Roman d'une ambition folle,
4 3 2 1 est un peu la recherche du temps perdu selon
Paul Auster. En témoigne cet extrait: "Le temps se déplaçait dans deux directions parce que chaque pas dans l'avenir emportait avec lui un souvenir du passé, et même si Ferguson n'avait pas encore quinze ans, il avait déjà assez de souvenirs pour savoir que le monde qui l'entourait était façonné par celui qu'il portait en lui, tout comme l'expérience que chacun avait du monde était façonnée par des souvenirs personnels, et si tous les gens étaient liés par l'espace commun qu'ils partageaient, leurs voyages à travers le temps étaient tous différents, ce qui signifiait que chacun vivait dans un monde légèrement différent de celui des autres."
Le temps, c'est aussi celui de l'époque de l'enfance et de la jeunesse du grand Paul, dont il était impossible de rendre compte de la complexité avec un seul personnage.
Et donc 4 Archie Ferguson. Mêmes parents, mêmes conditions de naissance, mais quatre trajectoires qui divergent dès l'enfance. Selon les choix des parents et les circonstances, Archie va évoluer vers des destins différents. Il y a des constantes, bien sûr, notamment dans les personnages qui l'entourent: les parents, la tante Mildred, la cousine préférée, et surtout la flamboyante Amy, mais qui, selon les versions, jouent des partitions différentes.
Le temps de ces années-là, les décennies 50 et 60, aux Etats-Unis, c'est aussi une période de bouleversements politiques et sociaux, et le livre permet d'embras(s)er tout ça aussi. Il y a aussi une part autobiographique dans les histoires d'un petit gars du New Jersey passionné (généralement) de base-ball.
J'ai d'abord lu le livre en anglais, puis je l'ai relu en français (très intéressant en connaissant la fin). Malgré la longueur (et une certaine lenteur en lisant la version originale), je ne me suis jamais perdue et me suis passionnée pour toutes les versions de Ferguson, car ils sont tous attachants.
Et puis, il y a l'écriture. Ici aussi, la référence à
Proust n'est pas usurpée, les phrases sont longues et complexes, comme la réalité qu'elles décrivent, tout en restant d'une beauté et d'une pertinence remarquables. C'est également un ouvrage sur la création artistique, avec mise en pratique immédiate, bien loin des théories alambiquées.
Bref, un immense coup de coeur pour ce que je considère comme l'oeuvre maîtresse du beau Paul.