », c'est devenu « Selena », et paf, phrase illogique. Et il s'agissait bien de Selenba, pas de Selena, puisque Selena n'apparaît pas du roman et que juste après le personnage était désigné comme étant « la mère de Luck ». Pour moi, ces bricoles montrent clairement un manque de relecture, tant de l'auteure que de ses correcteurs… Inverser des personnages, oublier des mots ? C'est tout de même facile à repérer, d'autant plus quand vous êtes correcteurs de métier ! Je ne blâme personne en particulier, mais comprenez que ce n'est pas agréable de lire un roman jugé professionnellement édité, et d'y trouver des fautes pareilles.
L'écriture de Dame Sam est assez hétéroclite : des mots compliqués mais des phrases assez simples, des constructions syntaxiques audacieuses. Un style oral qui prédomine, bien davantage que dans les premiers tomes de Tara Duncan, mais ça je ne vais pas m'attarder dessus plus que nécessaire. le souci ici, c'est que Dame Sam adopte un type d'écriture décomplexé, beaucoup plus accessible aux petits lecteurs, mais qui fait grincer les dents des intellectuels. Je ne doute pas qu'elle puisse se parer d'une plume littéraire, elle est Chevalière des Arts et des Lettres tout de même… Hum… ? Mais le défaut de cette écriture, c'est que souvent elle se laisse emporter par sa fougue et nous écrit des phrases incompréhensibles. Un style « fil de pensée », pourquoi pas, néanmoins les messages de ses phrases changent en cours de route, il y a une abondance de virgules…
Je trouve l'humour un peu simpliste, je ne dis pas que ça volait super haut par le passé, mais là il a régressé ; attention, je suis probablement mauvaise langue, car je rappelle que Dan et Celia s'adresse à des préados en priorité. Je dois avoir un peu trop grandi pour vraiment apprécier les blagues du roman.
Passons au fond, désormais. Au niveau de l'intrigue, je garde le même ressenti que pour les tomes de Tara Duncan précédemment : le fil rouge se perd facilement et, si l'histoire parvient à conserver une certaine clarté, la décomposition du scénario en une multitude de petites péripéties enchaînées n'aide pas le lecteur à garder le cap sur les enjeux principaux. La volonté de l'auteure de renouveler son univers si complexe pour ses nouveaux lecteurs se voit comme le nez au milieu de la figure, et elle est fondée. L'alchimie s'opère, Autremonde prend un coup de frais ; cela n'égale pas néanmoins le coup de frais de la saga Les autres mondes de Tara Duncan, publiée il y a des années en collaboration avec un fan (on attend toujours la suite, d'ailleurs), qui avait innové comme pas possible et avait charmé la quasi-totalité des fans d'un seul coup. En fait, Autremonde se renouvelle dans Dan et Celia, mais pas assez pour accrocher les ex-taraddicts comme moi, qui essaient de retrouver l'ambiance des débuts avec cette nouvelle série. Pour un novice, Autremonde aura l'air d'un univers merveilleusement complexe et déjanté à découvrir de toute urgence ; pour un ex-taraddict, c'est plutôt la décadence des derniers tomes de Tara Duncan, qui a un sursaut nerveux avant de poursuivre sa descente aux enfers.
Maintenant, les personnages. J'avais deux craintes majeures les concernant : le côté Mary-Sue de Tara Duncan, et les caractéristiques de Luck.
Tara Duncan est une Mary-Sue officielle (si tu dormais pendant l'initiation au lexique Internet, voici une définition du terme de Mary-Sue) depuis des années ; une version un peu fantasmée de l'auteure elle-même, désormais devenue mère… Malheureusement, malgré les multiples remarques qu'a dû recevoir Dame Sam dessus (ou pas, comme elle est du genre autruche dès qu'il s'agit de critiques de ses oeuvres), Tara Duncan est toujours aussi insupportablement Mary-Sue. Déjà se retrouvent des caractéristiques évoquées dans la série Tara Duncan : une grande beauté, une magie quasiment illimitée, du sang impérial dans ses veines parfaites, plus des capacités facultatives telles que la Changeline, qui lui permet de changer de vêtements en un claquement de doigts, et ce quelles que soient les circonstances tant qu'il y a de la magie dans l'air. A cela s'ajoute un vieillissement retardé, car plus un sortcelier est puissant, moins il vieillit vite. Pour citer le roman : « C'est pourquoi Tara paraissait avoir dix-huit, alors qu'elle en avait en réalité trente-cinq. » Non, je n'ai pas oublié un mot, il manque vraiment dans le roman…
Et malheureusement, sa perfection a tendance à déteindre sur sa progéniture. Déjà, la Changeline va changer de main au cours du roman ; je ne dis pas en faveur de qui, mais c'est assez évident. Ben oui, pourquoi se priver d'un atout scénaristique telle que cette Changeline ultra-cheatée juste parce qu'on change de génération de héros ? Et surtout, à la fin du roman, nous avons droit à un magnifique deus ex machina qui enfonce à la fois l'intrigue et la crédibilité de nos héros. Je ne vais pas vous en révéler les tenants et les aboutissants bien sûr, même si cela me démange. Pour faire court et mystérieux, le principal défaut de Danviou et Celia (celui qui les privait des statuts de Mary-Sue et de Gary-Stu) est anéanti par cet élément scénaristique, et du même coup la situation condamnée est miraculeusement sauvée. Frustrant pour moi qui avais gardé jusqu'ici l'espoir que les persos conserveraient cette miette de crédibilité.
Enfin (oui oui, c'est presque fini), quelques mots sur Luck, le fils de Selenba et Magister. Alors lui, j'attendais avec impatience et crainte de voir la façon dont il serait traité dans le roman ; il n'y a qu'à voir la répartition des personnages sur la couverture pour comprendre les raisons de mon angoisse. Encadré par deux Duncan Dal Salan qui font deux fois sa taille, avec sa tête de troll pas du tout en accord avec les deux autres et ses couleurs très ternes, correspondait-il déjà au personnage du roman ? Heureusement, fort heureusement, non. Luck dépasse allègrement les stéréotypes du personnage petit-gros-faible qui ne sert qu'à amener de l'humour dans le groupe de protagonistes. Certes, certains traits de sa personnalité font un peu cliché sur les bords – et je passerai sous silence la romance hideusement amenée sur laquelle je me suis bien arrachée les cheveux – mais il reste original et pour l'instant, c'est mon préféré. Par contre Selenba qui se comporte comme la plus aimante des mères, pas moyen, je ne m'y fais pas.
Dernierparagraphepromis, juste une remarque sur un grand oublié de ce come back autremondien : Robin M'angil. Mais si tu sais, le demi-elfe complexé qui perd tous ses neurones entre les tomes 5 et 6 de Tara Duncan, et qui lui sert de première expérience amoureuse avant de se faire complètement friendzoner dans le tome 9 ? Eh bien, pas une trace. Ou il s'est très bien caché, je ne sais pas ; pas une fois je n'ai vu son nom, alors que des nouvelles de tous les autres membres du Magigang sont données au compte-gouttes. Dame Sam a définitivement ragé et l'a supprimé de son background, je n'ai pas les yeux en face des trous et j'ai raté les rares allusions qui lui furent faites, o qué ? Si tu sais quelque chose sur cette affaire, dis-moi tout, je suis curieuse.
Lien :
https://lemondefantasyque.wo..