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Traduit par Ph Jacottet et claire de Oliveira. C'est le 2 eme que je lis de Bachmann de Klagenfurt. Après Franza. Je n'ai pas vu le film. J'ai lu un livre de Jelinek. j'ai très moyennement aimé. O vieux parfum vaporisé. Sa chambre est la dernière. Il n'y a pas de cadeau. Je ne connais pas ce livre. J'ai fabriqué plus au restaurant Linde. L' omo la lessive qui lave plus blanc que blanc. Ce n'est pas forcément pour toute la vie. Les gyerekek puisque tels est leur nom. Celan ce poète roumain de langue allemande. Je suis à Venise. le ciel est d'un noir profond. Mettre du calme dans ton inquiétude. Il est vain de feindre l'indifférence. Note dame des remedes.
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Comment classer cet ouvrage ? Roman ? Long poème en prose ? Fiction autobiographique?.. Démarche inutile à mon sens : il serait préférable de ne pas faire rentrer cette gemme brute dans un écrin trop réducteur. Car MALINA est avant tout une ode à la liberté de création, l'un de ces objets littéraires se déployant selon leurs propres règles de construction, et qui ne peuvent laisser indifférent aucun lecteur…
Le roman s'ouvre sur une présentation pourtant assez classique de ses protagonistes, qu'on devinerait volontiers impliqués dans l'un de ces scénarii trop souvent rebattus du «triangle amoureux», chacun étant introduit par une brève notice (né à.., domicilié à…, travaille dans…), le tout faisant d'ailleurs drôlement penser aux didascalies initiales d'une pièce de théâtre. Deux personnages masculins sont ainsi présentés, Ivan et Malina (ce dernier bizarrement affublé d'un prénom féminin), Béla et András, les enfants du premier, âgés de 5 et 7 ans, la narratrice enfin, désignée non pas par son prénom, mais par un «Moi» anonyme que l'on suppose pouvoir aussi désigner l'auteure (d'autant que comme celle-ci, « Moi » serait née à Klagenfurt, a les yeux bruns, cheveux blond…). Ingeborg Bachmann insistera cependant, à maintes reprises, à exclure véhément toute dimension autobiographique à son roman…
Après les « Personnages », arrive logiquement le «Lieu» : Vienne. Puis le «Temps», naturellement. Inscrivant tout d'abord, «Aujourd'hui», la narratrice déclare qu'il lui sera toutefois «laborieux», voire par moment impossible, de respecter une telle unité de temps. «Aujourd'hui» étant en l'occurrence, pour celle qui le «traverse en toute hâte», «trop démesuré, trop bouleversant», si bien qu'elle se sent incapable de le circonscrire systématiquement ou de manière linéaire. Et, dit-elle, si elle arrivait malgré tout à écrire quoi que ce soit sur cet « aujourd'hui », encore faudrait-il l'effacer aussitôt, comme on devrait, rajoute-elle, «déchirer, froisser, laisser inachevées, inexpédiées, les lettres réelles, parce qu'étant d'aujourd'hui, il n'est pas d'aujourd'hui où elles puissent être reçues»*
*{ Normal, en 1970 l'on n'était pas encore à l'ère des «mails», pourraient à juste titre retorquer certains d'entre nous !! – Il ne faudrait pas pour autant, je trouve, s'empresser de discréditer cette proposition, sous prétexte d'un progrès technologique majeur intervenu entretemps, l'ayant rendue soi-disant caduque et signant, par la même occasion, l'arrêt de mort à presque toutes les formes postales classiques d'échanges épistolaires (qui écrit encore des lettres personnelles aujourd'hui ??). Dans tous les cas, l'image garde toute sa pertinence quant à la nature et à l'intensité du sentiment d'urgence interne éprouvé par la narratrice, et puis, ne serait-il pas tout aussi illusoire de croire qu'on peut désormais communiquer enfin sa subjectivité «en temps réel», grâce à l'Internet ? Toujours est-il que dans le roman, de nombreuses tentatives épistolaires verront le jour, des lettres à profusion, brouillons froissés, recommencés, courriers inachevés et jamais expédiés, envahissant l'emploi du temps et le bureau de la narratrice, illustrant parfaitement cet impératif paradoxal et vital d'écrire chez elle… Aussi Ingeborg Bachmann laissera-t-elle à sa mort quantité de textes inachevés et un nombre incalculable de feuillets épars qu'on continue encore à ce jour à exhumer et à analyser. Enfin, pour clore cette longue parenthèse postale, dans son roman, l'auteure avouera sa fascination pour la personnalité du célèbre facteur autrichien Otto Kranewitzer, condamné "injustement" pour malversation et abus de confiance après avoir inexplicablement cessé de distribuer le courrier, et l'avoir entassé chez lui pendant des mois alors même qu'il n'avait strictement rien ouvert ou subtilisé.. !}
Ainsi, brisant volontairement toute unité temporelle, brouillant les pistes et l'étanchéité séparant d'ordinaire les genres narratifs, libre de toutes contraintes, l'auteure semble-t-elle s'autoriser à nous livrer à l'état brut sa voix la plus personnelle et intime ( dont le corollaire musical figurant à différents passages du récit ne sera autre que celle du «Pierrot Lunaire» de Schoenberg, avec son « sprechgesang» particulier, curieux et imprévisible «parlé-chanté»..). Sans retenue donc, sans aucun filet de sécurité non plus, portée par sa narratrice et avatar, «Moi», elle nous invite à quitter abruptement la tranquille vallée des certitudes quotidiennes (« huit heures de travail ou un jour de congé, tel ou tel trajet, quelques courses, la lecture du journal, le thé, un oubli, un rendez-vous..») pour l'accompagner errer dans ces régions de l'esprit où l'atmosphère intérieure se raréfie, quelquefois à la limite du respirable («Le troisième homme»), périple jamais tout à fait balisé, sachant d'emblée l'impossibilité d'en retranscrire son tracé précis, nos vérités les plus personnelles et essentielles, celles qui nous ont façonnés en une monade unique et irréductible étant, n'est-ce pas, celles aussi dont on ne peut justement donner aux autres aucune preuve irréfragable ou définitive…
Chez Ingeborg Bachmann, âme passionnée et à fleur de peau, écorchée, création et destruction paraissaient indissociables. Femme séduisante et séductrice, indépendante et naturellement douée, qui n'aura jamais caché «aimer les hommes», elle aura cherché au travers de ses nombreuses «amitiés amoureuses» masculines - dont le lien qui l'unissait au poète Paul Celan fut sans aucun doute la plus intense -, à la fois un agent indispensable à son inspiration créatrice et une planche de salut à ses tentatives de ramener à la lumière cette partie d'elle-même restée, selon une formule devenue récurrente chez elle, dans le «cimetière des jeunes filles assassinées». Ingeborg Bachmann ne réussira pas en effet, jusqu'au bout, à effacer complètement les séquelles laissées par les traumatismes subis durant son adolescence, liés au rôle funeste joué par l'Autriche durant la Deuxième guerre mondiale et à l'éducation reçue de son père, fervent protestant, admirateur de l'idéologie nazie et adhérent du parti national-socialiste dès le début des années 30, ainsi que par ceux provoqués, au tout début de sa vie de jeune femme, à Vienne, par le silence insupportable autour de l'histoire récente dans lequel son pays natal était plongé, essayant à tout prix de faire passer l'Autriche aux yeux de la communauté internationale pour «la première des victimes de l'Allemagne nazie».
«Un jour viendra où nos maisons s'écrouleront, les voitures ne seront que ferraille, nous serons délivrés des avions et des fusées, nous aurons renoncé à l'invention de la roue et à la fission de l'atome, un vent frais descendra des collines bleues gonfler nos poumons, nous serons morts et nous respirerons, ce sera la vie entière.»
À la lecture de MALINA, pour peu qu'on se soit intéressé à la histoire même et au parcours de son auteure, et ce malgré toutes les mises en garde que celle-ci n'aura cesser d'apporter, il paraît difficile d'éviter de penser et de faire un parallèle entre la vie d'Ingeborg Bachmann et son premier roman. Quid d'Ivan ou de Malina ? le premier ne pourrait-il pas constituer un reflet fictionnel de l'écrivain suisse Max Frisch, avec lequel elle aura entretenu une longue liaison passionnée, avant que ce dernier quitte femme et enfants (deux, comme Ivan..) pour venir la rejoindre à Rome, ville où Ingeborg Bachmann s'était réfugiée depuis plusieurs années, et où, à l'instar de sa narratrice, elle avait certainement dû passer beaucoup de soirées à attendre «le son de sa voix, à côté du téléphone, en fumant cigarette après cigarette».. ? Et Malina, ne pourrait-il incarner le fantôme de Paul Celan, l'âme-frère, son amour le plus inconditionnel et fidèle, initié en 1948, jamais tout à fait accompli, jamais interrompu non plus avant ce jour à Paris où le poète, fatigué de vivre, s'était abandonné dans la Seine (encore un évènement tragique dont Ingeborg ne se sera jamais tout à fait remise), âme-soeur aussi, fusionnelle, reflet toujours disponible à portée de main et de miroir (d'où son prénom féminin, Malina?..).
D'autres niveaux de lecture pourraient certainement être aussi envisagés à la lecture du roman : s'agirait-il plutôt d'élucubrations purement imaginaires d'une femme vivant, pourquoi pas, toute seule dans son appartement ? « En gros le lieu est Vienne », nous apprend la narratrice, cependant «l'unité de lieu» se résumerait en vérité «à une seule rue, mieux que cela, à un fragment de la rue de Hongrie : c'est là que nous habitons, Ivan, Malina et moi » (!) ? D'une fantasmagorie autour de quelques-uns des paradoxes constitutifs du désir, ici dans sa version féminine, entre d'un côté le besoin d'assurance, de protection venant d'une figure masculine fiable et raisonnable - «mari », ou celui qui en ferait office- , et, d'autre part, l'exaltation d'un amour-passion, de cette urgence et de cette dévotion des sens qui ne s'expliquent pas, incarnées dans le roman par le fantasme idéalisé de l'amant auquel on s'abandonne sans concession, «échue sans mots», tremblant d'un désir impérieux et en même temps de l'attente et la peur d'être subitement délaissée? Faire coïncider ces deux images sur un seul et même support, en voilà bien une manoeuvre qui peut s'avérer parfois délicate à négocier pour la psyché féminine... ! La psychanalyse freudienne pourrait également y trouver un terrain favorable à sa grille de lecture, notamment en ce qui concerne la problématique de la triangulation oedipienne (la deuxième partie du roman consiste en une longue succession de rêves autour des figures parentales archaïques, dominés par l'omniprésence terrifiante du père et, accessoirement, la mère), ou encore la dynamique particulière aux déchirures irréparables provoquées dans le tissu psychique par les traumatismes précoces, enfermant le sujet dans un cercle de répétitions incontournables et d'obsessions envahissantes («Je ne peux pas lui parler de pareille insanité, et comme je ne peux pas lui parler de meurtre, j'essaie seulement de crever, de brûler cet abcès, pour Ivan, je ne veux pas rester vautrée dans cette obsession du meurtre, avec lui je devrais parvenir à l'éliminer, qu'il la prenne sur lui, qu'il me sauve », nous confiera la narratrice, pourtant alors en pleine idylle amoureuse).
Comment se reconstruire sans détruire ? Comment ériger du nouveau autrement que sur les ruines d'une autre chose, de quelqu'un d'autre ou de soi-même ? Voilà tout le dilemme, et en même temps la source vive de cette écriture.
Quoi qu'on en pense et analyse, MALINA reste avant tout une oeuvre dédiée à cette impasse, sorte de retable baroque lyrique et ténébreux, un tryptique comportant un panneau central (« Des Fins Dernières») et deux volets mobiles (« le Bonheur » et « le Troisième Homme »), tableaux saisissants à la fois de l'exaltation de la passion amoureuse et créatrice, et des stations de la via crucis personnelle de son auteure : un « Exsultate Jubilate » se terminant par la descente de croix de son corps mystique.
Un roman, en fin de compte, qu'il ne faudrait peut-être pas chercher à tout prix à «comprendre» rationnellement.
Je crois que souvenir que j'en garderai, en tout cas, sera celui d'un essai insensé de sismographie émotionnelle servi par un langage poétique fulgurant et fragmentaire, déployé ici (et superbement traduit par Philippe Jaccottet) sur un fond de ciel noir et tourmenté, certes, mais serti de brillants; le souvenir enfin d'une femme exceptionnelle à la destinée émouvante, emblème mélancolique de toute une époque et génération, de sa force de caractère et de sa grande fragilité, et qui m'aura, moi aussi, fasciné.
Je suis d'ailleurs absolument convaincu, jusqu'à preuve en contraire, que c'est à elle que s'adressait Paul Celan en écrivant ceci : «Si grand était son amour pour elle qu'il aurait suffi à faire sauter le couvercle de son cercueil – si la fleur qu'elle y avait déposée n'avait pas été si lourde.»
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Il arrive que durant ce roman, qui par moments flambe et réjouit, on se demande ce que Ingeborg Bachman a voulu nous dire. Dès lors, entrer dans cette fiction ne laisse pas intact : ou bien rebuté par ce qui s'apparente à une tentative de déstabilisation de vos repères, vous laissez le livre là, défait, ou bien, éperonné, vous tenez à connaître les motivations non-conformistes, folie ou révolte, qui ont poussé cette autrichienne à déverser ses luttes et ses cauchemars dans un livre déconcertant. Peu avant de reconduire Malina incomplètement lu en bibliothèque, un article1 de Pierre Assouline m'a donné la résolution d'aller au bout et d'entreprendre une quête approfondie. "Au nom de l'énigmatique beauté du texte" et avec le sentiment stimulant de ne pas être seul en difficulté, le sens échappant parfois à Philippe Jaccottet lui-même, car "il est vrai que cette histoire autrichienne n'aurait pu être écrite dans une autre langue que l'allemand."

Beaucoup de clichés et de légendes circulent à propos d'Ingeborg Bachman, et c'est seulement depuis une trentaine d'années que la critique scientifique explore cette oeuvre majeure de la littérature en langue allemande de la seconde moitié du vingtième siècle. Elle est peu connue en France, sans doute en partie parce que sa traduction est difficile : Françoise Rétif est parmi ses biographes et traductrices francophones les plus compétentes et on trouvera dans ses publications un éclairage sur l'étonnante autrichienne.

Ingeborg Bachman est née à Klagenfurt en 1926 et à l'âge de dix-huit ans, elle est une écrivaine prolifique avec des poèmes, des nouvelles, des lettres fictives, un drame et un journal de guerre. Étudiante en germanistique et philosophie, elle soutient une thèse brillante sur la philosophie existentielle de Heidegger qu'elle n'hésite pas à critiquer. Elle est tôt invitée à faire partie du prestigieux Groupe 47 et reçoit le prix qu'il décerne en 1953. La publication de son second recueil de poèmes et deux pièces radiophoniques lui valent une célébrité définitive, d'autant plus marquée qu'à cette époque, l'Allemagne en reconstruction s'empressait de reconnaître la poésie belle et émotive, riche de sa langue, qui faisait oublier la shoah et renouait avec la tradition. Mais l'autrichienne dérange par sa féminité provocante et ses liaisons nombreuses, difficiles et scandaleuses. Partagée entre Rome, Zurich et Berlin, liée à des créateurs connus tels Paul Celan, Max Frisch, Henze, Weigel, elle manifeste une pensée critique à l'égard des pays germaniques et des hommes. Tout cela, sa mort accidentelle dans un incendie à Rome, ses silences prolongés, contribuèrent à construire un mythe autour de son nom.

Si on dépasse les jugements superficiels, on découvre dans l'oeuvre une quête continue, des thèmes récurrents. Très engagée, elle n'a cessé de stigmatiser, dans tous ses poèmes comme en prose, tout ce qui s'apparente au drame autrichien de l'Anschluß, alourdi par l'implication de son père dans les violences nazies. Elle continuera à dénoncer le fascisme là où elle le voit, dans les sociétés capitalistes, colonialistes et patriarcales. Elle n'a cessé de considérer que l'écrivain a une mission à accomplir pour le progrès de la société. À cela s'ajoute le rôle de la femme auteur, trouver sa place et son identité dans une tradition dont elle hérite et qu'elle veut transformer. Sa soif d'écriture et d'idéal l'amèneront avec opiniâtreté et lucidité à adopter des formes littéraires nouvelles, de conception esthétique audacieuse. Elle démystifie un art intouchable, sacré, avec une écriture subtile, changeante, innovatrice. On touche là au caractère évident de Malina : transgression au plan de la forme et des idées.

Malina, à fois journal intime et chronique fragmentaire, est le roman de trois êtres: une narratrice, nommée Moi, sa part masculine Malina, compagnon non amant, et enfin Ivan, l'homme aimé pour qui le livre doit être écrit. Il s'agit du seul roman achevé de la trilogie "Façons de mourir" (parfois traduite "Genres de mort", maladroitement selon moi), car la mort brutale en 1973 écourta le projet. Malina, que l'on prend pour un nom de femme et c'est voulu, représente le père sévère, le surmoi social. Il tente de réconcilier la narratrice avec le monde ordonné, bien agencé, très masculin, qui s'oppose à une nature fantasque, rêveuse et passionnée. À la fin du roman, Moi s'efface, entre dans le mur et s'y enferme. Suicide symbolique mais aussi assassinat où on lira la contrainte exercée par les hommes pour intégrer la femme dans un processus de socialisation qu'ils structurent.

Françoise Rétif interprète plus avant la décision de disparaître dans le mur. Elle consiste, pour Moi, à se refuser à poursuivre l'écriture lorsque écrire signifie accepter de renoncer à tout ce qui constitue une écriture indissociable de la passion, de la volonté de la femme d'écrire pour l'homme aimé, Ivan. Car ce dernier l'a quittée. Dans le livre à venir, Maurice Blanchot évoque l'idée de l'écriture comme une décision de s'y clôturer, une limitation en quelque sorte. C'est autour de cela que gravite Malina, à savoir — je cite Rétif — "la thématique centrale de l'oeuvre bachmanienne: qu'est-ce qu'écrire, si écrire signifie renoncer à la vie ? Qu'est-ce que l'art s'il faut lui sacrifier la vie ? Qu'est-ce que l'art s'il fait de la mort son oeuvre ? Et qu'est-ce que l'art quand c'est une femme qui écrit ?" La question de la femme écrivain est posée en terme de sexe (de genre): une femme peut-elle entrer dans le système symbolique sans renoncer à une partie d'elle-même ? Sur ce sujet, je préfère renvoyer au chapitre Art féminin, art paradoxal que développe Françoise Rétif dans le bon ouvrage paru chez Belin, collection Voix Allemandes.

Le rapport des sexes est envisagé sous deux aspects dans cette fiction. D'une part, la dénonciation de la violence d'une réalité à travers l'image du Père, auquel Bachman consacre la seconde partie du livre, le troisième homme, amalgame d'autorité brutale et d'inceste rapporté dans une narration onirique effrayante: "Ce n'était pas mon père, c'était mon assassin." À côté de cela, il y a l'utopie de la réconciliation. Androgynie ou bisexualité qui abroge la séparation des sexes sans renoncer à leur complémentarité et à leurs différences. Une relation idéale avec Ivan qui abolirait la schizophrénie dont souffre la narratrice. Un moment, c'est Ivan et moi; un autre moment nous; tout de suite après toi et moi. Rapport amoureux dans l'harmonie de la complémentarité, accord du corps et de l'esprit qui rendrait possible alors une écriture en tant que fruit de l'amour et trace de celui-ci. Opposition avec Lacan pour lequel, quand on ne peut avoir la chose perdue, on la tue en la symbolisant par la parole, de sorte que la parole serait meurtre de la chose. Au contraire chez Bachman, l'écriture serait la trace de la fécondité de l'amour. Forme de venue à l'écriture par la passion amoureuse, écriture qui n'est donc pas réparation de la perte mais gain d'amour, à l'opposé de la conception occidentale courante selon laquelle l'art est une forme de sacrifice.

Intégrer significativement ce roman, vous l'avez compris, est exigeant. Il convient de dépasser une lecture superficielle pour entamer un travail de documentation qui porte rapidement ses fruits et devient passionnant. Outre l'ouvrage chez Belin mentionné plus haut, j'ai trouvé des informations considérables dans la revue mensuelle Europe d'août septembre 2003. Saluons aussi la publication de trois oeuvres chez Actes Sud.

Lien : http://www.christianwery.be/..
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Emprunté à la médiathèque, Malina dont le titre m'a attiré car il m'a rappelé un film avec Isabelle Huppert, est une vraie expérience de lecture, pas forcément toujours agréable.
Nous assistons, dans ce livre aux accents autobiographiques, aux déboires sentimentaux et existentiels d'un personnage féminin "Moi" qui ressemble beaucoup à Ingeborg Bachmann.
La narratrice, dont la personnalité est fragile, nous relate dans les première et troisième parties de l'ouvrage ses relations amoureuses avec deux hommes, un amant hongrois et un compagnon, qui, tous deux, ne semblent pas répondre à ses aspirations. Elle est dépendante d'eux, en quête d'une réassurance et d'une identité qu'elle ne parvient pas à trouver.
La deuxième partie du livre, plus obscure et mystérieuse est consacrée à des souvenirs d'enfance avec un père violent et incestueux. Elle nous donne des clés de lecture pour comprendre le mal être et les difficultés de la narratrice.
Nous sommes à Vienne après la guerre, dans un pays qui a vécu les traumatismes du IIIème Reich. Ingeborg Bachmann, dont le père était nazi, nous amène à partager avec elle une expérience de décomposition et de morcellement, au travers d'un récit fragmenté composé de prose, de dialogues, de lettres inachevées. Son écriture froide et dépersonnalisée est émaillée de fulgurances poétiques.
J'ai beaucoup aimé au début du livre la description fantasmée de Vienne et l'absence de frontières entre la ville et le psychisme de l'autrice.
Le tout est déroutant, assez rude mais il donne envie d'en savoir plus sur Ingeborg Bachmann.
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Cela fait déjà quelques jours que j'ai fini ce roman ( ?), mais j'ai énormément de mal pour écrire un commentaire sur cette lecture. Il s'agit d'une oeuvre hors-norme, difficile à cerner, que je ne suis pas sûre d'avoir vraiment comprise, et de laquelle il m'est donc assez difficile de parler d'une façon relativement cohérente et construite.

C'est un récit à la première personne, un monologue, d'une femme, qui ressemble forcement très fort à Ingeborg Bachmann, enfin pour ce que je puis en imaginer. Cette femme vit à Vienne, et se partage entre l'écriture et deux hommes, un avec qui elle habite et un autre qui habite à quelques pas, et qu'elle voit le plus souvent possible. Mais le monde de la narratrice semble pouvoir à chaque instant dérailler, devenir une sorte de cauchemar éveillé dans lequel les choses et les gens deviennent étranges voire menaçants. Et il y a les récits qu'elle écrit et qui s'intègrent à certains moments au récit du roman. Il y a par moments des descriptions très réalistes, qui alternent avec des moments où les choses ne sont plus réalistes du tout.

Le livre semble décrire le monde intérieur de la narratrice-auteur, un monde chaotique, peu rassurant, dans lequel il faut à chaque moment apprivoiser le réel pour qu'il ne vous avale pas. On dirait qu'elle cherche en permanence des points d'appui qui se dérobent, rien n'est vraiment certain, sauf peut être la souffrance.

Même le langage, défense suprême se dérobe, le livre contient un certain nombre de lettres inachevées, comme si aller jusqu'au bout était impossible. Par exemple, une lettre au notaire, dont la narratrice essaie de composer plusieurs versions, jamais finies, et dont le sens semble s'éloigner de plus en plus de ce qu'elle semblait vouloir dire au début. Ces lettres sont de brillants morceaux d'ailleurs, écrits d'une façon éblouissante, avec des formules toutes faites, comme dans bon nombre de lettres, et Bachmann semble les détourner, comme si toutes ces formules tuaient la communication, la rendaient impossible. Là, il y a sûrement une brillante étude à faire sur l'utilisation du langage chez Bachmann, sur l'échec du langage qui mène à sa propre fin et à la mort, j'imagine que cela a du être écrit par des brillants spécialistes.

Un livre donc très cérébral, mais qui en même temps qu'il est complètement désespéré peut être étrangement drôle. Drôle, touchant, effrayant, incompréhensible aussi, ce livre est tout cela à la fois. Une expérience de lecture très particulière, qui demande un certain effort, qui apporte un certain plaisir, qui trouble et intéresse, mais par moments agace aussi. Quelque chose de complexe en somme. Et difficile à résumer.
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Excepté la deuxième partie, que j'ai trouvé extrêmement forte, je n'ai pas réussi à accrocher à cet étrange roman...
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Je n'ai jamais vraiment réussi à accrocher à cet étrange roman que j'ai abandonné avant la fin. Il m'a semblé comprendre des choses par moment ... mais sans en être vraiment certain ....
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Je pense que je n'aurai jamais lu ce livre si il n'était pas au programme de ma licence... je n'ai pas beaucoup apprécié le style du roman sauf quelques passages.
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Je me vois obligé à laisser passer ce livre pour une deuxième lecture, et - à en juger par les critiques sur ce site - apparemment je ne suis pas le seul. Je suis totalement d'accord que Bachmann a écrit un roman de la douleur féminine intériorisée, un portrait hallucinatoire d'une femme à Vienne dont la psyché est à la merci de différents hommes. La première partie était relativement facile à suivre, avec une savante évocation d'une femme qui oscille entre l'« aventureux » Ivan et le « roc » un peu ténébreuse Malina. Mais ensuite la deuxième partie, avec une succession de ce qui semble être des hallucinations de la même femme, admise dans un institut psychiatrique et avec des scènes bizarres dans lesquelles l'inceste est explicitement évoqué. Je dois avouer que j'ai abandonné au cours de la troisième partie, après un autre enchaînement de scènes à peine sensées. Peut-être que des circonstances extérieures étaient en jeu lorsque je l'ai lu, mais je ne pouvais tout simplement plus me mettre dans le monde masochiste de cette écrivaine. Je sais que Bachmann est considéré comme la source d'inspiration de Thomas Bernard, et une grande partie de cela était reconnaissable. Mais personnellement je pense qu'un lien avec Elfride Jelinek est beaucoup plus évident. Comme je l'ai dit, je mets cela de côté pour une deuxième lecture, car le fait est que ce livre, cette lutte, ne vous lâche pas.
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