Barjavel est un auteur que j'ai beaucoup aimé à l'âge du collège, puis de moins en moins. Avant d'aborder des relectures de romans dont je n'ai guère plus en mémoire que leurs titres et leurs couvertures, j'ai préféré lire un roman très connu mais que je n'avais pas lu.
Le résultat n'est pas très probant.
D'abord, le style est très quelconque sans être désagréable.
Points faibles de ce roman :
* la quatrième et dernière partie est moins bonne que la précédente qui elle-même est moins bonne que la deuxième, elle-même un peu moins bonne que la première partie (heureusement les deux dernières parties sont très courtes, mais ça laisse un ressenti final désagréable)
* le livre a été écrit pendant l'Occupation, et publié en 1943. Il est difficile de distinguer ce qui relève de l'influence de l'idéologie ambiante (et/ou des concessions pour passer la censure) de ce qui relève totalement des idées personnelles de l'auteur.
La société post-apocalyptique dépeinte est plutôt autocratique, avec un culte du chef bien de l'époque.
* Sans doute pour les mêmes raisons, la vision des femmes dans ce roman est très datée. François est, dès la première partie, un homme qui a une vision patriarcale de la place de la femme dans la société. Et ça ne s'arrange pas au fil du roman ! Pire, la polygamie est justifié dans le monde post-apocalyptique par la surabondance des femmes par rapport aux hommes. Alors que pourtant dans ce roman les proportions entre personnages féminins et masculins sont inverses. Et que dans la petite troupe de survivants qui quittent Paris, non seulement il y a très peu de femmes, mais en plus elles survivent plus facilement que les hommes qui tombent finalement comme des mouches.
* Dans le même ordre d'idée, il y a des relents fort désagréables de racisme. En particulier dans une scène de la première partie. C'est très contradictoire : l'Amérique du Nord a expulsé tous les noirs en Amérique du Sud. Les noirs sont présentés comme des sauvages qui festoient avec des danses tribales, et en même temps, ils ont tellement développé leurs industries qu'ils envoient des missiles pour attaquer le Nord. C'est cependant très secondaire dans l'intrigue puisque très vite Paris se trouve coupée du monde. Je relèverai plutôt qu'à côté de cet épisode odieusement raciste, il n'y a pas l'ombre d'antisémitisme dans ce roman. Qu'en penser ?
* La chute en fait, toute caricaturale qu'elle soit, ne me paraît pas claire. En fait tout le problème est dans l'interprétation. Pour la première partie, pas de problème, c'est de la dystopie, avec un humour féroce qui vise la France de l'époque, et une anticipation intéressante. La deuxième partie est clairement post-apocalyptique. Mais quid des deux dernières parties,
Barjavel a-t-il vraiment voulu nous peindre une société idéale, utopique ? Je ne trouve aucun exemple de roman post-apocalyptique qui finisse ainsi. En général, il me semble que les fins sont ouvertes ou manifestement ambivalentes. En tout cas son monde «utopique» a tout d'une dystopie, pire, en germe, que le monde dystopique du début, jusqu'à la destruction des livres comme dans Fahrenheit 451 (roman pas encore écrit, mais les autodafés étaient bien dans l'air du temps). Comment était-ce perçu par le lecteur de l'époque ?
Et les points forts . Est-ce qu'il y en a ? Et bien oui !
* La peinture de la société future est intéressante : un monde architectural qui nous paraît encore futuriste sur bien des points, mais une vision de la société des médias très prémonitoire, alors qu'à l'époque, si la télévision existe, elle a encore du chemin à faire (moins d'une heure d'émission par jour, et pour très peu de public). La vision d'une société où le « plastec » remplace quasiment tous les matériaux est assez visionnaire aussi. Idem pour la description des rubans d'automobiles entre les villes. La satire sonne souvent assez juste pour maintenant.
* La catastrophe qui fait régresser les hommes n'est pas explicitée, elle est brutale, par perte totale de toute énergie électrique. Mais, en plus, il est évident que l'humanité était, au moment où cet événement arrive, en train de vivre une période de réchauffement climatique dû aux activités humaines.
Je ne trouve pas d'autre point positif, si ce n'est que c'est une curiosité fort intéressante dans la
Science-Fiction française, quasiment hors influence de la
Science-Fiction américaine.
Et je ne sais toujours pas si je vais relire
Les chemins de Katmandou et
La nuit des temps. J'ai peur de ne pas aimer du tout.