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« Il lisait donc que sa musique « cancanait et grognait », que sa nature « nerveuse, convulsive et spasmodique » dérivait du jazz, qu'elle remplaçait le chant par des « cris perçants ». Cet opéra avait manifestement été composé pour plaire aux « dégénérés », qui avaient perdu tout « goût sain » pour la musique, préférant « un flot sonore confus ». Quant au livret, il se concentrait délibérément sur les parties les plus sordides du récit de Leskov ; le résultat était « grossier, primitif et vulgaire ».

C'est de l'opéra de Dimitri Chostakovitch, « Lady Macbeth de Mtsenk » qu'il est question dans cet extrait d'un article réellement paru à Moscou le 28 janvier 1936, dans la Pravda. Cet article aura des conséquences dramatiques pour un compositeur qui jusque là avait plutôt la faveur du pouvoir en place.

Chostakovitch, dont nous sommes dans les pensées dans ce passionnant et érudit roman, disait que c'était Staline en personne qui avait écrit et fait publier cette condamnation. le compositeur s'attend alors à être arrêté de nuit et à disparaître, comme de nombreuses autres personnes dans cette époque de purges. le premier chapitre se situe alors qu'il a décidé de se tenir prêt à l'arrestation sur le palier de son appartement. Il y passe toutes ses nuits.

Dans le second chapitre on est en 1949. Staline est encore en place. Chostakovitch a réussi à survivre en faisant profil bas et en donnant des gages au pouvoir, ce qu'il fera toute sa vie, il faut bien le reconnaître. Il est obligé d'aller aux Etats-Unis pour un congrès culturel de propagande et nous suivons ses pensées alors qu'il doit accepter d'être instrumentalisé.
Enfin, le dernier chapitre est plutôt centré sur ses dernières années.

J'aime l'écriture de Julian Barnes, que certains autres lecteurs estiment parfois trop poliment ennuyeuse. Dans ce roman, également en demi-teintes, il n'hésite pourtant pas à désarçonner par de multiples redites d'un chapitre à l'autre ; les mêmes anecdotes reviennent mais traitées chaque fois différemment. J'ai eu la sensation de lire une biographie un peu fantasque par endroits. Et j'ai franchement aimé ce livre. Qui m'a aussi donné envie de réécouter mon intégrale en CD des quatuors à corde de Chostakovitch par le Quatuor Borodine, réédition parue chez Melodya il y a une bonne quinzaine d'années. C'est ce que je préfère de ce compositeur.
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Le fracas du temps.
Fracassement des êtres, des consciences.
Temps du XXème.
Glas qui résonne.
Étrangeté de lecture en ces temps troubles.

Arts, politique, tout évolue en tragédie.
La musique au service du « Pouvoir », la délation, les jugements, la haine gratuite tuent l'artiste ou le soumettent.
La musique n'existe plus pour elle-même.

Julian Barnes, dans cette biographie romancée, nous emmène dans les tréfonds nauséeux de cette domination stalinienne où la vie est peu de chose et la musique soumise, un instrument de pouvoir.

Dmitri Chostakovitch (connu internationalement), comme un pantin humilié, se soumettra au risque de se perdre et d'en souffrir.
Comment oser être lorsqu'on aime son pays, lorsqu'on craint pour sa famille et soi-même?

Une longue descente aux enfers jusqu'au reniement de ce qu'il est pour continuer à vivre (avec aisance) et à composer.
Horreur dans le reniement des autres : Soljenitsyne, Sakkarov, Stravinsky…
Discours, articles dans la Pravda écrits par le parti et signés ou tenus par lui…
Toutes ces choses qui évoquent la lâcheté bien qu'il s'en défende par l'ironie, points développés par Julian Barnes.

Collaboration et honte sont fortement décrits notamment lorsqu'il signera son adhésion au parti du temps de Khrouchtchev.

Julian Barnes, avec empathie, soumet aux lecteurs de sombres moments d'Histoire.
L'attitude de Chostakovitch interpelle et froisse notre jugement d'occidental mais peut-on juger le positionnement de quelqu'un qui a la Russie chevillée au corps, la musique pour religion et qui a vécu dans la peur.


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Non Chostokovitch n'a pas été aussi lâche que Julian Barnes veut bien le décrire dans son roman le Fracas du temps. Il a même fait quelques pieds de nez à Staline en s'inspirant, par exemple, du folklore juif. Mais bon, Barnes a choisi ce biais-là: raconter la vie de Chostakovitch à travers trois temps forts de sa lâcheté: 1936 et la mise à l'Index de son opéra, Lady Macbeth, 1948 et le voyage officiel à New-York, 1960 et son adhésion au parti communiste. Cependant Barnes ne fait jamais la leçon à ce pauvre Chostakovitch (dont la vie tragique tourne à la farce): au contraire, il nous interroge sur notre propre lâcheté, nous qui vivons dans un monde libre, où les artistes se vantent d'être décadents, ou l'art est bankable parce que, justement, il n'appartient pas au peuple. Qu'aurions nous fait, nous, si prompts à critiquer, à railler, à polémiquer, face à un régime totalitaire, meurtrier, injuste, et versatile ? A quoi bon jouer les héros si votre art doit disparaître avec vous ? Chostakovitch était-il plus lâche que Romain Roland, qu'André Malraux, que Pablo Picasso qui vantaient un "Paradis socialiste" dont ils n'auraient pas supporté le centième pour eux ?
L'écriture de Barnes est un peu elliptique, décousue mais les traducteurs ont fait un travail formidable qui rend l'oeuvre à la fois fluide et délicieusement ironique. Un vrai coup de coeur que ce Fracas du temps.
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Peurs, résistance, compromissions et lâcheté de l'un des meilleurs compositeurs russes sous le régime Stalinien, de Lénine à Nikita Khrouchtchev, contraint de plaire au pouvoir, écarté quand il ne plaisait plus.
Biographie d'un homme, qui au moment de la terreur stalinienne par peur de se faire arrêter devant sa famille, restait devant l'ascenseur de l'immeuble dans l'attente des hommes du NKVD il était "un homme qui comme des centaines d'autres dans la ville, attendait, nuit aprés nuit, qu'on vienne l'arrêter."
Cet homme est Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch, célèbre musicien russe
Il avait écrit un opéra, qui avait déplu à Staline, un opéra "Lady Macbeth de Mzensk" qui n'était pas dans la ligne du Parti. Un parti qui dictait ce qui était bien, ce qui était souhaitable dans l'art et ce qui était banni. Alors, on lui demande de s'excuser, il est arrêté, interrogé à "La Grande Maison". D'autres seront exécutés de façon expéditive, y compris ceux qui l'ont interrogé ! Lui aura la vie sauve, et deviendra un pantin manipulé par le pouvoir, contraint de partir sous surveillance représenter l'URSS en Amérique, d'y lire des discours qu'il n'a pas écrit, contraires à ses pensées, contraint de lire des dénonciations d'autres musiciens, de signer à son retour, dans la Pravda, des articles anti-américains que Staline avait vraisemblablement rédigés . Ce sont quelques unes des compromissions qu'il dût accepter, afin que ses oeuvres puissent être jouées. Afin qu'il puisse vivre. Aucune menace, mais un climat oppressant, des menaces permanentes.
Contraint d'accepter de devenir un modèle, d'accepter de recevoir trois fois le Prix Lénine, et six fois le prix Staline. Il lui était impossible de refuser d'avaler ces couleuvres soviétiques. En sauvant sa peau il protégeait sa famille, permettait à ses oeuvres d'être jouées. Pas toutes cependant, son opéra resta longtemps interdit
Puis le tyran mourut, remplacé par Nikita Khrouchtchev...plus insidieux, moins dangereux; Chostakovitch est même envoyé, comme ambassadeur de son pays à l'occasion de manifestations à l'étranger. Jamais seul. On ne peut pas toujours refuser, et tôt ou tard, même contre son grè on ne peut refuser plus longtemps une proposition d'adhésion au parti...Un proposition qui vous cloue encore plus au silence.
Un livre aux multiples facettes qui se lit comme un roman;
Un livre ayant pour thème tout d'abord l'art et plus particulièrement la musique, ces compositeurs sous le joug stalinien et soviétique, devant respecter des normes, "L'art appartient au Peuple", Lenine l'a voulu alors "un compositeur était censé augmenter sa production de même un mineur de fond la sienne, et sa musique était censée réchauffer les coeurs comme le charbon du mineur leur réchauffait les corps. Les bureaucrates évaluaient la production musicale comme ils évaluaient d'autres catégories de production ; il y avait des normes établies et des déviations par rapport à ces normes." Mes connaissances dans le domaine musical sont très faibles, voire nulles et, si je sais apprécier un opéra, une symphonie, elles ne me permettent pas de le reconnaître ou d'en citer l'auteur,...je l'ai regretté car ce livre fait souvent état d'anecdotes relatives à ces grands musiciens russes, et je suis certain qu'un mélomane averti y trouvera une foule d'informations sur leur personnalité, leur histoire, les relations qu'ils entretenaient avec le pouvoir en place et L Histoire
Roman historique aussi sur la manipulation, le harcèlement dont le régime s'était fait une spécialité, manipulation et harcèlement également présentés dans "Le zéro et l'infini" d'Arthur Koestler... des spécialistes arrivant par la parole à "retourner" des hommes, à leur faire signer et accepter, en prenant le temps, insidieusement et sans menace, des prises de positions contraires à leur éthique, contraires à leur volonté première. Un système dont Julian Barnes démonte tous les rouages, des rouages qui ont imposé à Chostakovitch de critiquer les prises de position de Sartre, Bernard Shaw ou Picasso
Alors à partir de là, on se pose inévitablement la question de la lâcheté, de la bassesse. Comment ce pouvoir stalinien l'entretenait, comment ses sbires torturaient mentalement les hommes qu'ils avaient choisis pour en être les victimes, comment cette peur était utilisée pour et par le pouvoir. Comment un homme pouvait en avoir honte, et malgré tout poursuivre une vie dont il n'était plus maître ? il avait envisagé le suicide.
Un petit rien a bousculé la vie de Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch que certains, à partir de cette date, considéreront comme indigne : Que se serait-il passé, quelle aurait été sa vie, si la loge de Staline n'avait pas été située le soir de la représentation de la première de l'opéra "Lady Macbeth de Mzensk", à une distance trop proche des bois et cuivres, si le Tyran indisposé par le bruit trop fort n'avait pas quitté la représentation? Si la Pravda n'avait pas titré : "Du fatras en guise de musique"...?
Un opéra considéré comme un chef d'oeuvre sous d'autres cieux


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Le fracas du temps de Julian Barnes raconte la vie d'un géant de la musique, Chostakovitch, artiste comme il aimait se présenter et compositeur, reconnu à l'étranger, et qui vécu en équilibre sur une corde en URSS, dans l'espoir improbable de trouver avec le régime un accord amiable ou aimable pour lui.

Cet accord introuvable, par dérision il le baptise l'accord parfait : " il est émis par trois verres de vodka pas très propres, et leur contenu est un son qui domine le fracas du temps et qui survivrait à toute chose. p196 "
 
Espoir impossible, il passera par tous les tracas qu'un citoyen lambda pourrait redouter, la disgrâce, l'angoisse, l'attente de la mort annoncée, la servitude, la honte, le reniement...

Julian Barnes empreinte à Chostakovitch l'ironie, l' ironie grinçante d'un violon, la pique sauvage de la flèche, l'humour qui au fil du temps devient lâcheté.
Vivre mais pourquoi vivre, il est plus facile de mourir, c'est l'affaire d'un instant, mais vivre ! "il était sincère, la mort était préférable à une terreur sans fin" p 144. Il ajoute "cela était leur victoire finale sur lui, au lieu de le tuer, ils l'avaient laisser vivre et en le laissant vivre il l'avait tué. " p 192 

Et la musique, dans cet univers soviétique, était devenu une épreuve : "Lénine trouvait la musique déprimante, Staline croyait comprendre et apprécier la musique, Khrouchtchev méprisait la musique... Quel est le pire pour un compositeur ?" P 129. Encore faut-il la composer pour être entendu, joué, la musique appartient à personne , ni au peuple ni au pouvoir, sa musique sera juste de la musique, c'était tout ce qu'un compositeur pouvait espérer.

" Nikita Khrouchtchev qui s'y connaissait autant en musique qu'un cochon en fenaison s'était laissé persuader d'inviter le célèbre exilé, Stravinsky, à revenir pour une visite, car ce sera un joli coup de propagande." p 147

Lucide sur ses revers, ses infortunes comme sur ses nombreuses distinctions, Chostakovitch pour protéger ses proches va boire sa lâcheté jusqu'à la lie, il va adhérer au parti, comme le condamné à mort hume sa dernière cigarette, pour rien, et avec perversité ils lui font signer des textes qui dénoncent des horreurs, comme la Vodka est bien utile au condamné Chostakovitch.

Julian Barnes va jouer de ces situations cocasses, et quand il décrit l'empire soviétique fait de multiples absurdités, pour réaliser une immense tragédie, son regard est autant tourné vers Poutine que vers Staline, les exécutions de masse en moins, ainsi le suggère les nouveaux serviteurs du régime.

Le récit commence avec "ces veillées nocturnes, près de l'ascenseur il n'était pas un cas unique d'autres dans toute la ville agissait de même, voulant épargner à ce qu'ils aimaient le spectacle de leur arrestation". P 63.
Julian Barnes termine sur l'accord parfait la Vodka devenant avec trois verres ce son idéal.

Cette biographie permet de toucher du doigt un homme exceptionnel tourné totalement sur la musique, survivant ironiquement à tout, échappant à la mort car le policier qui l'interroge est exécuté avant lui ! Devenant le dindon du régime, la caution ridicule qui lit de travers les discours officiels, joue la mascarade sans fin en échange d'un chauffeur inutile.

Une maestria dans l'art de l'humour, de l'ironie, de disséquer les faits, au 2ème ou au 3ème degré d'un ascenseur fantoche, c'est souvent drôle comme un goût de David Lodge.
A lire pour le plaisir, les musicologues, largement égratignés peuvent être déçus !

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Le roman débute par une construction en spirale qui tourne autour d'un moment-clé de la vie de Dmitri Chostakovitch, tout en revenant sur des épisodes plus anciens. Cette organisation rend bien compte de l'état d'égarement du compositeur à ce moment précis de sa vie où il s'attend à une arrestation imminente. Il attend devant l'ascenseur, sur le palier de son appartement, avec une valise. Ainsi pourra-t-il éviter d'être arrêté devant ses enfants, et leur épargner que son déshonneur ne retombe sur eux.
Tout a commencé avec la présentation de son opéra Lady Macbeth de Mzensk éreinté par un éditorial de la Pravda juste après que Staline ait assisté à sa représentation. Dmitri se sent soutenu et protégé par le maréchal Toukhatchevski, mais lorsque celui-ci est arrêté, ses certitudes s'effondrent. Que faire d'autre dès lors que de sembler faire son mea culpa et renier une partie de son oeuvre, faire mine de suivre la ligne imposée par le dictateur ? Il faut choisir entre poursuivre son idée de la musique, ou accepter de voir sa famille en pâtir. L'état d'esprit du compositeur est particulièrement bien rendu dans cette première partie tourbillonnante, et aussi dans les suivantes plus rectilignes, telles la ligne imposée suivie par Chostakovitch.
J'ai eu du mal à quitter ce roman qui a quelque chose de fascinant, notamment en ce qu'il permet d'apercevoir du stalinisme du côté d'un artiste obligé de se tenir sur le fil très très mince qui consiste à ne pas choisir entre rester dans les bonnes grâces du dictateur et conserver ses propres convictions.
Le style de Julian Barnes et la traduction très efficace sont pour quelque chose sans doute dans cet attrait du roman. Ceux qui avaient aimé Une fille qui danse apprécieront sans doute ce roman biographique...
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Non, ceci n'est pas un roman, pas non plus vraiment une biographie de Chostakovitch, puisque Julian Barnes a pris le parti de mettre en avant trois temps forts de l'existence du compositeur, marqués par la peur, la honte et la couardise, ce qui lui enlève le respect de soi et imprime en lui, à tort ou à raison, la conscience de sa lâcheté.

"Il avait aussi appris des choses sur la destruction de l'âme humaine.... Une âme pouvait être détruite d'une de ces trois manières : par ce que les autres vous faisaient ; par ce que les autres vous contraignaient à vous faire à vous-même ; et par ce que vous choisissiez volontairement de vous faire à vous-même. Chaque méthode était suffisante, mais, si les trois étaient présentes, le résultat était imparable." p 227

En fait, et Julian Barnes le rend magnifiquement, l'existence de Dimitri Chostakovitch est tout entière plombée par l'aura maléfique du "petit père des peuples", le tyran sanguinaire Staline, que ce soit avant et également après sa mort, puisque même disparu, certains de ses séides ont continué d'entretenir l'état d'esprit en vigueur sous le régime stalinien.

Le principal propos de l'auteur est donc bien de montrer l'horreur et la déshumanisation de l'existence quotidienne sous l'impitoyable férule du régime soviétique, ceci illustré par les aléas de la vie du compositeur. Et Julian Barnes de réussir sa démonstration avec brio, en utilisant pour ce faire et de façon éclatée différents moments de la vie du compositeur.

Encensé au début de sa carrière, Chostakovitch connaît ses premiers déboires avec son opéra malédiction "lady Macbeth de Mzensk" sur lequel La Pravda titra "du fatras en guise de musique" écrivant que cette musique "cancanait et grognait". En effet le dieu Staline, de la loge gouvernementale, mal située juste au dessus des percussions qui jouaient fortissimo, avait été incommodé au point de quitter la représentation bien avant la fin.
Nikita Kroutchev, quant à lui, n'hésita pas à comparer la musique de Chostakovitch "à des croassements de corbeaux".

Dès lors, on ne peut qu'être admiratif de cet homme, qui malgré les tracasseries et les avanies qu'il a dû subir, assorties de la peur d'être arrêté, envoyé en camp, ou pire encore, a pu et su exprimer l'étendue de son talent.
"Qu'est-ce qui pourrait être opposé au fracas du temps ? Seulement cette musique qui est en nous - la musique de notre être- qui est transformée par certains en vraie musique. Laquelle, au fil des ans, si elle est assez forte et vraie et pure pour recouvrir le fracas du temps, devient le murmure de l'Histoire" p 172

L'auteur, hélas ne s'étend pas suffisamment, sur le travail de composition du musicien, parfois obligé d'écrire de la musique de circonstance sur commande et sans envie, de la mauvaise musique pour de mauvais films, selon son avis.

On reste donc cruellement sur sa faim et on se demande comment Chostakovitch a pu surmonter tous ses déboires et réussir à composer, outre les concertos et la musique de chambre, les 15 chefs d'oeuvre symphoniques qu'il a offert à la postérité dont plusieurs touchent au sublime et figurent au panthéon de l'art musical.
Ceci hélas reste un mystère à la lecture de cet ouvrage et c'est vraiment dommage !

"l'art appartient au peuple" disait Lénine. N'appartient-il pas plutôt à ceux capables de le produire et à ceux qui l'aiment ?

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Je suis certainement partiale, ayant un faible pour la musique de Chostakovitch depuis que j'ai découvert dans ma jeunesse son Concerto pour piano, trompette et cordes. Plus tard, j'ai réalisé avec stupéfaction le côté plus sombre de sa musique et pris connaissance du drame de sa vie à travers le film Bruno Monsaingeon « Guennadi Rojdestvensky : profession chef d'orchestre ». Le livre de Julian Barnes est à mi-chemin entre le roman et le documentaire. On y trouve le détail digne des meilleurs biographes sans les longueurs inévitables inhérentes aux véritables ouvrages du genre. Dans le fracas du temps, on trouve surtout la sensibilité du romancier qui nous fait vivre avec le musicien les affres de l'angoisse, les tortures psychologiques que le pouvoir soviétique lui a imposées au fil de sa vie. On comprend très bien son remords de se sentir lâche et la nécessité de l'être pour pouvoir continuer à composer, la chose pour laquelle il avait le plus d'aptitudes et qui donnait un sens à sa vie en dépit de toutes les contraintes.
Ce livre décrit comment le parcours d'un artiste s'inscrit dans le contexte de l'Histoire. Je l'ai dévoré et me promets de revenir rapidement à son auteur que je connais peu. Je le recommande à tous, que vous soyez mélomanes ou pas, historien ou pas, spécialiste d'une chose ou d'une autre ou de rien du tout.
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Une âme pouvait être détruite de trois manières: par ce que les autres vous faisaient; par ce que les autres vous contraignaient à vous faire à vous-même; et par ce que vous choisissiez volontairement de vous faire à vous-même. Chaque méthode était suffisante, mais, si les trois étaient présentes, le résultat était imparable.

J'ai voulu introduire par une citation cette chronique commune avec ma colistière La jument verte de Val. Car l'essentiel est là, dans ce résumé du statut de l'artiste en pays de dictature. Julian Barnes, auteur dont je ne ne connaissais que l'adaptation ciné de son roman Une fille, qui danse, devenu sur les écrans l'excellent A l'heure des souvenirs, a écrit une sorte de biographie partielle et et libre du compositeur Dimitri Chostakovitch. de quel espace de liberté jouit-il précisément sous le joug stalinien? Et de quel droit jugerions-nous aujourd'hui l'hier de la glaciation soviétique? Ou tout autre régime autoritaire évidemment.

Julian Barnes l'exprime très bien, un artiste n'existe réellement que par ses oeuvres. Encore faut-il les montrer ou les faire entendre. Chostakovitch est passé sous le fer soviétique du stade d'étoile adulée, de musicien du siècle, comblé d'honneurs, au rang de suppôt rétrograde, rénégat et accusé de formalisme bourgeois, Oncle Jo n'ayant pas apprécié une représentation de Lady Macbeth du district de Mzensk. Chostakovitch échappa au pire mais dut de longues années subir la terreur ordinaire, la crainte d'hommes de la nuit silencieux et rapides, qu'il attend sur son palier. Eut-il de "remarquables facultés d'adaptation"?

Stratégie d'un enfermement moral, persécutions du quotidien et du dérisoire, puis liberté très surveillée y compris lors de ses voyages en Amérique. Dans ce grand pays d'absurdie on ne peut même se fier si peu que ce soit à son interrogateur, la versatilité de la tyrannie étant telle que le questionneur d'un soir peut le lendemain avoir à rendre des comptes. le fracas du temps est un grand livre, un livre effrayant sur l'homme et les perversions du pouvoir. Aucune épouvante dans ce livre. Pire, la banalité des jours d'un régime immonde. Là nous sommes dans la version est. Il existe d'autres modèles en d'autres points cardinaux.

Mais être un lâche, c'était s'embarquer dans une carrière qui durait toute une vie. Vous ne pouviez jamais vous détendre. Vous deviez anticiper la prochaine fois qu'il vous faudrait vous trouver des excuses, tergiverser, courber l'échine, vous refamiliariser avec le goût des bottes et l'état de votre propre âme déchue et abjecte. Etre un lâche demandait de l'obstination, de la persistance, un refus de changer – qui en faisaient, dans un sens, une sorte de courage.
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Trois épisodes de la vie du compositeur russe (soviétique, devrait-on plutôt dire) Chostakovitch, tiraillé entre son art et la pression du pouvoir. Peinture souvent glaçante, toujours juste, parfois mélancolique et désenchantée, comique aussi, portée par un style fluide. du Barnes pur jus. Un grand plaisir de lecture.
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