Exigeante, l'écriture de
Didier Ayres paraît bien loin des effets de manche ou des considérations esthétiques propres à tant d'auteurs. de prime abord, cela ressemble fort à un journal intime, ou plutôt à un journal poétique divisé en cinq « cahiers », composé dans un style efficace, délibérément dépouillé, tout en brèves notations. Avec un "langage pauvre" (p. 21), D. Ayres tente essentiellement de se comprendre, de saisir son être, à la manière de
Montaigne. Fidèle à son objet d'étude (qui n'est autre que lui-même), l'écrivain se regarde, se décrit, sans pour autant verser dans le narcissisme littéraire, le nombrilisme si commun à la production actuelle. Ici, le moi est traité en tant que pur objet d'observation, de dissection, avec pour seul scalpel la plume, et pour conclusions médicales, le texte. Ayant "[son] étude pour toute occupation",
Didier Ayres semble tout entier tourné vers l'intériorité, reconnaissant ainsi s'enclore en une sorte de citadelle. Si le monde "vibrionne comme une ruche" (p. 38), la vie monastique semble "tentante à cet homme dont l'âme est un poème double et vitreux". La tentation mystique n'est pas loin non plus, mais la voie semble bloquée, pour laisser place au pessimisme, au nihilisme annoncé par un titre programmatique. La mort étant "la seule vraie finalité" (p. 31), l'écriture constitue-t-elle un refuge ? Fidèle à une tâche doublement austère et irréalisable,
Didier Ayres n'a pas même le soutien d'une religion vers laquelle il voudrait tendre, en vain. En concevant des "sortes d'épîtres" (p. 95), l'homme, qui, de son propre aveu, voudrait prendre la robe de bure, ne peut dépasser l'angoisse existentielle, la certitude de marcher vers la disparition, qu'en grattant des pages, encore et encore, avec cette obstination de "griffonner puis de biffer" (p.31). Il ne s'agit pas de composer des poèmes, de faire du bel ouvrage, de se perdre dans le vers ou dans le morceau lyrique, mais bien de se saisir, de dessiner un modèle qui toujours échappe. Comme si cette quête insensée, en apparence vaine, remplaçait les habituels exercices littéraires. Parfois la beauté jaillit au détour d'une phrase, d'un paragraphe, mais il s'agit en quelque sorte d'une "beauté fortuite, de la richesse involontaire d'un poème"(p. 34). L'objectif n'est pas là. Nous ne jouons pas.
« Là où d'autres proposent des
oeuvres, je ne propose rien d'autre que de montrer mon esprit », déclare
Antonin Artaud dans "L'ombilic des limbes". Pareille considération s'applique parfaitement à ce nouveau recueil, publié par les soins de
Djamel Meskache et Tatiana Lévy, aux élégantes éditions Tarabuste. Animateur d'atelier d'écriture, docteur ès Lettres, directeur de la revue "L'hôte",
Didier Ayres propose ici une voie exigeante, loin des sentiers battus.
(Article d'
Etienne Ruhaud paru dans la revue "Diérèse".
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