Ravage s'inscrit dans la tradition ancienne des romans d'anticipation, frisant dangereusement l'utopie/dystopie. Après nous avoir plongé dans une société technologiste, où tout est subordonné à des exigences de vitesse et d'efficacité,
Barjavel entend en dépeindre minutieusement les excès, et les conséquences qu'il entraîne sur l'homme, en son corps comme en son esprit. Car quoi qu'en disent les apparences (en tout cas, quoi qu'en dise d'abord le narrateur), l'invasion de la technologie a pour contrepoint direct la paresse des hommes, qui ne sont plus que des corps flasques. Une simple "panne de courant", un fléau naturel somme toute banal (c'est-à-dire courant : l'incendie dans une ville est un des fléaux urbains les plus redoutés dès l'Antiquité) suffisent à désemparer l'ensemble de la population, et à la réduire à son état primitif de masse où chacun entend défendre ses positions. J'ai beaucoup ri du sadisme dont fait preuve le narrateur en décrivant la fatigue épouvantable dont souffrent les habitants d'immeubles condamnés à descendre une cinquantaine d'étages, ou (pire !) à en monter une vingtaine : la ruée vers le sol devient un véritable pugilat, et c'est à qui en bousculera le plus...
Tout cela pour rétablir ce modèle de simplicité, idéal d'une société agraire composée d'hommes robustes, travaillant en collectivité, plutôt que dans l'isolement qu'engendre l'asservissement aux machines. La dimension cyclique du roman, qui se termine sur un commencement, nous invite à évaluer notre place dans le monde, et la relativité des comportements sociaux que nous produisons, lesquels sont, en un instant, balayés par une situation imprévue.
Ce genre de roman offre certes l'occasion d'un retour sur soi, sur l'absurdité du "progrès" dont chacun se gausse, mais je n'ai pas été pour autant enchanté par le récit. Les descriptions du feu léchant la ville, de la cendre empoussiérant le monde, ou de la pluie dissolvante, régénérante, sont très inspirées, parfois sublimes, mais il m'a manqué ce je-ne-sais-quoi qui lie le livre à soi, qui intrigue et pousse à avancer. Comme une intimité absente avec des personnages trop durs, trop éphémères...
Un bon livre quand même ! ;)