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« C'est un extraordinaire mélange du style racinien et du style journalistique de son temps » -
Paul Claudel
Les dix dernières années de la vie de
Charles Baudelaire vont être occupées par intermittence à la rédaction des
poèmes du Spleen de
Paris qui ne seront publiés qu'en 1869, deux années après sa mort, avec le titre « Petits
poèmes en prose » regroupant cinquante
poèmes.
Ces
poèmes ne se limitent pas à « faire pendant » aux
poèmes des « Fleurs du Mal qui viennent d'être censurés en 1861. le poète a voulu se libérer des contraintes du vers limitant son inspiration. Son idéal : « une prose musicale, sans rythme et sans rimes, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ».
L'aigreur du poète se ressent toujours dans une lettre à
Victor Hugo en 1863 : « J'ai essayé d'enfermer là-dedans toute l'amertume et toute la mauvaise humeur dont je suis plein. » Dans une lettre à sa mère, en 1865, il écrit : « J'espère que je réussirai à produire un ouvrage singulier, plus singulier, plus volontaire désormais que
Les Fleurs du Mal, où j'associerai l'effrayant avec le bouffon, et même la tendresse avec la haine. »
Cette expérience effraie
Baudelaire par sa nouveauté. Ces
poèmes en prose ont été pour la plupart d'entre eux publiés dans des revues et des journaux. Il s'y épuise jusqu'à ses derniers jours, déçu, insatisfait.
« Mais que les bagatelles, quand on veut les exprimer d'une manière à la fois pénétrante et légère, sont difficiles à faire ! » -
Charles Baudelaire, janvier 1866, un an avant sa mort.
Dans cette prose où le poète, en se libérant du vers délivre une nouvelle forme de poésie, j'ai retrouvé constamment les grands thèmes des « Fleurs du Mal » : les rapports avec les femmes marqués par l'incompréhension réciproques ; l'ultime voyage que constitue la mort ; la thématique urbaine des « Tableaux
parisiens » qui revient constamment avec la description des pauvres, des éclopés de la vie, des enfants. Perdu dans la foule, fasciné par le spectacle insolite de la rue, le poète erre et peint cette ville qui se transforme.
Ce pendant en prose des « Fleurs du Mal » de 1857 m'a profondément réjoui. Dans nombre des ces
poèmes j'ai retrouvé les échos de ceux qui m'avaient ébloui dans le recueil en vers.
- En prose « La belle Dorothée » : Très beau
poème s'inspirant de sa muse la métisse Jeanne Duval.
« Elle s'avance, balançant mollement son torse si mince sur ses hanches si larges. Sa robe de soie collante, d'un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux et sa gorge pointue. de temps en temps la brise de mer soulève par le coin sa jupe flottante et montre sa jambe luisante et superbe ; et son pied, pareil aux pieds des déesses de marbre que l'Europe enferme dans ses musées, imprime fidèlement sa forme sur le sable fin. »
- En vers « À une malabaraise »
« Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle blanche ;
À l'artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair. »
- En prose « Les veuves » : « C'était une femme grande, majestueuse, et si noble dans tout son air, que je n'ai pas souvenir d'avoir vu sa pareille dans les collections des aristocratiques beautés du passé. Un parfum de hautaine vertu émanait de toute sa personne. »
- En vers « À une passante » :
« Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet
Agile et noble, avec sa jambe de statue. »
- En prose « le désir de peindre » : « Il y a des femmes qui inspirent l'envie de les vaincre et de jouir d'elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard. »
- En vers « À une passante » :
« Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. »
- En prose « le désespoir de la vieille ». La petite vieille est un personnage familier du
Paris de
Baudelaire.
« La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux.
- En vers « Les petites vieilles », poème qui était dédié à
Victor Hugo :
« Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d'un goût bizarre et captivant,
Le spleen de
Baudelaire est toujours là. Mais que c'est beau !
Même si je préfère le recueil des « Fleurs de Mal », les sonorités de ce recueil en prose, parfois grandiloquentes, sont un régal de lecture que je recommande à tous ceux qui admirent cet immense poète génial qu'était
Charles Baudelaire.
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