Je sais, je sais, les histoires qui racontent une rupture douloureuse sont parfois dures à lire, surtout quand on est passé soi-même par un tel moment déchirant, qui remet tout en cause. Mais je peux d'ores et déjà vous rassurer : oui, du déchirement, de la douleur, il y en a, dans ce livre. En revanche, il ne se résumé pas à ça, loin de là. Il montre aussi comment on peut survivre, changer, se reconstruire et construire quelque chose de nouveau, quelque chose de fort, quelque chose de beau, et (re)trouver une famille. Une crise comme l'est le départ abrupt d'un être aimé peut toujours être la chance d'un nouveau démarrage, si seulement on se donne les moyens de la saisir.
Mais rentrons dans le vif du sujet. Dans "
Comme il faut", on suit l'histoire de François et Ahmed. En couple depuis vingt ans, marié depuis peu, propriétaires de leur maison dans un village plutôt huppé près de Montpellier, ils coulent une existence à première vue heureuse, sans vagues, sans encombre, sans grandes difficultés. François dirige une école, Ahmed est cadre supérieur dans une boîte affiliée au monde du BTP. Cerise sur ce gâteau déjà fort appétissant, ils s'apprêtent à partir pour l'Oregon pour recueillir leur enfant issu d'une GPA, qui naîtra dans les jours à venir. Oui, tout semble rouler sur des rails ultra-lisses. Mais cette idylle se fracasse d'un seul coup quand, le jour de leur départ, Ahmed sort faire un dernier footing… pour ne plus jamais revenir.
Narré de la sorte, je crains que l'histoire ne donne toujours pas très envie. Mais patience – sans spoiler le reste du livre, je vais vous dire pourquoi ce serait un tort de ne pas se laisser séduire par ce récit. Alors, tout d'abord, il est très bien écrit, d'une plume solide, facile à lire, sans envolées lyriques, sans appuyer sur le noir et blanc, même sans victimiser l'un ou l'autre des protagonistes. Oui, le coup est dur, la découverte du partenaire parti à jamais, rude, et l'auteur ne passe pas à côté de l'opportunité de créer des scènes tendues ou d'amener les lecteurs vers les affres du désespoir que ressent Français, à juste titre. Car il ne peut pas tergiverser, il doit quand même aller chercher sa fille, il doit planifier leur avenir, compliqué par le fait que c'était Ahmed avec sa belle position qui remplissait les caisses communes. Avec son seul salaire, comment va-t-il faire pour rembourser les prêts et pour la maison et pour la GPA (ce n'est pas donné, bien sûr, surtout pas aux USA !).
C'est là qu'entrent en jeu les autres personnages qui, au début, semblaient juste orbiter autour du noyau central qu'était le couple François-Ahmed. Parmi eux, la soeur (Marianne) et le beau-frère de François, Jean. Avec la première, une sorte de relation toxique dont on apprend l'historique s'est installée depuis trop longtemps. le beauf, aux yeux de François, n'est que ça : un beauf. Puis apparaissent les parents d'Ahmed, un couple originaire du Maroc, très intégré, mais plutôt taciturne, qui découvre d'un coup de tonnerre toute la vie de leur fils unique : son homosexualité, sa paternité (c'est lui, le donneur de sperme), son départ avec pertes et fracas. Partant de ce tout petit cercle, une nouvelle dynamique se fait jour, poussant les uns et les autres à interroger leurs certitudes et entamer, chacun et chacune, une profonde transformation.
J'ai beaucoup aimé ce récit, d'une tenue apparemment simple et linéaire, mais que
Benjamin Audoye a su enrichir de tant de facettes que l'on se surprend à ressentir de l'empathie pour tout un chacun. Ce n'était pas donné au départ, je l'avoue ; François est tout sauf sympathique. Il est hautain, assez imbu de lui-même, sûr que ces convictions seules, ses dadas seuls, ses idées seules comptent. La façon de laquelle il traite sa soeur et son beau-frère, son dirigisme envers Ahmed m'ont hérissé pas mal de poils. Puis, ce fut au tour d'Ahmed, dont je ne comprenais pas les motivations de ce lâche lâchage en rase campagne, de s'attirer mes foudres. Comment peut-il, comment ose-t-il ? Et Marianne, qui s'efface tout le temps, qui devient inaudible quand elle se retrouve face à son frère, ne m'a-t-elle pas agacé aussi ?
Mais bizarrement, et là réside la force de ce roman, je n'ai pas réussi à détester un seul de ces personnages. L'auteur donne la parole à chacun d'eux, à tour de rôle, qui par des flashbacks, qui par une scène anodine, et petit à petit, j'ai compris toute la trame du drame. J'ai été séduit par ce savant traitement des uns et des autres car, c'est en tout cas une de mes convictions, personne n'est foncièrement noir ou blanc. La vérité se trouve souvent dans les 50 nuances de gris, si j'ose dire, et j'ajouterais qu'il y en a une infinité, de ces nuances, surtout quand il s'agit d'humains et de leurs interactions. J'ai été touché par l'amour sincère, aussi, qui lie Marianne et Jean d'un côté, les parents d'Ahmed de l'autre. Eux quatre étaient presque la plus belle découverte de ce livre, leur sollicitude, leur partage, leur promptitude à aider même quelqu'un d'aussi désagréable, au départ, que François.
Oui, un livre très chouette. Je n'ai rien à redire, ni pour l'histoire, ni pour le côté technique et la construction, ni pour la plume, ni pour les personnages, ni pour le sans-faute (en aurais-je loupé ?) au niveau orthographe et grammaire – et non, ce n'est pas parce que t'es prof, Benjamin (oui, on se tutoie, mes amis), mais parce que tu as mûrement réfléchi à ce projet et que tu l'as superbement relu (ou fait relire, peu importe). Donc, une lecture agréable malgré un sujet presque sombre, une lecture enrichissante, en bref un livre que je recommande vivement.
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