Ce texte, qui n'est pas le plus connu de la Comédie Humaine, tout au moins par le grand public, a été publié pour la première fois en mai 1831 en revue, avant de connaître la même année, une publication en volume. C'est le tome 3 des Romans et contes philosophiques. le texte connaîtra plusieurs révisions,en 1835 il est associé à
Louis Lambert et
Séraphîta pour former le Livre mystique. Il sera finalement intégré dans la Comédie Humaine aux Etudes philosophiques.
C'est un étrange objet. Nous sommes à Paris en 1308 chez Joseph Tirechair, un sergent de ville, qui loue des chambres à des étrangers fortunés dans sa maison. Il vient confier à sa femme des doutes sur les personnes qu'il héberge actuellement : il les trouve inquiétants, surtout l'un d'entre eux, un vieillard étranger (qui sera nommé comme étant
Dante à la fin du texte), et il ne faut pas grand-chose à l'époque pour être reconnu sorcier ou hérétique et finir au bûcher. le sergent ne veut donc pas garder chez lui ces personnes et s'apprête même à les dénoncer. Mais intervient une jeune femme qui travaille comme supposée lingère pour sa femme (qu'elle paie en réalité pour occuper ces fonctions ancillaires ) : elle dévoile sa haute condition et indique que le vieillard que le sergent soupçonne est un personnage important, reçu chez le roi. le dénoncer ne pourrait que se retourner contre le logeur soupçonneux.
Dans un deuxième tableau nous suivons le vieillard en question, accompagné du jeune homme qui loge avec lui, Godefroid, aux cours donnés à la faculté par un certain Sigier (en réalité Siger de Brabant). Nous suivons le cours, l'exposé de Sigier. En particulier, il expose sa conception de la structure de l'univers, que est constitué de cercles concentriques, conception que l'on pourra retrouver en partie chez
Dante. Je ne vais pas rentrer dans les détails, ce serait très long, mais il est vrai qu'il y a des liens indéniables avec
la Divine Comédie, comme d'ailleurs avec la pensée de Swedenborg, philosophe qui a beaucoup influencé
Balzac. A noter, Siger de Brabant est présent au Paradis de
Dante, bien qu'il ait été condamné par l'Église, pour ses thèses jugées trop proches de la pensée d'Averroès.
Dans la dernière partie du texte,
Dante est amené à exposer à Godefroid une sorte de vision se passant en Enfer, et concernant un certain Honorino (épisode qui ne figure pas dans
la Divine Comédie). le texte se conclut d'une manière heureuse pour nos deux protagoniste : Godefroid peut rejoindre sa mère (la noble dame déguisée en lingère) et
Dante voit arriver des hommes lui annonçant qu'il peut rentrer à Florence.
Le texte
De Balzac est très inexact sur le plan historique. Certes, la possibilité d'un séjour parisien de
Dante est discutée par les spécialistes. Mais certainement pas en 1308, mais bien plus tôt. de toutes les façons, Siger de Brabant était déjà mort depuis plus de dix ans. Quand au retour de
Dante à Florence, il n'a jamais eu lieu à partir de son exil imposé en 1301. L'histoire de Godefroid, qui elle est inventée par
Balzac, est juste invraisemblable et très sentimentale. Nous sommes donc dans un étrange récit, en dehors de la réalité, et qui donne à
Balzac l'occasion d'exposer quelques unes de ses obsessions. Ce qui est au centre, ce sont les doctrines de Sigier, et le personnage de Honorino. Ce dernier, dont le nom est très proche de celui d'Honoré est placé à la dernière limite de l'Enfer. Chaque jour, un archange paraît, qui laisse espérer une possible montée vers le Paradis, et chaque fois cet espoir est déçu. L'espoir étant présenté comme le supplice ultime, pire que tous les autres infligés aux damnés.
Il faut se souvenir que l'ambition
De Balzac, en écrivant ce qui allait devenir la Comédie Humaine, était très forte. Il ne souhaite pas seulement décrire l'homme et la société, mais aussi les juger et analyser. de dégager des principes à appliquer pour aller vers une humanité harmonieuse. Ce qui se révèle difficile, voire impossible. On pourrait imaginer que le supplice d'Honorino symbolise l'ambition et l'échec d'Honoré.
En résumé, ce texte au combien complexe, rappelle aussi à quel point l'oeuvre
De Balzac est riche et ambitieuse, et qu'on ne peut la réduire à la psychologie ou sociologie. Et aussi que
Dante, au-delà même de son oeuvre, a été source d'inspiration et de réflexion pour de très nombreux auteurs.