Entre un poème d'Éluard et une lettre sans adresse et sans signature, se succèdent, sans jamais s'étendre ni se rapprocher, deux récits inflexibles autour d'un homme perdu, emmailloté jadis dans les mailles d'un secret.
Confrontés l'un à l'autre et irrévocablement inconciliables, les deux récits avancent vers cette vie oubliée aux fins d'en faire renaître ne serait-ce que la trace. Tous deux, sur huit années, relatent consécutivement le déroulé concret de cette vie égarée, et son débordement dans la vie de la narratrice. La rigueur d'écriture, qui était déjà remarquable dans «
J'aime », le précédent roman de
Nane Beauregard, se retrouve ici avec la même intensité, marquée cette fois par une forme alternative qui s'identifie parfaitement au contenu, qui en est son précipité.
De quoi s'agit-il ? D'un secret précisément, dont je me garderai bien de soulever le voile, tant il n'apparait que progressivement tout au long de la narration. Les deux récits, en huit chapitres très brefs, ont chacun leur forme propre. La forme factuelle et clinique du bilan pour le premier récit, une forme de témoignage poétique pour le second.
Le bilan, sorte de compte-rendu ou de journal de bord, tenu, on le devine, par le personnel en charge d'une institution psychiatrique, est nommé par la narratrice « le Dossier ». Il rend compte cliniquement de la maigre existence d'un patient interné. Elle le livre tel quel. Son propre témoignage quant à lui s'apparente à la remémoration. Celle de l'enfant qu'elle fut à l'époque du Dossier, puis plus tard, tourmentée, ébranlée par
le secret de famille.
Le récit de vie, dans cette forme concentrique qui ne cède à l'histoire que des morceaux épars à mettre bout à bout, est en parfait miroir avec les tâtonnements de l'investigation et avec ceux aussi de l'écriture elle-même, qui cherche incessamment la lumière inatteignable.