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Aujourd'hui, 15 août, journée de relâche pour tout le monde, j'en profite pour vous évoquer un livre que je trouve vraiment très intéressant. Je n'ai pourtant pas lu au préalable le fameux livre dont il ne fait que parler, le Meurtre de Roger Ackroyd de l'inévitable Agatha Christie. Toutefois, malgré cette lacune, aucun problème pour suivre ce livre et je dirais même, un très vif intérêt.

Bien évidemment, pour ceux qui ne jurent que par la compréhension de l'énigme originale, je vous conseille vivement de lire d'abord le livre avant de vous plonger dans cette " enquête sur l'enquête ". Car c'est ni plus ni moins à cela que Pierre Bayard nous convie.

Le livre se divise en quatre parties. Dans la première, l'auteur nous présente le déroulé de l'histoire effective du roman d'Agatha Christie et son dénouement. Ce faisant, il souligne un certain nombre d'entorses plus ou moins grandes faites au " canon " du genre ainsi que de pointer un certain nombres d'incohérences relevées dans la résolution de l'énigme proposée par Hercule Poirot.

Dans la deuxième partie, l'auteur nous invite à reprendre avec lui l'enquête, notamment en la comparant à quelques autres ouvrages de l'écrivaine britannique qui présente avec l'oeuvre en question des parallélismes troublants.

La troisième partie de l'ouvrage est de loin celle qui m'a le moins intéressée. L'auteur s'y lance dans une analyse un peu théorique et technique sur ce qu'est un délire du point de vue psychanalytique. Même s'il démontre l'intérêt de cette digression pour la suite de son propos, je m'y suis ennuyée et c'est ce qui fait que je ne hisse pas l'ouvrage dans son entier jusqu'aux graal suprême des 5 étoiles.

Enfin, la dernière partie, forte de ces enseignements sur ce que l'on nomme effectivement " délire d'interprétation ", nous amène à comprendre que dans une enquête policière de ce type, le romancier sème un nombre incalculable de fausses pistes ou de soupçons raisonnables. Il choisit, presque arbitrairement, de privilégier une des inférences possibles au détriment de beaucoup d'autres qui auraient été au moins aussi plausibles.

Ce faisant, il démontre, de manière selon moi très convaincante, que la solution retenue par Poirot ne semble pas la plus crédible ni la plus parcimonieuse. Au moins deux autres pistes semblent plus probantes, dont l'une qui a sa préférence, eu égard aussi à certains commentaires ultérieurs d'Agatha Christie à propos d'un personnage en particulier de ce roman.

Donc, une analyse littéraire vraiment captivante, menée exactement comme une enquête policière et aussi intéressante à lire, si ce n'est la faiblesse sus-mentionnée de la troisième partie. En tout cas, un livre qui ravira les amateurs de romans policiers d'enquête en leur en dévoilant certains des secrets de fabrication. Idéal donc pour les vacances, mais, comme toujours, précision doit être rappelée qu'il ne s'agit que de mon avis sur la chose, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Avec ce petit essai, le spécialiste de littérature Pierre Bayard se livre à un exercice aussi original que divertissant : proposer une contre-enquête à celle réalisée par Hercule Poirot dans le roman d'Agatha Christiele meurtre de Roger Ackroyd. Cette enquête, l'une des plus célèbres de la reine du crime, a fait plus largement date dans le genre étant donné l'originalité de sa construction, puisque la narration est confiée au docteur Sheppard qui finit par être démasqué par Poirot comme l'assassin.

Après avoir brièvement résumé les faits et l'enquête tels qu'ils sont exposés dans le roman, Pierre Bayard éclaire la singularité de ce roman au prisme des principes qui régissent le roman policier d'énigme. En amatrice de ce genre, j'ai été très intéressée par la discussion de ces règles qui semblent effectivement de vigueur dans les nombreuses enquêtes que j'ai pu lire, mais auxquelles je n'avais jamais directement réfléchi. On comprend qu'il s'agit essentiellement, de placer la solution en évidence, accessible à travers des indices, mais tout en la dissimulant en mobilisant un ou plusieurs procédés de déguisement ou de détournement. Pierre Bayard explique tout cela de façon passionnante, en évoquant de multiples exemples du genre – autres romans d'Agatha Christie, mais aussi par exemple La lettre volée, d'Edgar Allan Poe. On comprend que la culpabilité du Dr Sheppard est dissimulée de différentes manières, dont la rupture avec la règle d'un narrateur fiable, au-dessus de tout soupçon et exposant honnêtement les faits – puisque Sheppard ment par omission et use dans sa narration de multiples doubles-sens.

Pierre Bayard montre ensuite avec brio comment « la beauté esthétique du procédé tend à éclipser l'énigme policière », le lecteur restant si abasourdi d'avoir été dupé par Agatha Christie qu'il en oublie de questionner la plausibilité de la solution défendue par Hercule Poirot. En outre, la narration pleine d'ambiguïtés et l'éventualité d'omissions supplémentaires par le Dr Sheppard laissent subsister la possibilité d'autres résolutions, à l'origine de problèmes d'interprétation considérables. Pierre Bayard entreprend donc une contre-enquête, pointant les incohérences et le caractère alambiqué de celle d'Hercule Poirot. Après un détour moins limpide de mon point de vue par la psychanalyse, mobilisée pour réfléchir au « délire d'interprétation » qui pèse sur toute lecture, l'auteur argumente de façon extrêmement convaincante en faveur d'une solution alternative.

Pierre Bayard invente ici un exercice intellectuel très stimulant, susceptible d'être appliqué aux innombrables enquêtes du genre – entreprise qu'il a d'ailleurs déjà poursuivie avec des essais sur d'autres références comme le chien des Baskerville d'Arthur Conan Doyle ou Dix Petits Nègres, d'Agatha Christie. Je me laisserai retenter avec plaisir !
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Je reconnais la grande magnanimité dans les efforts les efforts maladroits de Pierre Bayard pour disculper le Dr S. du meurtre de Roger Acroyd. J'apprécie particulièrement sa contribution à la chose psychanalytique sinon lacanienne qui tend à relire le texte dans ses manquements et ses trop-pleins de sons ou de sens. Je tire mon chapeau bas à son imagination pour trouver un autre meurtrier plus logique, plus coupable mais...
Mais tout le monde sait que le vrai assassin de Roger Acroyd, c'est le lecteur, qui, à la télé comme dans les romans, s'enivre du sang de ces victimes auxquelles les écrivains se doivent de donner vie pour les envoyer à la guillotine parfois bien avant la première page afin que soient comblés les instincts mortifères des lecteurs.
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Merci d'abord à Andras, qui m'a conseillé cette lecture. J'ai passé un excellent moment, voilà une approche originale de l'oeuvre, faite par un professeur en littérature française d'université, également psychanalyste.

Même si on n' a pas lu le roman d'Agatha Christie, l'étude brillante menée par l'auteur intéressera à coup sûr tout lecteur, et pas seulement de romans policiers.

Qui a tué Roger Ackroyd? le simple fait de poser cette question laisse entendre que le coupable final ne l'est peut-être pas. L'auteur entreprend donc une contre-enquête. Mais avant , il évoque tous les ressorts du roman policier à énigmes, notamment le mensonge par omission et le principe de déguisement ou au contraire d'exhibition. de nombreux autres romans de la reine du crime sont évoqués, et je suis d'accord avec Agathe ( se reporter a sa critique...), c'est assez spoiler pour ceux qui ne les ont pas encore lus...

J'ai aimé en particulier la fine analyse de la narration à la première personne et les doubles sens qu'elle peut prendre. de même, considérer "Oedipe-roi" comme le premier roman policier est très intéressant. La dimension psychanalytique est évidemment aussi mise en exergue.

Je me suis prise au délire d'interprétation dont parle l'auteur, et en suis venue à désigner le même coupable que lui! À votre tour, tentez l'expérience! C'est intelligent, instructif, jubilatoire.
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Petit essai à ne surtout pas lire si on ne connaît pas la fin des romans le meurtre de Roger Ackroyd et La nuit qui ne finit pas (ainsi que La dernière énigme). D'autres romans d'Agatha Christie sont mentionnés dans cet ouvrage, mais ces deux-trois là sont vraiment analysés en détail. Car Pierre Bayard commence par nous raconter quasiment dans le détail le meurtre de Roger Ackroyd tout en soulignant les incohérences du récit (Mince, il a tout à fait raison, et je ne m'en étais même pas rendu compte en le lisant). Il souligne au passage les entorses de l'auteur aux règles du genre (ouf, ça, ça ne passe pas du tout inaperçu!) Ensuite il compare ce roman à quelques autres d'Agatha Christie utilisant quelques procédés identiques, mais jamais tous en même temps. Dans une troisième partie il se lance dans des considérations psychanalytiques qui m'ont paru quelque peu difficiles à suivre, le lien de départ avec le roman m'a quelque peu échappé même si j'arrive à comprendre où il veut en venir. Pour finir, ayant démontré que dans un bon polar l'auteur sème un nombre considérable de pistes et de soupçons, au point que le choix de la piste qui est la bonne est finalement arbitraire, il lance sa contre-enquête. Et de nous proposer, en tenant compte des invraisemblances relevées, deux autres solutions tout ce qu'il y a de plus crédibles, dont l'une a largement sa préférence (et la mienne aussi). Cet essai, en dehors de sa troisième partie, est aussi captivant qu'un roman policier. C'est amusant de comprendre les procédés utilisés et surtout comment le lecteur se fait piéger et n'y voit que du feu. Je me suis laissée entraîner avec beaucoup de plaisir dans cette contre-enquête. Et même s'il montre les incohérences du meurtre de Roger Ackroyd, il n'enlève rien au livre car il l'enrichit d'un second niveau de lecture en quelque sorte et montre au passage qu'il est impossible de reprendre le procédé utilisé par Agatha Christie sans que le lecteur ne repense à Roger Ackroyd. Je n'en dirais pas plus, ce serait divulgacher, mais cet ouvrage est vraiment un must pour amateur de polar (et si possible lecteurs de la reine du roman policier).
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Mais oui, QUI a tué Roger Ackroyd nom d'un petit bonhomme (en mousse ? Heu non)

Chez nous, en Belgique, ce "QUI ?" fait de suite référence à un de nos homme politique, le Vieux Crocodile, autrement dit VDB qui après son enlèvement avait dit "QUI m'a enlevé". On en avait même fait une chanson.

Mais trêve d'histoire Belgo-Belge et revenons à nos Anglais, pas encore brexité à cette époque et au meurtre de ce bon vieux Roger Ackroyd où la mère Agatha nous avait bien entubé tout au long du roman, la vilaine (pour notre plus grand plaisir), brouillant les pistes et nous mystifiant jusqu'aux dernières lignes.

Oui mais d'après l'auteur, le coupable désigné par Hercule Poirot n'est pas le bon ! Mais si ce n'est pas lui, alors, qui est-ce ? (célèbre jeu de société). Si ce n'est toi, c'est donc… Bon sang, mais c'est bien sûr !

Bon, j'aurais pu m'abstenir de lire son essai car j'ai vu venir le coup de loin, le seul autre coupable qui sortait de l'ordinaire était… [No spolier]. Et bingo ! J'ai gagné.

Amis lecteurs et amies lectrices, gaffe ! Ne lis pas cet essai si tu n'as pas déjà découvert une grosse partie de l'oeuvre d'Agatha Christie, ou du moins, les plus célèbres de ses romans parce que monsieur Bayard, chevauchant le cheval du même nom, dévoile des noms de coupables à tour de bras ! Savoir leurs noms gâcherait le plaisir de lecture future.

Analysant le roman, l'auteur ne se prive pas de mettre en avant les incohérences, notamment de temps, prouvant par A+B que cette personne n'aurait jamais eu le temps de mettre tout cela au point !

Sans compter que niveau courage de tuer, il avait tout d'un mou du genou, qu'il aurait pu s'éviter un meurtre, les preuves le dénonçant du chantage commis étant faibles (et venant d'une suicidée criminelle), sans compter qu'il aurait pu même nier être le coupable, Poirot n'ayant que peu de preuves, donc, il pouvait dormir sur ses deux oreilles.

Quid alors ? Poirot aurait-il abusé de la tisane à base de citrouilles au point de se planter autant et de négliger l'interrogatoire d'un personnage présent mais que personne au grand jamais n'inquiète par des questions (du jamais vu dans les romans de la mère Christie) ? Ben oui…

Si la partie qui dévoile le véritable coupable est intéressante de par son étude sérieuse et qui s'appuie sur le récit même, si la première partie qui analyse certaines histoires d'Agatha Christie est tout aussi intéressante, j'ai eu tendance à piquer du nez une fois qu'il est entré dans la partie intitulée « DÉLIRE » parce que la psychanalyse, c'est pas ma tasse de café.

Qu'on soit ou non d'accord avec la théorie de l'auteur, force est de reconnaître qu'il a tout pris en compte, notamment le temps nécessaire à la réalisation du crime, le double texte de la narration, les omissions, les ellipses, les phrases ambiguës, le caractère propre à chaque personnage, les mobiles, les alibis et que son analyse tient la route.

Néanmoins, les lecteurs n'aiment pas trop qu'on leur mette le nez dedans en lui démontrant qu'ils ont cru Hercule Poirot et sa brillante théorie alors que lui-même s'est foutu le coin de la moustache dans l'oeil !

Mais ce n'est pas pour cela que le livre perd des plumes, c'est juste que la partie psychanalyse m'a un peu endormi, mais je suis sûre qu'elle comblera les amatrices (amateurs) du genre et fan d'Oedipe-roi !

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Quand un universitaire s'empare de la reine du crime...Ca conduit d'abord à nous faire passer de la géniale fluidité stylistique d'Agatha Christie à des phrases du genre : "la monophonie du récit conduit en effet le narrateur à nous raconter les faits, mais également à nous transmettre ses sentiments"...monophonie, c'est mignon...
Il faut passer donc passer outre l'obstacle du style pesant et des mots grecs sans quoi l'universitaire de base se sentirait tout nu ...
Mais le propos est très amusant et relève d'une lecture très fine d'Agatha Christie et de ses multiples mystères...On connaît les ellipses dont elle est capable, dans sa vie comme dans ses écrits. Ainsi sa célèbre disparition lors de sa rupture avec Archibald Christie, dont elle ne souffle pas un mot dans son Autobiographie. Ou alors quand, dans cette même autobiographie, elle affirme ne pas se souvenir avoir écrit "L'Affaire Protheroe", quand même ! Ou que son activité littéraire, ma foi, c'était le cadet de ses soucis ...Mon oeil !
Donc Lady Mallowan, comme elle signait dans les hôtels, est certainement capable de toutes les facéties, y compris d'avoir fait un livre dont le coupable est : incroyable-les- bras- m'en- tombent- d'autant -plus- que- ce -n'est- pas- lui...D'autant plus aussi que lord Mountbatten se vantait de lui en avoir soufflé l'idée...Se serait-on moqué de lord Mountbatten ?
Pierre Bayard n'affirme jamais avoir découvert LA Vérité sur le meurtre de Roger Ackroyd, car il s'interroge pendant tout son essai, justement, sur la vérité d'un texte, son inconscient etc...Il met juste le lecteur, et surtout Poirot, face à des contradictions de sa déduction qui ne sont jamais résolues et offre une autre hypothèse de lecture qui balaie effectivement certaines de ces contradictions. L'idée est belle et elle effleure d'ailleurs, il me semble, la plupart des lecteurs du livre tant elle correspond à un fonctionnement psychologique entre deux personnages qui frappe dans l'intrigue.
Pour les amoureux d'Agatha Christie et du roman policier à énigme, c'est donc une lecture à recommander ! Mais attention, gros spoils dans l'essai sur des textes majeurs comme "La nuit qui ne finit pas", "Mort sur le Nil", "La dernière énigme", et d'autres encore...
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Le titre de l'ouvrage tend à laisser penser qu'il s'agit d'un exercice de style « ludique » dans lequel l'auteur s'amuse à proposer une autre solution à l'énigme policière posée par Agatha Christie dans un de ses romans les plus connus, le meurtre de Roger Ackroyd. Cet aspect-là est bien présent, mais ce n'est pas le seul, et ce n'est pas ce qui m'a le plus intéressé dans le livre.

Après nous avoir résumé le roman, Pierre Bayard, s'attaque aux principes de base qui permettent aux romans policiers de fonctionner. Son analyse n'est sans doute pas originale (elle s'inspire en particulier de van Dine), mais elle met en évidence, d'une manière synthétique et claire, ces principes. Il insiste en particulier sur la manière dont l'auteur de romans policiers dissimule la vérité au lecteur, tout en ayant l'air de la mettre devant ses yeux, en lui donnant l'illusion qu'il aurait pu trouver la solution. Agatha Christie y est, d'après lui, passée maître. Pour y arriver, différentes techniques existent. On peut déguiser la vérité ou un élément essentiel de cette vérité, c'est à dire la rendre méconnaissable. Par exemple en semblant ôter à l'assassin la possibilité d'avoir commis le meurtre, ou en le rendant insoupçonnable du fait de sa fonction, ou de quelques propos ambigus du détective.

Pour empêcher le lecteur de prêter attention aux éléments qui pourraient l'amener à la solution, l'auteur peut tenter d'attirer son intérêt sur des faits, des objets, ou des personnes qui semblent désigner un autre coupable, ou qui n'ont aucun intérêt pour l'enquête, c'est le détournement.

Pierre Bayard en arrive à conclure, qu'au final, la mécanique du roman policier vise à empêcher le lecteur de penser, de former des idées précises, en l'égarant. En le noyant sous des éléments nombreux et non pertinents, et en dissimulant d'une manière ou d'une autre les seuls qui sont vraiment essentiels. Une sorte de jeu entre l'auteur et le lecteur.

L'auteur dispose d'un puissant levier pour induire en erreur son lecteur : l'omission. Comme le docteur Sheppard, le narrateur du Meurtre de Roger Ackroyd, il n'est pas obligé de tout dire. Ce procédé reste toutefois délicat à manipuler : il faut que l'omission passe inaperçue, ou qu'elle ait une raison valable, sinon le lecteur risque de trouver que l'auteur triche. Dans le cas où c'est le narrateur qui s'avère être le meurtrier, elle devient justifiée : il est normal que l'assassin cache des choses.

Ce jeu de pistes nombreuses dont beaucoup sont fausses, d'omissions, d'éléments pertinents présentés de manière à ce qu'ils passent inaperçus, provoque chez le lecteur une tentative de donner du sens, même si l'auteur essai de l'empêcher de penser efficacement, autrement dit à interpréter les données fournies par l'auteur pour résoudre l'énigme. Au point de pouvoir aboutir à des interprétations délirantes. Psychanalyste, en plus d'être professeur de littérature, Pierre Bayard développe cet aspect des choses, et en arrive à accuser Poirot de finir par fournir ce type d'interprétations. La question est délicate et dépasse le cadre du roman policier. A un moment, on en vient à se poser la questions du caractère délirant des interprétations littéraires elles-mêmes (sans oublier l'interprétation délirante qui pourrait être consubstantielle à la psychanalyse). L'auteur tente de ramener la raison, et trouve un point d'appui chez Tzvetan Todorov, qui distingue deux sens au mot « vérité » : la vérité-adéquation, qui fonctionne en tout ou rien, et la vérité-dévoilement, qui fonctionne en plus ou moins. Une grande partie de textes littéraires, et de leurs interprétations relèveraient de la vérité-dévoilement. D'une certaine manière on pourrait dire que ce qui serait délirant, ce serait de considérer la majorité des contenus littéraires ainsi que leurs interprétations comme des vérités-adéquations.

Ce qui autorise, d'une certaine manière, l'auteur, à fournir sa propre résolution du meurtre de Roger Ackroyd, différente de celle d'Agatha Christie. Qui, à mon avis, est encore plus problématique que celle de la reine du crime, même si Pierre Bayard pointe quelques faiblesses indéniables dans la raisonnement de Poirot à la fin du roman. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur les procédés des romans policiers, ces faiblesses sont inévitables : enchevêtrements des pistes, les subterfuges pour ne pas permettre au lecteur de soupçonner le vrai coupable, finissent par produire des éléments qui ne colleront finalement pas complètement dans le tableau final. Même si à mon sens, Agatha Christie est peut-être l'écrivain qui réussit à produire les textes les plus cohérents et les plus solides. Les plus convaincants en tous les cas pour un « vrai » lecteur, qui cherche dans sa lecture, un distraction, un plaisir avant tout.

En réalité, ce qu'un lecteur de romans policier cherche, ce n'est pas à mettre en déroute et à démasquer un meurtrier. Car celui-ci n'existe que dans le cerveau et le texte rédigé par l'auteur. Non, je crois que le lecteur se mesure à ce dernier, et essaie de trouver avant le moment choisi par le romancier pour révéler « la vérité », à trouver la solution de l'énigme imaginée par l'écrivain. A démasquer sa logique, à écarter les pistes trompeuses, à repérer malgré toutes les astuces pour qu'on ne les voit pas, les éléments signifiants. A être plus malin, non pas que le meurtrier, mais que l'auteur-démiurge dont il est une créature. C'est pour cela que l'on pourrait considérer que la tentative de Pierre Bayard de donner une interprétation alternative du crime de Roger Ackroyd, est un essai de prendre la place de l'auteur, un acte symboliquement très fort.

Un livre qui ouvre des pistes intéressantes, et qui est souvent assez amusant en plus. A conseiller aux amateurs des romans policiers certainement, mais en réalité à tous les amateurs de la littérature.
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Dans cet essai à mi-chemin entre le roman policier, la critique littéraire et l'étude psychanalytique, Pierre Bayard nous propose une relecture du célèbre roman d'Agatha Christie, « le meurtre de Roger Ackroyd », grâce à laquelle il souhaite démontrer que la fameuse solution de l'énigme selon laquelle le meurtrier serait le narrateur du récit, le docteur Shepard, pourrait être fausse et même délirante. Se livrant à une contre-enquête, l'auteur nous présente son hypothèse quant à l'identité du vrai coupable du roman qui aurait échappé au grand Hercule Poirot.

A travers cette analyse critique du roman d'Agatha Christie, de la littérature en général et du genre policier en particulier, Pierre Bayard nous invite à réfléchir à notre statut de lecteur et à ce que l'on peut considérer comme « vérité » lors de la lecture d'un livre. Puisque la subjectivité de celui qui lit est toujours impliquée dans l'interprétation qu'il fait du livre, existe-t-il même une vérité unique, un roman unique? Soulignant la part de délire propre à toute interprétation, l'auteur met en garde les lecteurs, les enquêteurs et les psychanalystes : en interprétant un texte, un indice ou un discours, on cherche à y mettre du sens, mais de la compréhension juste du sens au délire d'interprétation, il n'y a qu'un pas…

C'est avec beaucoup d'intelligence et de profondeur que Pierre Bayard nous mène d'un bout à l'autre de cet essai policier que l'on pourrait définir comme une réflexion sur la lecture. Cela dit, si l'auteur est à coup sûr un grand penseur, je n'ai pas du tout été séduite par ses qualités d'écrivain et j'ai à de nombreuses reprises dû me forcer pour continuer ma lecture tant son style académique et rébarbatif m'ôtait tout plaisir de lire. Il est dommage, je trouve, qu'il ait souhaité emprunter ce style si universitaire et carré car l'énigme policière qu'il nous propose autant que l'analyse littéraire et psychanalytique à laquelle il se livre sont passionnantes, mais avec une telle écriture il faut s'accrocher pour rester captivé et je dois avouer que certains passages m'ont carrément ennuyée.

J'ai par ailleurs trouvé dommage que Pierre Bayard ne mette pas un peu d'humour et de second degré dans son ouvrage. Complètement embarqué dans sa thèse, il semble oublier qu'il nage lui-même, avec son livre, en plein délire d'interprétation ! Et en fin analyste qu'il est, j'aurais trouvé judicieux qu'il mette ce point en valeur et quitte à faire de l'analyse littéraire, qu'il se mette en perspective et s'interroge lui-aussi sur « la vérité » de son texte. Ca aurait pu être sympathique à lire et ça aurait allégé un peu son récit qui prend par moment des allures de thèse universitaire imbuvable…
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Le meurtre de Roger Ackroyd est l'un des romans policiers les plus célèbres de son auteur , célèbre surtout parce qu'elle nous y mène par le bout du nez d'une façon qui ne pourra jamais être renouvelée : dissimuler le criminel de la même façon ramènerait toujours les lecteurs à ce roman et à ce trait de génie qu'elle a osé la première.

La première chose à dire, c'est de ne surtout pas lire ce livre si jamais le Meurtre de Roger Ackroyd ne fait pas partie de vos lectures antérieures. Même son quatrième de couverture, bas les pattes, ce serait vous priver du plaisir de la surprise. D'ailleurs, L'Affaire Prothero, Mort sur le Nil, et d'autres encore, une flopée d'autres, voient aussi dévoiler le mécanisme par lequel Agatha Christie dissimule le tueur au nez et à la barbe de tout le monde dans leurs pages.
Ce petit essai est donc plutôt à réserver à ceux qui ont déjà bien creusé leur trou dans l'oeuvre de la dame, histoire d'éviter de voir de futurs lectures privées de leurs révélations finales!


Toute la première partie de ce texte, celle où Pierre Bayard démontre brillamment le principe du roman policier, exemple à l'appui,est très plaisante à lire. Ensuite, on peut lire tout ça en se retrouvant toujours aussi convaincu par la solution proposée par Agatha Christie pour le meurtre de Roger Ackroyd, tout en reconnaissant que oui, il y a quand même des choses étranges. La partie où l'auteur s'enfonce dans la jungle de la psychanalyse appliquée au sujet m'a nettement moins intéressée, mais ça reste suffisamment court pour que la simple curiosité pousse un lecteur peu branché sur le sujet jusqu'au bout avec plaisir.

Pour les amoureux de romans policiers à énigme en général, et d'Agatha Christie en particulier!

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