Un homme passe toutes ses nuits sur le palier de son appartement, à côté de la porte de l'ascenseur, avec une mallette à ses pieds. A chaque fois que l'ascenseur se met en marche, il appréhende que ce soit les agents du NKVD qui viennent l'arrêter. Il veut ainsi épargner sa femme et son enfant d'être arrêtés avec lui. L'homme, c'est
Dimitri Chostakovitch, dont
Julian Barnes nous retrace, dans ce magnifique roman, la vie de funambule, qui résiste au pouvoir politique, juste ce qu'il faut pour ne pas se sentir lâche, mais pas trop, pour ne pas être arrêté et continuer à composer.
Julian Barnes réussit parfaitement à nous montrer les interrogations et les souffrances du compositeur, ses rapports tendus avec le pouvoir soviétique, que ce soit lors du culte de la personnalité, de l'assassin Staline, où celui pervers du manipulateur Krouchtchev. Il montre combien les dictatures s'attachent à manipuler la culture, et à surveiller de prés les artistes, à les contraindre à adhérer à leurs idées contre le droit de pratiquer leurs arts, voire à arrêter les plus récalcitrants. Pour Chostakovitch, c'est sa musique qui est atteinte, à la fois, interdite, puis autorisée, puis décriée par les autorités. Ce sont ses amis et relations arrêtés, puis exécutés, jusqu'à un agent chargé de l'interroger qui disparaît du jour au lendemain. Grâce à une construction subtile, une découpe intelligente, une belle écriture à la troisième personne, il pénètre l'âme d'un homme pris entre
le fracas du temps et
le murmure de l'histoire. Les propres murmures d'un homme qui écrit sa musique, surveillé, menacé, au plus haut niveau, appelé par Staline , obligé de se rendre à New-York, représenter contre son gré son pays, tenir un discours à la gloire du despote, et d'un régime qui fait des millions de morts, contraint à critiquer son maître, émigré au Etats-Unis,
Igor Stravinsky, obligé à la fin de sa vie, d'adhérer au parti en déclarant en avoir fait la demande, alors qu'il avait toujours refusé.
Julian Barnes, pose des questions sur l'appartenance de l'art, sur les possibilités de résistance des artistes, sur l'engagement, il en profite pour égratigner les icônes, Picasso et
Sartre, communistes hors de l'Union Soviétique qui pouvaient peindre et écrire ce qu'ils voulaient, et clamer sans risque leur attachement au régime de L'URSS, alors que lui, Chostakovitch créait sous la contrainte à l'intérieur de l'union. C'est passionnant, bouleversant, magnifiquement écrit. Je remercie Baptiste Liger, journaliste, rédacteur en chef du magazine " Lire " pour son bel article, qui m'a donné envie de lire ce très beau roman. J'avais aimé "
Une fille qui danse " publié par
Julian Barnes en 2013, j'ai été emballé par "
le Fracas du temps ".