Paris, j'ai commencé par le haïr, les trois premières années que j'y ai vécu, d'une haine de paysan, écrivait rageusement le jeune Henri Fournier à son ami Jacques Rivière ; mais il corrigeait cette affirmation, dix-huit mois plus tard, sur le ton le plus lyrique : Grandes voies avec les arbres déjà verts (...) infiniment animées et profondes et mystérieuses, comme au premier jour où, enfant paysan, je m'y suis émerveillé. C'est près de la moitié de sa brève existence -treize ans sur vingt-huit - que l'auteur du Grand Meaulnes a passée dans la capitale ; c'est dans cette grande ville multiforme où il débarqua à douze ans, comme tant d'autres adolescents provinciaux, c'est là qu'il travailla, aima, souffrit, écrivit. Et, au fil des jours, il manifesta à son égard des sentiments souvent contradictoires, comme il nous en vient à chacun.
Sentiments contradictoires qu'on retrouve dans ses projets littéraires. Alain-Fournier avait affirmé son intention, presque un programme déjà, d'écrire un roman sur Paris. Ainsi le 31 décembre 1908, il dit dans une lettre à Jacques Rivière :
Il m'est revenu de vieux projets pour quand, d'abord, j'aurai fini «Le pays sans Nom». Je ferais pour Paris un peu de ce que j'aurai fait pour «le Pays». Je trouverais les paysages avec leurs âmes qu'il y a derrière ces canailleries sentimentales de Paris, quand les filles les chantent avec la naïveté de leur coeur. Je trouverais le paysage qu'il y a derrière les décors du café-concert quand les filles les regardent. Ce serait un monde aussi mystérieux, aussi épouvantable que celui de mon premier livre.
Un monde «épouvantable» : quelle étrange vision d'un nouveau «Domaine mystérieux», où un double de Valentine Blondeau, la «fille perdue» eût peut-être éclipsé Yvonne de Galais ! Et pourtant, ce ne fut pas Paris, mais une très provinciale Villeneuve-sur-Allier qu'Alain-Fournier prit pour cadre de son second roman, resté inachevé. Se fût-il vraiment attaqué, comme Balzac, à la capitale s'il avait vécu plus longtemps ? Nul ne peut le dire. Quoi qu'il en soit, la Ville-lumière occupe bien des pages de sa correspondance, avec des accents souvent passionnés. Paris est présent également dans plusieurs chapitres du Grand Meaulnes ; les trois derniers, intitulés «Le secret», sont précisément centrés sur Valentine, couturière ou modiste, dont Meaulnes sait qu'elle habite une petite rue qui tourne aux environs de Notre-Dame.
Et, comme son ami Léon-Paul Fargue, «le piéton de Paris», c'est à pied, le plus souvent, qu'il arpenta ces voies, du Sud au Nord, d'Est en Ouest, alors que, pourtant, les premières lignes de métro s'ouvraient les unes après les autres, que la fréquence des omnibus et des tramways était presque aussi importante qu'aujourd'hui, sans parler des bateaux-mouches qu'il aimait prendre de temps à autre, en souvenir de la «grande jeune fille», croisée le jour de l'Ascension 1905